La théorie mathématique de la combinaison chimique d'André-Marie Ampère/André-Marie Ampere's mathematical theory of chemical combination - article ; n°3 ; vol.47, pg 309-352

Robert Locqueneux, Myriam Scheidecker-Chevallier

Description

Revue d'histoire des sciences - Année 1994 - Volume 47 - Numéro 3 - Pages 309-352
RÉSUMÉ. — En 1814, Ampère publie une théorie de la combinaison chimique des corps qu'il fonde sur la science des cristaux de Hauy, sur « les résultats de belles expériences » de Gay-Lussac et sur une hypothèse « sur la proportionnalité entre les volumes des gaz et leur nombre de particules ». A la même époque, il met en évidence, en philosophie, les rôles de l'abstraction et des « rapports » dans les connaissances humaines ; ces concepts éclairent la mathématisation mise en œuvre dans cette théorie chimique. Bien que conçue tardivement, la classification des sciences d'Ampère nous aide à situer, rétrospectivement, la théorie des combinaisons chimiques dans les sciences mathématiques et physiques.
SUMMARY. — In 1814, Ampère published his theory of the chemical combinations of substances. This theory is based on the cristallography of Hauy, on the experimental results of Gay-Lussac and on the hypothesis that the number of particles is proportional to the volume of the gas. At the same time, in the area of philosophy, he was scrutinizing the role of abstraction and that of relations in our knowledge of the external world. These concepts help to clarify the mathematical procedure followed in his chemical theory. Although Ampere's classification of the sciences was formulated later, it enables one to locate in retrospect his theory of chemical combination among the mathematical and physical sciences.
44 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sciences et techniques

