Le retour au Parlement des anciens membres du gouvernement
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Le retour au Parlement des anciens membres du gouvernement

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Le retour au Parlement des anciens membres du gouvernement
1 –
Les intentions des auteurs de la Constitution
En prévoyant l’incompatibilité du mandat parlementaire avec les fonctions
gouvernementales, l'article 23 de la Constitution de 1958 renouait avec
le système de la
Révolution et du Second Empire et s’inscrivait en rupture par rapport à la tradition
parlementaire des III
e
et IV
e
Républiques qui conduisait à choisir les ministres, sauf rares
exceptions, parmi les membres des assemblées (on sait, par ailleurs, qu'en Grande-Bretagne,
un ministre ne peut pénétrer dans une des deux chambres sans en être membre...).
. Les parlementaires nommés ministres continuaient ainsi à siéger et à voter dans leur
assemblée tout en participant au gouvernement. Il pouvait même leur arriver de voter contre le
gouvernement auquel ils appartenaient comme ,en avril 1947, les ministres communistes qui
participaient au cabinet Ramadier.
Comme l'expliquent Jean et Jean-Éric Gicquel (
Droit constitutionnel et institutions
politiques
, Montchrestien, 22° ed.,p.614) : « pour l’essentiel cette règle trouve sa justification
dans la volonté du Général de Gaulle de favoriser la stabilité gouvernementale en mettant un
terme à la course aux portefeuilles, génératrice de crises (…), en libérant le ministre de ses
attaches partisane et locale (…) », ainsi que « d’émanciper l’exécutif de la tutelle des
assemblées, de manière à disposer de ministres à temps complet ».
Michel Debré, en 1958, justifiait l'article 23 par la nécessité « d'éviter la déviation du
contrôle parlementaire en une toute-puissance du Parlement, c'est-à-dire la confusion des
pouvoirs... C'est-à-dire la réduction du gouvernement au rang d'un infirme ».
Ainsi, comme le relève Dominique Turpin (
Droit constitutionnel
, PUF, 2°édition,
2007,p.675) : « il apparaît qu'en réalité l'incompatibilité a d'abord été instituée au profit du
Parlement, pour le protéger contre les débordements de l'exécutif (ce qui explique sa présence
dans les constitutions révolutionnaires et son absence dans celle du Consulat et
du Premier
empire ainsi que dans les Chartes monarchiques) ; puis, dans un second temps, au profit du
gouvernement afin d'assurer sa stabilité contre les entreprises d'un Parlement hégémonique. »
On peut aussi se demander si ce système d'incompatibilité n'aboutit pas à « accroître la
dépendance des ministres à l'égard du Premier ministre et (hors cohabitation) du Président qui
peuvent les démettre à tout moment », renforçant ainsi leur subordination. (Philippe Ardant et
Bertrand Mathieu,
Institutions politiques et de droit constitutionnel
,LGDJ, 20e éd.,
2008,p.499).
Quoi qu'il en soit, le régime des incompatibilités entre fonctions ministérielles et
parlementaires a conduit à instituer des suppléants destinés à remplacer les parlementaires
nommés au gouvernement (ou au Conseil constitutionnel ou ceux qui poursuivent une «
mission » au-delà de six mois, ou ceux qui viennent malheureusement à décéder en cours de
mandat) « jusqu’au renouvellement général ou partiel de l’assemblée à laquelle ils
appartiennent ». Le parlementaire nommé au gouvernement disposait d'un délai d'un mois à
partir de sa nomination pour opter entre ses deux fonctions.
Si, au terme de ce délai il n'avait pas manifesté l'intention de renoncer à faire partie du
gouvernement, le suppléant terminait donc le mandat en cours.
Jusqu'à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 l’ancien membre du
gouvernement ne pouvait retrouver dans l’immédiat son siège de parlementaire qu’en faisant
preuve de conviction auprès de son suppléant pour provoquer sa démission et, par là même,
des élections partielles anticipées. Cette solution ne valait évidemment que pour les députés
où les sénateurs élus au scrutin uninominal. En effet, pour les sénateurs élus au scrutin de liste
(représentation proportionnelle), la démission du remplaçant avait seulement pour effet de
permettre au suivant de liste de devenir parlementaire.
