Pensée et vêtement : une métaphore reflexive du XVIIe siècle, source d un symbolisme moderne - article ; n°1 ; vol.12, pg 45-60
17 pages
Français

Pensée et vêtement : une métaphore reflexive du XVIIe siècle, source d'un symbolisme moderne - article ; n°1 ; vol.12, pg 45-60

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
17 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles - Année 1981 - Volume 12 - Numéro 1 - Pages 45-60
16 pages

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 9
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marie-Madeleine Martinet
Pensée et vêtement : une métaphore reflexive du XVIIe siècle,
source d'un symbolisme moderne
In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°12, 1981. pp. 45-60.
Citer ce document / Cite this document :
Martinet Marie-Madeleine. Pensée et vêtement : une métaphore reflexive du XVIIe siècle, source d'un symbolisme moderne. In:
XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°12, 1981. pp. 45-60.
doi : 10.3406/xvii.1981.1875
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1981_num_12_1_1875as
PENSEE ET VETEMENT :
UNE METAPHORE REFLEXIVE DU XVIIe SIECLE, SOURCE D'UN SYMBOLISME
MODERNE
Les liens symboliques entre l'homme et son vêtement sont
anciens : la quenouille des Parques ourdissait le fil de la vie;
la déesse de la Sagesse eut Arachné pour rivale dans l'art du tis
sage, légende illustrée sur le frontispice de la traduction anglai
se de Lomazzo par Haydocke (1598) ; en grec comme en latin, "schema"
avait de nombreux sens se rapportant à la "figure", allant du
vêtement et de l'apparence au dessein intellectuel et aux effets
de style . Paolo Giovio, dans son livre sur les devises traduit
en anglais par Samuel Daniel en 1585, rapproche étymologiquement
le "livre" et la "livrée" parce qu'on lit la pensée dans l'un
comme dans l'autre :
Livrée. Some say it had his etemologie of Libro, for that
Livrées are as an open book where a man may reade the
intent of him which weareth them (2) .
Un thème persistant du vocabulaire et de la littérature, en
anglais, est l'association métaphorique entre le langage représen
tation de l'esprit d'un côté, et de l'autre, le vêtement ou l'étof
fe qui signifient et cachent en même temps. Ce rapprochement est
favorisé par l'allitération : "words" et "wit" allitèrent avec
"warp" et "woof", "weeds", et quand le "w" était "web", "weave",
senti (c'est-à-dire jusqu'au milieu du 17ème siècle (3) ), "wrap
ped" .
Les métaphores d'étoffe suggéraient la pensée comme si le
filage et le tissage étaient l'analogue du travail même de la
pensée qui crée d'elle-même son image en dehors d'elle et se trans
forme en son propre vêtement dans lequel elle s'enclôt et se définit - - 46
fois, paradoxe de la réflexion allant de la création poétique à la
au repli tragique sur soi, qui implique l'énigme métaphysique de
la distance entre le vêtement et sa signification, avec sa version
linguistique, la dualité de la forme et du sens - symbolisme parti
culièrement développé au 17ème siècle à la lumière des considéra
tions sur la pensée et la langue.
Cette métaphore est attestée par les lexicographes okepuis le
Moyen Age; l'OED donne pour le verbe "wrap" des associations figu
rées principales supposant 1 ' involution dans une image sombre de
soi : l'enveloppement d'un sens obscur et l'enveloppement dans le
malheur. Pour l'obscurité de signification (sens 5), le premier
exemple cité est celui de Wyclif, Job XXXVIII. 2 :
Who is this, wrappende in sentencis with woordis unwise ?
La théorie des facultés de l'âme à la Renaissance faisait de 1 ' ima-
gination le vêtement de l'âme (4) , et la mélancolie, toujours pré
sentée comme un repli sur ses propres fantaisies, était souvent
figurée par l'enveloppement dans sa tristesse (sens 3 de l'OED),
avec des exemples comme "wrapped in woe" du 14ème siècle à 1659,
des formules analogues pour les mots "warp" et "woof", et l'expres
sion "web of woe" tirée de The Mirror for Magistrates. Le thème
voisin de la personne façonnée par la Fortune et ses revers était
