Réalisme catholique et sociologie de la Révolution : le projet historiographique d Augustin Cochin (1909-1916) - article ; n°1 ; vol.7, pg 163-206
45 pages
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Réalisme catholique et sociologie de la Révolution : le projet historiographique d'Augustin Cochin (1909-1916) - article ; n°1 ; vol.7, pg 163-206

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Description

Cahiers Georges Sorel - Année 1989 - Volume 7 - Numéro 1 - Pages 163-206
44 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Monsieur Fred E. Schrader
Augustin Cochin
Nia Perivolaropoulou
Michel Prat
Réalisme catholique et sociologie de la Révolution : le projet
historiographique d'Augustin Cochin (1909-1916)
In: Cahiers Georges Sorel, N°7, 1989. pp. 163-206.
Citer ce document / Cite this document :
Schrader Fred E., Cochin Augustin, Perivolaropoulou Nia, Prat Michel. Réalisme catholique et sociologie de la Révolution : le
projet historiographique d'Augustin Cochin (1909-1916). In: Cahiers Georges Sorel, N°7, 1989. pp. 163-206.
doi : 10.3406/mcm.1989.985
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_0755-8287_1989_num_7_1_985DOCUMENTS
Réalisme catholique
et sociologie de la Révolution :
le projet historiographique
d'Augustin Cochin (1909-1916)
FRED E. SCHRADER
Dans l'historiographie courante, Augustin Cochin (1876-1916),
du fait de ses convictions monarchistes et catholiques, est rangé
sans autre forme de procès dans la tradition de la théorie du
complot de l'abbé Barruel. Plus particulièrement, il représente
Г opposant à l'histoire républicaine de la Révolution, inaugurée
par Aulard et Mathiez qui en auraient depuis longtemps fini
avec ses thèses. Bref, il apparaît comme une figure plutôt peu
sérieuse, au mieux comme une curiosité marginale. L'ignorance
délibérée des archives de Cochin dans le débat, latent ou ex
plicite, qui, depuis plus de dix années, entoure son nom, atteste
qu'il ne s'agit là pas plus de lui que d'histoire1. Le texte qui
suit vise à définir la position intellectuelle de Cochin en déga
geant ses dimensions biographique, socio-historique et historio
graphique, et à situer ainsi dans leur contexte les documents pub
liés ici pour la première fois.
On ne peut comprendre le discours historiographique d'Aug
ustin Cochin sans prendre en compte la place occupée par sa
1. Cf. par exemple, M, Gallo, Lettre ouverte à Maximilicn Robes
pierre sur Us nouveaux muscadins, Paris, Albin-Michel, 1986.
Pour une première description des archives de Cochin, voir F.
Chassagne, La pensée d'Augustin Cochin, Mémoire, Université
de Paris II, 1980 ; plus généralement sur A. cf. F. E.
Schrader, « Sociétés de pensée zwischen Ancien Régime und Fran-
zosischer Revolution », Francia, 12, 1986, pp. 571-608, et la bio
graphie intellectuelle à paraître aux éditions du Seuil en 1990.
163 famille dans la constellation politique de la IIIe République.
Les Cochin, enracinés depuis des générations dans la grande
bourgeoisie parisienne, sont alors libéraux, catholiques et monarc
histes, c'est-à-dire orléanistes. Son père, Denys Cochin (1851-
1922), voit dans la monarchie constitutionnelle un idéal politique,
dans la mesure où celle-ci exige l'Etat le plus faible possible.
Le catholicisme notoire de la famille s'exprime dans son enga
gement politique et social : la religion, à l'origine le jansénisme,
motive ses activités de bienfaisance; politiquement, elle repré
sente le parti catholique. Mais, d'autre part, ce catholicisme
conserve toujours un caractère intellectuel, qui lui permet de
se démarquer des positions officielles de l'Eglise 2.
Le catholicisme des Cochin n'a rien du fondamentalisme ca
tholique s'opposant au protestantisme, à l'athéisme, à la Libre-
Pensée ou aux sciences, fondamentalisme tenu pour ridicule sous
la IIP République. Une telle attitude défensive est nécessaire
ment insatisfaisante sur le plan intellectuel. Aussi le chef de fa
mille, Denys Cochin, devenu un biochimiste de renom par goût
scientifique, membre de l'Académie française, s'efforce-t-il d'in
tégrer le progrès des sciences de la nature dans le catholicisme 3.
Touché entre 1S85 et 1888 par la laïcisation de l'Hôpital
Cochin, fondé avant la Révolution par Jean Denis Cochin,
Denys Cochin crée la Ligue de l'enseignement libre. Son domic