Le suppléant était d’ailleurs dissuadé de refuser sa démission dans cette hypothèse
puisque le code électoral prévoit qu’il ne peut se présenter contre l’ancien titulaire du mandat
lors de l’élection suivante (article L.O.135 pour les députés et L O. 296 pour les sénateurs).
Un « suppléant rebelle », outre l’opprobre qu’il aurait pu susciter pour attitude jugée
« déloyale », ou à tout le moins inélégante, ne pouvait donc aucunement espérer être réélu
dans la même circonscription contre le titulaire initial du mandat.
Le système, à l'évidence, générait des complications excessives ; ainsi, l'interdiction
pour un parlementaire nommé ministre de participer au scrutin de son assemblée pendant le
délai d'option d'un mois conduisait, en cas de majorité étroite, soit à différer la nomination des
ministres pour que tous les députés de la majorité puissent participer à l'élection des organes
dirigeants de l'assemblée nationale ( en 1967), soit à conduire les ministres venant d'être
nommés à démissionner de leurs mandats de député à la veille de la rentrée parlementaire
pour permettre à leurs suppléants de siéger immédiatement (en 1986).
Par ailleurs, à l'usage, le régime des incompatibilités n’a pas répondu aux attentes des
constituants. La séparation des fonctions parlementaires et gouvernementales est restée,
comme on le sait, plus formelle que réelle. Le parlementaire nommé au gouvernement
continue d’entretenir des rapports étroits avec sa circonscription d’origine dont il se considère
toujours
de facto
comme le représentant. Il sait que les fonctions ministérielles sont par nature
aléatoires et souvent éphémères et qu'il lui faudra, s'il veut poursuivre sa carrière politique,
affronter à nouveau le suffrage universel. Le suppléant en est ainsi réduit quant à lui à un rôle
de « garde-place », et les élections partielles provoquées par sa démission de convenance
constituent le plus souvent une simple formalité pour l’ancien ministre, en même temps
qu’elles connaissent d’ailleurs généralement des taux d’abstentions très élevés.
2 –
Les motifs de la réforme
Dans ces conditions, il apparaît naturel que l’on ait depuis longtemps cherché à
simplifier le système
Déjà, en 1973 une propositions de loi constitutionnelle déposée à l'Assemblée
nationale par M. Achille Peretti prévoyait de substituer au remplacement définitif du
parlementaire devenu ministre par son suppléant un simple remplacement temporaire. L'année
suivante, Valéry Giscard d’Estaing engageait une révision constitutionnelle permettant aux
anciens ministres de retrouver automatiquement leur siège de parlementaire. Adopté en même
temps que la réforme de l'élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés
ou 60 sénateurs, il apparut alors que ce projet n’obtiendrait pas la majorité des 3/5 au Congrès
pour être ratifié, du fait de l'opposition d’un certain nombre de parlementaires « gaullistes »
(dont Michel Debré) qui considéraient, à tort ou à raison , qu’une telle réforme remettait en
cause l’un des acquis essentiels de la V
e
République, voulu par le général De Gaulle lui-
même, à savoir, à travers ce mécanisme, l’autonomie du gouvernement à l’égard du
Parlement. Un referendum sur ce sujet étant politiquement exclu, il ne restait alors au
Président de la République qu’à abandonner cette réforme…ce qui fut fait.
Le Parlement lui-même essaya bien de l’imposer en 1977 sous la forme de lois
organiques modifiant
l'ordonnance du 7 novembre 1958, qui prévoyaient que l’ancien
membre du gouvernement avait la faculté de reprendre l’exercice de son mandat
parlementaire sans élection en cas de décès ou de démission de son remplaçant. Fort
logiquement, le Conseil constitutionnel prononçait la censure de ces textes au motif que
l’article 25 C. avait entendu donner au remplacement un caractère définitif et qu’un
parlementaire remplacé « pour cause d’acceptation d’une fonction ou mission incompatible
avec son mandat perd définitivement sa qualité de membre du Parlement et ne saurait la
retrouver qu’à la suite d’une nouvelle élection » (déc. 77-80/81 du 5 juillet 1977).
Une révision constitutionnelle était donc bien nécessaire, comme le préconisait
d’ailleurs en son temps le Comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le
doyen Vedel dans son rapport du 15 février 1993 (
J.O.R.F.