aussi représenté par les images de tissu. Dans James IV de Greene
(1590), Ida compare les dessins qu'elle peut former ou abîmer dans
ses travaux d'aiguille aux vies humaines faites et défaites par la
Fortune (II. i) .
Cette symbolique avait une version tragique qui est bien con
nue, l'altération de la pensée et de la personne par laquelle une
nouvelle image de soi ou des sentiments est destructrice - le motif
des vêtements dans King Lear par exemple , ou le mouchoir
d'Othello.
Dans les comédies, elle représentait au contraire l'union béné
fique de l'imaginaire et du réel; les métaphores de filage et de
tissage symbolisent le rêve. Le personnage de A Midsummer Night ' s
Dream (c. 1595), acteur de la "pièce dans la pièce" - illusion ou
réalité -, qui a le rêve le plus extraordinaire, est Bottom, le
tisserand dont le nom signifie "bobine". La description de son
rêve est faite d'expressions hyperboliques qui dépendent de la mê- - 47
me thématique; à son réveil, il déclare :
man is but a patched fool if he will offer to say
what methought I had (IV. i. 208-9) .
Expliquer le rêve du tisserand (déjà image de tissage) serait de
venir un fol avec son vêtement bariolé caractéristique (autre image
de même registre, mais statique et conventionnelle) . Puis viennent
des formules parodiées de phrases bibliques, et enfin, image finale
d1 inversion,
it shall be called "Bottom's Dream", because it has
no bottom (IV. i. 214-5) ,
I fi ) autre sens de "bottom" par lequ,el le tissage des rêves devient
illimité.
Les rêveries fugaces des personnages de Twelfth Night
(c. 1601) sont aussi comparées au travail de l'étoffe; la chanson
death" est, dit Orsino, de celles que répètent les fi- "Come away
leuses :
The spinsters and the knitters in the sun,
And the free maids that weave their thread with bones
Do use to chant it (II. iv. 44-6) .
Ce passage est cité dans The Years (193 7) de Virginia Woolf ("Pre
sent Day") sous la forme
Spinners and sitters in the sun.
Il n'y est pas isolé par des guillemets ou par une allusion à la
source, et le soleil, chez Shakespeare évocation concrète, est
annoncé dans la phrase précédente de The Years par le mot "bask"
pris d'abord de façon figurée; il est entièrement inséré dans le
réseau de sens du texte, et universalisé en symbole irradiant. Dans
Twelfth Night, Feste, après avoir chanté cet air, associe explici
tement le vêtement et l'esprit d' Orsino parce qu'ils sont chan
geants :
the tailor make thy doublet of changeable taffeta,
for thy mind is a very opal (II. iv. 73-5) ,
comparaison empruntée à Lyly dans Euphues
Dans The Tempest (1611) , où tout est symbole imaginatif ,
Prospero conclut : - - 48
We are such stuff
As dreams are made on (IV. i. 155-6) .
L'étoffe devient ce qui assimile l'humanité au rêve; la puissance
des vers vient de ce que des métaphores habituellement employées
pour suggérer une différence entre le réel et l'imaginaire (les
métaphores voisines du théâtre, celle du vêtement et celle du
rêve servent souvent à souligner cet écart) sont ici au contraire
image de leur fusion essence de l'humanité.
L'image de l'étoffe des rêves fut reprise par Coleridge
qui en fit le lien entre deux thèmes symétriques depuis longtemps,
la tristesse et la fantaisie; dans Dejection ; An Ode (1802) , il
écrivit :
And all misfortunes were but as the stuff
Whence Fancy made me dreams of happiness
(VI. 78-9) .
Le travail par lequel l'humanité produit sa propre image
fut représenté par les figures emblématiques des animaux qui se
filent un vêtement à partir d'eux-mêmes. Le ver à soie et l'arai
gnée furent pour les écrivains du 17ème siècle des métaphores re
flexives parce que ces animaux tirent d'eux-mêmes une substance
qui devient un tissu en dehors et qu'inversement l'araignée trans
forme en elle-même ce qu'elle absorbe - deux phénomènes d'échange
entre l'intérieur et l'extérieur (le contenant et le contenu),
analogues à la pensée.
Le passage célèbre sur le ver à soie dans The Revenger ' s
Tragedy de Tourneur (ou de Middleton) (c. 1607), prononcé par
Vindice

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents