La Suisse et l Europe - article ; n°1 ; vol.37, pg 72-83
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Autres Temps. Les cahiers du christianisme social - Année 1993 - Volume 37 - Numéro 1 - Pages 72-83
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 24
Langue Français

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Philibert Secretan
La Suisse et l'Europe
In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°37, 1993. pp. 72-83.
Citer ce document / Cite this document :
Secretan Philibert. La Suisse et l'Europe. In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°37, 1993. pp. 72-83.
doi : 10.3406/chris.1993.1568
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_1993_num_37_1_1568LA SUISSE ET L'EUROPE
Philibert Secretan
I
Le refus, prononcé le 6 décembre 1992 par une faible majorité du
peuple suisse et une majorité massive des Cantons, d'adhérer à l'Espace
Économique Européen donne à réfléchir ; notamment à un Suisse
romand, de culture française, dont l'allemand est la seconde langue de
travail, mais qui parfois se sent plus à l'aise en Allemagne qu'en Suisse
alémanique ; à un auteur de surcroît, qui, il y a une trentaine d'années,
exprimait son sentiment sur la Suisse, pour son malheur dans une revue
française — Esprit — , en des termes qui déplurent à l'intelligenzia
« officielle », mais qui aujourd'hui feraient beaucoup moins grincer les
dents. La Suisse, en effet, a changé. L'autosatisfaction helvétique s'est
émoussée après la découverte des dessous de l'« État fouineur » fichant
tous ceux qui ne pensaient pas « comme il faut » ; les certitudes portant
sur les valeurs « essentielles » du pays ont été ébranlées par une votation
où l'on a vu un bon tiers des citoyens accepter l'idée d'une Suisse sans
armée ; certaines violences à l'égard de requérants d'asile, rappelant le
refoulement des Juifs durant la deuxième guerre mondiale, ont fait
resurgir le « vilain côté » de la Suisse égoïste ; enfin le virage du
gouvernement de la Confédération en matière d'ouverture à l'Europe a
troublé des esprits peu à l'aise dans une Suisse qui ne serait plus un « cas
particulier » — un « Sonderfall » — , et qui serait contrainte de s'aligner
sur la condition de n'importe quel autre État d'Europe, c'est-à-dire une
condition jugée inférieure en qualité économique, sociale et morale.
Par ailleurs, une large part de la jeunesse, mieux habituée à regarder
autour d'elle, entraînée comme tous les jeunes du monde à voyager, à
communiquer, à échanger autre chose que des marchandises et des
devises plus ou moins propres, aspire à une véritable ouverture de la
Suisse. On réclame une « pensée nouvelle », une révision des valeurs ;
Philibert Secretan est professeur de philosophie à l'Université Catholique de Fribourg
(Suisse).
72 non pas dans une ambiance révolutionnaire, mais avec la touche certes,
de réalisme qu'il faut pour ne pas se laisser emporter par les rêves. C'est
ainsi que dès le 7 décembre, dès le lendemain du « dimanche noir » —
comme disait un des principaux artisans de l'accord sur la CEE,
M. Jean-Pascal Delamuraz — , c'est un Comité de jeunes qui lança un
projet de référendum pour une nouvelle votation sur l'EEE. La décept
ion était largement partagée dans une jeunesse inquiète, qui se sentait
privée de possibilités d'études et de travail, empêchée de profiter
largement des initiatives européennes.
Le vote négatif de la Suisse n'a heureusement pas entamé la détermi
nation des principaux Conseillers fédéraux1 de maintenir le cap sur
l'adhésion à la Communauté européenne, tout en en gelant provisoir
ement la demande, d'observer l'évolution de l'EEE qui peut-être cessera
d'exister avec les adhésions successives des membres de l'AELE à la CE,
et d'attendre que des conditions plus favorables rendent recevable par le
peuple une politique européenne revitalisée. L'hypothèse heureusement
exclue est celle d'une « marche solitaire » — de l'« Alleingang » —
présentée par les propagandistes du NON comme la véritable voie
suisse, mais qui dès le lendemain du vote négatif a provoqué, jusque
dans leurs rangs, une « peur de leur propre courage » véritablement
salutaire.