16 février 1993, pages 2543).
Le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des
institutions de la Ve république présidé par Édouard Balladur, considérait quant à lui que « le
recours à des élections partielles provoquées après qu'un ministre a quitté ses fonctions
gouvernementales, par la démission « forcée » du parlementaire élu en même temps que lui en
qualité de suppléant revêt un caractère artificiel... »
et qu’ « il y a quelque inconséquence à
prévoir que les anciens ministres d’origine non parlementaire peuvent sans délai retrouver
leurs activités professionnelles antérieures et à interdire qu’il en aille de même pour ceux qui,
avant leur entrée au gouvernement, exerçaient un mandat parlementaire ». Ainsi, le système
du remplacement temporaire doit permettre, selon le Comité, de « renforcer l'autorité des
ministres et de favoriser un renouvellement plus apaisé des membres du gouvernement. »
(
Une Ve république plus démocratique
, La documentation Française, Fayard, Paris,
2007,p.28).
En outre, comme le soulignait Jean-Luc Warsmann à l'occasion de l'examen du projet de
révision constitutionnelle, il semblait discutable de priver « les assemblées parlementaires du
concours de certaines de leurs membres désignés en première ligne par le suffrage universel,
alors même qu'ils ont cessé d'accomplir une fonction incompatible avec l'exercice de leur
mandat. » (Rapport n° 892, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de
l'administration générale de la République que sur le projet de loi constitutionnelle de
modernisation des institutions de la Ve république,A.N.,pp..209-216)
Sur ce point, la révision constitutionnelle constitue donc, l’aboutissement d’une série
de propositions jusqu’ici avortées concernant une réforme présentée comme un exemple de
« résistance au changement constitutionnel » (G. Morin,
RDP
1979, p. 1559).
3-
Les modalités d'application de la réforme
Le caractère effectif de la nouvelle disposition constitutionnelle était subordonné à l’entrée en
vigueur d'une loi organique (article 46 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008,
paragraphe III). Celle-ci détermine avec précision les conditions du remplacement temporaire
des parlementaires nommés au gouvernement.
Se posait notamment la question du délai dans lequel il doit être mis fin au remplacement
temporaire du parlementaire qui cesse d'exercer ses fonctions gouvernementales. Le projet de
révision constitutionnelle d'octobre 1974 avait quant à lui prévu un délai de six mois entre la
fin de l'exercice des fonctions gouvernementales et le retour au Parlement . Le rapport Vedel
en 1993 prévoyait aussi un délai de cet ordre. La loi organique fixe un délai beaucoup plus
court, puisque le remplaçant du parlementaire devenu ministre devra s'effacer à l'expiration
d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions gouvernementales. Certes, la relative
brièveté de ce délai est de nature à éviter la prolongation d'une situation « intermédiaire » sans
doute peu satisfaisante pour le remplaçant, mais elle ne lui permet pas non plus de disposer de
suffisamment de temps pour une éventuelle reconversion. C'est pourquoi il a été envisagé de
maintenir pendant une durée de six mois le bénéfice des indemnités parlementaires au
remplaçant obligé de céder son siège.
Beaucoup plus favorable à l'ancien membre du gouvernement , le délai d'un mois est
suffisamment long pour laisser à ce dernier le temps de la réflexion
pour choisir ou non
d'assurer à nouveau son mandat parlementaire. Il est prévu en effet que l'ancien ministre
puisse renoncer à exercer le droit que lui ouvre la Constitution de retrouver son siège de
parlementaire, auquel cas son remplacement devient définitif.
La loi organique distingue par ailleurs le cas du remplacement temporaire des députés
et des sénateurs élus au scrutin uninominal, par leurs suppléants élus en même temps qu’eux
et celui des sénateurs élus au scrutin de liste lorsqu'ils sont nommés au gouvernement.
S'agissant de ces derniers, il est prévu que le sénateur nommé au gouvernement est remplacé
par le candidat venant sur la même liste que lui immédiatement après le dernier candidat élu.