Informations

• Publié par: REVUE_D-HISTOIRE_DES_SCIENCES
• Publié le: 01 janvier 1994
• Nombre de lectures: 26
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Myriam Scheidecker-Chevallier,
M Robert Locqueneux
La théorie mathématique de la combinaison chimique d'André-
Marie Ampère/André-Marie Ampere's mathematical theory of
chemical combination
In: Revue d'histoire des sciences. 1994, Tome 47 n°3-4. pp. 309-352.
Résumé
RÉSUMÉ. — En 1814, Ampère publie une théorie de la combinaison chimique des corps qu'il fonde sur la science des cristaux
de Hauy, sur « les résultats de belles expériences » de Gay-Lussac et sur une hypothèse « sur la proportionnalité entre les
volumes des gaz et leur nombre de particules ». A la même époque, il met en évidence, en philosophie, les rôles de l'abstraction
et des « rapports » dans les connaissances humaines ; ces concepts éclairent la mathématisation mise en œuvre dans cette
théorie chimique. Bien que conçue tardivement, la classification des sciences d'Ampère nous aide à situer, rétrospectivement, la des combinaisons chimiques dans les sciences mathématiques et physiques.
Abstract
SUMMARY. — In 1814, Ampère published his theory of the chemical combinations of substances. This theory is based on the
cristallography of Hauy, on the experimental results of Gay-Lussac and on the hypothesis that "the number of particles is
proportional to the volume of the gas". At the same time, in the area of philosophy, he was scrutinizing the role of abstraction and
that of relations in our knowledge of the external world. These concepts help to clarify the mathematical procedure followed in his
chemical theory. Although Ampere's classification of the sciences was formulated later, it enables one to locate in retrospect his
theory of chemical combination among the mathematical and physical sciences.
Citer ce document / Cite this document :
Scheidecker-Chevallier, Myriam, Locqueneux Robert. La théorie mathématique de la combinaison chimique d'André-Marie
Ampère/André-Marie Ampere's mathematical theory of chemical combination. In: Revue d'histoire des sciences. 1994, Tome 47
n°3-4. pp. 309-352.
doi : 10.3406/rhs.1994.1209
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1994_num_47_3_1209La théorie mathématique
de la combinaison chimique
d'André-Marie Ampère
Myriam Scheedecker-Chevallier, Robert Locqueneux (*)
RÉSUMÉ. — En 1814, Ampère publie une théorie de la combinaison ch
imique des corps qu'il fonde sur la science des cristaux de Hauy, sur « les résul
tats de belles expériences » de Gay-Lussac et sur une hypothèse « sur la
proportionnalité entre les volumes des gaz et leur nombre de particules ». A la
même époque, il met en évidence, en philosophie, les rôles de l'abstraction et
des « rapports » dans les connaissances humaines ; ces concepts éclairent la mathé-
matisation mise en œuvre dans cette théorie chimique. Bien que conçue tardive
ment, la classification des sciences d'Ampère nous aide à situer, rétrospectivement,
la théorie des combinaisons chimiques dans les sciences mathématiques et physiques.
MOTS-CLÉS. — Abstraction (en chimie) ; classification des sciences ; combi
naison chimique; cristallographie.
SUMMARY. — In 1814, Ampère published his theory of the chemical combin
ations of substances. This theory is based on the cristallography of Hauy, on the
experimental results of Gay-Lussac and on the hypothesis that "the number of
particles is proportional to the volume of the gas". At the same time, in the area
of philosophy, he was scrutinizing the role of abstraction and that of relations in
our knowledge of the external world. These concepts help to clarify the mathemat
ical procedure followed in his chemical theory. Although Ampere's classification
of the sciences was formulated later, it enables one to locate in retrospect his theory
of chemical combination among the mathematical and physical sciences.
KEYWORDS. — Abstraction (in chemistry); classification of the sciences;
chemical combination; cristallography.
Au début du xixe siècle, le concept de combinaison chimique
est élaboré et peu à peu dissocié de celui ď « agrégation » ou
mélange. La question est : les combinaisons chimiques s'opèrent-
(*) Myriam Scheidecker-Chevallier, Université de Nice-Sophia Antipolis, Faculté des
sciences, Laboratoire de chimie organique du fluor, bp71, 06108 Nice Cedex 2.
Robert Locqueneux, Université de Lille I, Groupe d'histoire des sciences, ufr de physique,
Bât. P.5, 59655 Villeneuve d'Ascq Cedex.
M. Bernard Maitte nous a facilité l'approche de l'œuvre de René- Just Haiiy, nous tenons
à l'en remercier ici.
Rev. Hist. Sci., 1995, XLVIII/3-4, 309-352 310 Myriam Scheidecker-Chevallier et Robert Locqueneux
elles en proportions fixes et définies ou variables et indéfinies?
Il semble que seule la connaissance des forces d'affinité régnant
entre les particules pondérables et impondérables qui constituent
la matière permettrait de résoudre cette question. Dans une lettre
à Berthollet publiée en 1814, Ampère va tenter de résoudre cette
question en suivant une voie qui rend inutile la connaissance des
affinités dans la matière. Il utilise la géométrie des cristaux de
Hatiy pour rendre compte de ce que nous sommes tentés de nommer
la structure des édifices chimiques. Mais la cristallographie de Haiiy,
même réinterprétée, ne permet pas, à elle seule, de résoudre le
problème de la combinaison chimique. Ampère, comme les physi
ciens de son temps, suppose que la matière est constituée de cor
puscules pondérables, lesquels sont arrangés de telle sorte qu'il n'y
a pas plus de mouvement dans les liquides et les gaz que dans
les solides. De considérations sur la force expansive du calorique
et sur la disposition des particules dans les gaz, Ampère tire une
« hypothèse » sur la proportionnalité entre le volume des gaz et
le nombre de leurs particules. Cette hypothèse explique les lois
de Gay-Lussac « sur les proportions simples qu'on observe entre
les volumes d'un gaz composé et ceux des composans » et les rend
opératoires : « II suffit (alors) de connaître les volumes à l'état
de gaz d'un corps composé et de ses composans, pour savoir
combien une particule d'un corps composé contient de particules
ou de portions de particules des deux composans (1). »
L'utilisation conjointe de la science des cristaux de Hatiy et
des résultats expérimentaux de Gay-Lussac permet l'élaboration
d'une théorie « géométrique » de la combinaison chimique; en effet
nous verrons, sous la plume d'Ampère, la combinaison chimique
se réduire à une branche de la géométrie. Nous nous proposons,
dans cet article, d'une part d'analyser la démarche intellectuelle
qu'Ampère a suivie pour résoudre ce problème, d'autre part,
d'éclairer cette démarche par sa philosophie des sciences.
I. — La снгмш en France au début du xixe siècle
En France, sous l'Empire, la plupart des physiciens et des chi
mistes adoptent une vision newtonienne du monde, laquelle est
(1) Ampère, 1814a, 43 et 47. En fin d'article, on trouvera une bibliographie fournissant
les références complètes des travaux cités sous forme abrégée dans les notes. Ampère et la combinaison chimique 311
confortée par la mécanique céleste de Laplace et la théorie ch
imique de Lavoisier. Cette « vision du monde » est alors professée
à la Société d'Arcueil par Laplace et Berthollet (2).
Selon Laplace, la matière est formée de corpuscules pondérab
les qui exercent entre eux des forces d'attraction instantanées inver
sement proportionnelles au carré de la distance qui les sépare. Ces
forces sont dans la droite ligne qui joint les corpuscules. Cette
représentation implique que les lois de l'attraction universelle, qui
règlent le cours des planètes, sont valables pour les constituants
de la matière, les molécules pondérables. Si les corpuscules pondér
ables sont source de forces d'attraction, il faut admettre l'exis
tence d'un fluide calorifique impondérable formé de corpuscules
qui se repoussent mutuellement et qui sont attirés par la matière
pondérable. Ce fluide empêche la matière de s'effondrer sur elle-
même. La physique de Laplace admet aussi d'autres corpuscules :
des grains de lumière pour rendre compte des phénomènes opti
ques; des molécules électriques, positives et négatives, pour rend