ile parisien se transforme en centre d'information en vue d'or
ganiser un enseignement privé sous la nouvelle législation —
centre, d'ailleurs, ouvert aux protestants et aux juifs. Durant
l'année du Centenaire de la Révolution, il se présente comme
candidat aux élections dans le 7e arrondissement contre le ra
dical Frébault et le boulangiste Mermieux, l'éditeur de la Cocarde.
Non seulement les monarchistes misent sur Boulanger, mais
l'Eglise lui retire au dernier moment son soutien — erreur d'ap
préciation politique, sinon historique, décisive pour Cochin, car
Boulanger représente une nouvelle gauche démagogique-populi
ste, et nullement une véritable position conservatrice. Dans l'af
faire Dreyfus, il agit également de façon tout à fait personnelle.
Au lieu de défendre la droite, il cherche à fournir la preuve que,
non seulement dans ce cas mais aussi généralement, le catho-
2. Sur l'histoire de la famille Cochin, cf. L.-H. Winnie, Aegis
of the bourgeoisie : the Cochins of Paris, 1750-1922, Doctoral dis
sertation. University of Michigan, 1988.
3. Cf. D. Cochin, L'évolution de la vie, Paris, G. Masson, 1886.
164 licisme n'est pas antisémite, tout au moins pas plus que les répu
blicains eux-mêmes4.
Cependant, c'est déjà là un combat d'arrière-garde. Il consi
dère dans l'immédiat la cause conservatrice, monarchiste-libérale
comme perdue. Le parti conservateur devient, pour lui, «une
médiocre et bourgeoise réaction », au sein de laquelle il ne peut
plus reconnaître aucun chef naturel. Dans le même temps, il
accuse la République, en la personne de ses radicaux de gauche,
socialistes, libre-penseurs et franc-maçons, syndicalistes révolu
tionnaires et anarchistes, de mettre en danger ses propres insti
tutions. «Je ne suis plus du parti», écrit-il résigné, dans une let
tre à Aynard en 1902. « Je salue ma patrie sous la République
comme j'aurais salué ma mère, si je l'avais rencontrée en hail
lons. J'accepte cette fatalité aussi sincèrement que vous quoi-
qu'avec plus de chagrin 5. » La famille récuse l'Action française
de la même façon que le boulangisme, à cause du caractère
areligieux du mouvement et de ses formes d'organisation poli
tique. Ce n'est qu'avec l'éclatement de la guerre que Denys
Cochin se voit chargé, en tant que ministre du blocus, d'une
nouvelle tâche politique. Il est le seul monarchiste à pouvoir ac
cepter une telle tâche à côté de républicains et le seul, inverse
ment, à pouvoir être accepté par eux. Il échouera pourtant dans
sa tentative de médiation avec le Vatican et démissionnera en
1917.
En philosophie, Denys Cochin s'affirme disciple de Descartes.
Il s'agit pour lui de cultiver le doute dans le but d'assurer l'exis
tence de Dieu. Par là, ce n'est pas seulement la pensée de l'homme
empirique qui se trouve assurée et conservée, mais l'homme lui-
même dans son existence physique. « Si le peu que nous som
mes, le peu d'idées que nous avons, étant cependant une chose
qui pense, existe à l'état parfait dans une intelligence infinie,
nos médiocres vues, nos petites conceptions continueront à n'al
ler pas très loin, mais au moins ne recevront pas de démenti 6. »
Cette réserve intellectuelle systématique est d'autant plus remar
quable que Denys Cochin connaît l'œuvre de Spinoza. Il mép
rise des philosophes tels que Kant, Fichte, Hegel, Marx, Scho
penhauer et Nietzsche. Un criticisme à la mode lui paraît encore
4. Cf. correspondance de D. Cochin, Archives Cochin, Ga 89.
5. Lettre de Denys Cochin à Edouard Aynard, s.d. (1902), Ar
chives Cochin, Ga 73.
6. D. Descartes, Paris, Alcan, 1913, p. 72.
165 plus acceptable que d'ériger l'intelligence empirique en absolu,
en totalité.
Pour ce qui concerne la théorie de la société, Denys Cochin
opère une synthèse de sa philosophie avec son catholicisme et
son libéralisme. Il rejette la tradition du droit naturel, et plus
particulièrement la conception d'un contrat social. Il plaide
pour une forme de représentation parlementaire, mais non pour
une démocratie parlementaire conséquente, qui exigerait avec
le suffrage universel trop des hommes: par l'acte du vote, ils
créent un être abstrait, qu'ils ne peuvent plus maîtriser et qui,
au contraire, les domine de façon absolue et totalitaire. Le
L

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