Comme le prévoient les articles LO322 et L324 du code électoral, lorsque la liste est épuisée,
il est procédé à des élections partielles dans un délai de trois mois (sauf dans l'année qui
précède un renouvellement partiel du Sénat.) Le cas a été prévu ou, postérieurement au
remplacement d’un sénateur nommé au gouvernement et avant l'expiration du délai d'un mois
suivant la cessation de ses fonctions un ou plusieurs remplacements ont eu lieu sur la même
liste, certains temporaire (acceptation de fonctions gouvernementales) et d'autres définitifs
(décès, élection comme député...). Dans cette hypothèse, la loi organique prévoit que le
caractère temporaire du remplacement s'applique « au candidat de la liste qui est devenue
sénateur le plus récemment). Comme le souligne le rapport de la Commission des lois « il
paraît en effet légitime qu'il revienne au dernier candidat de la liste devenu sénateur de laisser
sa place lors qu'un ancien membre du gouvernement élu sur sa liste revient au Sénat. Le
caractère temporaire du remplacement a pour conséquence implicite que, lorsque le
remplacement prend fin, le sénateur appelé à laisser sa place deux premiers candidats non élus
sur la liste. » (Rapport n°1146 de M. Charles de La Verpillière au nom de la Commission des
lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur le
projet de loi organique (n° 1110) portant application de l'article 25 de la Constitution, déposée
le 8 octobre 2008, A.N.pp.27-30 ).
4-Les effets politiques de la réforme
S'agissant des conséquences politiques de cette réforme, l’avantage , du point de vue
du Président de la république et du Premier ministre est
sans doute d’éviter l’organisation
d’élections législatives partielles lorsque des ministres doivent quitter le gouvernement et
souhaitent retrouver leur siège de parlementaire. Même s’il est exceptionnel qu’un ancien
ministre soit battu à cette occasion (l’ancien Premier ministre Maurice Couve de Murville
essuya cependant un échec face à Michel Rocard en 1969…), ce type d’élection peut
présenter un risque dans une période de forte impopularité du gouvernement et un échec,
voire une élection acquise de justesse, peut apparaître alors comme une forme de désaveu de
l’ensemble de l’exécutif.
Rappelons pour l'immédiat, à cet égard, que le « Comité Balladur » avait recommandé que la
nouvelle disposition de l’article 25 de la Constitution ne s’applique qu’aux membres du
gouvernement nommés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi organique permettant
l’application de la révision constitutionnelle . Finalement, l'article 46, paragraphe III, de la loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008 confère au contraire à l'article 25 C. une portée rétroactive.
Il est prévu en effet que la réforme s'appliquera aux députés et sénateurs ayant accepté des
fonctions gouvernementales antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi organique
si, à cette même date ils exercent encore ces fonctions et que le mandat parlementaire pour
lequel ils avaient été élus n'est pas encore expiré. Voilà qui est en tout cas de nature à faciliter
le prochain remaniement ministériel en offrant aux ministres qui quitteront le gouvernement
une sorte de « parachute » que l'on hésite à qualifier de « doré »...
De ce point de vue en effet, on peut penser qu'il sera plus facile au Président de la République
et au Premier ministre de se séparer d'un membre du gouvernement antérieurement détenteur
d'un mandat parlementaire, sachant qu'il retrouvera automatiquement ce dernier.
On peut se demander, par ailleurs, et en sens inverse, s'il ne sera pas également plus facile à
un ministre de s'écarter de la solidarité gouvernementale dans la mesure où sa démission du
gouvernement ne l’ obligera pas à affronter le suffrage universel pour retourner au Parlement.
En définitive, s’il est apparu souhaitable de conserver la règle de l’incompatibilité
entre fonctions gouvernementales et mandat parlementaire, afin de mieux garantir, en tout cas
en théorie, la séparation des pouvoirs et afin que les ministres puissent se consacrer à plein
temps et sans arrières pensées à leur tâche, on peut se demander s'il n eût pas été également
justifié, de ce point de vue, d’étendre le régime des incompatibilités à tous les mandats électifs
locaux (comme le proposait le «
Comité Balladur »), ou, à tout le moins, aux fonctions
exécutives locales (comme le suggérait la « Commission Vedel »), quitte, là encore, à
permettre aux intéressés de reprendre le cours de leur mandat après leur départ du
gouvernement. Cette réforme là attendra… sans doute longtemps encore.
André Roux
Professeur à l 'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence
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