La conjoncture des forces qui ont milité pour le NON peut se décrire
comme l'accord objectif de deux tendances idéologiquement contraires
et pourtant convergentes. On a d'une part une portion du capital
industriel moyen — notamment représentés par MM. Blocher et Frey —
qui rêvent d'un libre commerce avec les États-Unis et le Japon ou les
marchés d'Extrême-Orient, sans aucune contrainte européenne ; et
d'autre part un refus craintif des voisins immédiats que sont pour les
Alémaniques l'Allemagne, pour les Tessinois l'Italie et la Ligue lombard
e, alors que les Romands sont sans crainte ni ressentiment à l'endroit de
leurs voisins français.
D'un côté donc une ambition économique qui devait stimuler le culte
suisse de la perfection dans la productivité — « Nos produits l'emporte
ront parce que ce sont les meilleurs, et ce sont les meilleurs parce que
nous avons les meilleures écoles, les meilleurs ingénieurs, les meilleurs
ouvriers ». De l'autre côté, une même certitude, mais repliée sur des
valeurs traditionnelles. Ainsi, en Suisse alémanique, le refus de l'all
emand littéraire au profit des dialectes régionaux, et cela jusque dans les
relations confédérales, c'est-à-dire avec des Romands ou des Tessinois
qui pourtant ne sont pas censés savoir parler ou comprendre le rugueux
et parfois encore médiéval « allemand des Suisses ».
73 portion des Suisses désireux de s'ouvrir à l'Europe, puissamment La
majoritaires en Suisse romande et honnêtement majoritaires dans les
grandes villes de Suisse alémaniques (Zurich, Bâle, Berne, Lucerne),
mais très minoritaires dans les nombreux petits cantons plus agrestes et
alpins de la Suisse intérieure, s'est donc sentie flouée par des forces
disparates ; disparates parce qu'elles représentent moins des énergies
agissantes, avec lesquelles compter sur l'échiquier politique et idéologi
que, que des mentalités, parfois diffuses, parfois pugnaces, auxquelles le
découpage cantonal de la Suisse intérieure a fini par donner une
consistance politique 2.
Je m'explique : sur l'échiquier politique et idéologique, c'est-à-dire
tant au Parlement fédéral (Conseil national et Conseil des États) que
dans les Parlements cantonaux (il y en a vingt-six), le projet d'adhésion
de la Suisse à l'EEE était approuvée. Aucun parti important ne militait
pour le NON. La démocratie directe a pourtant déjoué ce consensus des
partis et des Parlements, parce que cette votation n'allait pas confirmer
des options politiques déjà présentées par les parlementaires et assumées
par les partis, mais allait exprimer des sentiments tels qu'ils étaient
ressentis par les diverses portions du peuple comme une angoisse ou
comme un espoir. Angoisse contre espoir ; et pas seulement droite
contre gauche ou partisans d'une politique préférable à une autre.
Le peuple appelé à voter faisait-il la différence entre la Communauté
européenne et l'Espace Économique Européen, entre ce traité de
l'EEE, qui liait l'AELE et la CE, et le Traité de Maastricht ? Il crut
percevoir dans le Non danois un signe du droit au courage, et dans le
faible Oui de la France un indice de fragilité de l'Europe. Or le Suisse
n'aime pas les choses fragiles... Il préfère le granit de ses Alpes.
Les Suisses qui ont voté NON savaient-ils que la Confédération avait
contribué à fonder l'Association Européenne de Libre Échange
(AELE) ? Ils n'avaient pas eu à voter là-dessus ; ces traités ne menaç
aient pas la neutralité. Savaient-ils que par certains aspects le traité sur
l'EEE n'était que l'aboutissement de la politique suivie dans le cadre de
l'AELE ? Comprenaient-ils l'extraordinaire et diligent travail auquel se
sont attelés nos juristes pour harmoniser droit suisse et droit européen ?
Mais cette ignorance est-elle coupable ? N'y a-t-il pas eu un virage
trop brutal, de la part du Conseil fédéral, lorsqu'il décida d'entamer des
négociations avec l'EEE, défendant âprement les intér&#

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