Aux origines de la communication gouvernementale : Socio-histoire d'un oubli - article ; n°1 ; vol.33, pg 131-144

Didier Georgakakis

Description

Quaderni - Année 1997 - Volume 33 - Numéro 1 - Pages 131-144
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: QUADERNI
• Publié le: 01 janvier 1997
• Nombre de lectures: 29
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Didier Georgakakis
Aux "origines" de la communication gouvernementale : Socio-
histoire d'un oubli
In: Quaderni. N. 33, Automne 1997. pp. 131-144.
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Georgakakis Didier. Aux "origines" de la communication gouvernementale : Socio-histoire d'un oubli. In: Quaderni. N. 33,
Automne 1997. pp. 131-144.
doi : 10.3406/quad.1997.1210
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/quad_0987-1381_1997_num_33_1_1210®ossier
À la différence de la plupart des secteurs de
Aux "origines" de l'État dont l'histoire est une source de légi
timation ou de débat, la communication gou
vernementale apparaît, de prime abord, sans
la communication origine en France. Aux yeux de l'histoire,
seule la propagande de Vichy aurait existé
avant les années soixante. Cette absence
gouvernementale
d'histoire et l'assimilation fréquente de l'o
rganisation d'une propagande étatique au
régime de Vichy sont pourtant loin d'être Socio-histoire
évidentes. Elles tiennent, pour le dire d'une
formule, à ce que, dès avant Vichy, la propa
d'un oubli gande d'État à été mise "hors champ" de la
démocratie.
Une propagande d'État - au sens neutre de
l'expression - a en effet bien existé avant
Vichy. À la fin des années 30, elle relevait Didier
d'un ensemble d'activités et de secteurs,
Georgakakis fût-ce sur un mode plus ou moins dénié et
secret.De plus, des tentatives de centralisa
tion de la propagande dans une administratMaître de Conférences à
ion ont existé, et elles ont même fini par se l'Université R. Schuman
réaliser dans la création d'un Commissariat
Strasbourg III Général à l'Information en juillet 1939. Il reste
Groupe de Sociologie que, dans les formes que dessinaient alors
Politique Européenne l'État et la démocratie, ces tentatives se sont
soldées par des échecs interprétés comme
la conséquence naturelle d'une opposition
ontologique de la propagande et de la dé
mocratie. Au contraire d'être réhabilitées par
la suite, ces expériences démocratiques ont
de plus été occultées au profit d'un souve-
QUADERNI N*33 - AUTOMNE 1997 SOCIO-HISTOIRE D'UN OUBLI 131 nir de la propagande totalitaire périodique des gouvernants. Mise hors champ, impens
ment réactivé contre l'instauration d'une able politiquement, l'organisation d'une
propagande est plus encore devenue un information puis d'une communication
d'État depuis la Libération. interdit explicite de la démocratie représent
ative avant de se "réaliser" dans l'échec
Sur le double aspect de leur échec et de leur du Commissariat général à l'Information de
oubli posthume, ces "expériences" invitent la drôle de guerre.
ainsi à reconsidérer la tension entre propa
gande et démocratie en France, sous l'an Un enjeu sous tension
gle d'une invention liée au problème long
temps posé par la différenciation d'un sec Contrairement aux apparences, rien ne dit
teur d'État chargé d'organiser rationnell que "la nécessité d'une organisation spé
ement le rapport à l'opinion. Revenir sur cet ciale de la communication gouvernementale
oubli, c'est aussi poser la question plus n'avait pas été ressentie sous la troisième
République" (2). À moins de préciser immédgénérale des conditions socio-politiques de
iatement que cette "insouciance" est une l'institutionnalisation d'une communication
conséquence plus qu'une cause. Dans l'en- gouvernementale différenciée (1).
tre-deux-guerres, la création d'un secteur
La démocratie contre la propagande ou administratif chargé de la propagande r
l'invention d'un interdit ecoupe en effet des enjeux à ce point puis
sants et enchevêtrés qu'elle en devient im
L'oubli des origines qui caractérise pensable.
aujourd'hui la communication gouverne
mentale n'est pas le fruit d'un hasard. Il tient, La propagande concerne tout d'abord un
avant même les problèmes liés à la mémoire ensemble conséquent d'acteurs au sein de
ou à l'historiographie, à la matrice que const l'administration. Au ministère des affaires
itue l'histoire des tentatives d'organisation étrangères, il existe un "service des commun
ications" dès avant la Première Guerre. Ce d'un secteur d'État chargé de rationaliser le
rapport à l'opinion au cours des années 30. dernier se transforme puis s'étoffe tout au
Point de convergence de concurrences long des années trente sous le nom de ser
complexes, ces tentatives se sont en effet vice d'information et de presse. Les diplo
heurtées tantôt à des polémiques virulen mates ont de plus très clairement la charge
tes tantôt à la prudence, voire à l'évitement de la propagande à l'étranger. Aussi est-ce
132* SOCIO-HISTOIRE D'UN OUBLI QUADERNI N*33 AUTOMNE 1997 ces fins que l'ambassadeur Claudel d des discours et des campagnes électorales, à
emande au chef du service d'information et lorsqu'ils ne sont pas plus directement à la
de presse Giraudoux de le tenir au courant tête d'une publication. En dehors de leurs
des théories du docteur Coué : la méthode compétences propres, ils sont également à
Coué, pense-t-il, est sans doute l'une des l'origine de campagnes de propagande lors
clefs de la propagande dont il a la charge. de la Première Guerre mondiale. Les journal
L'armée participe également à l'organisation istes constituent un autre pôle important
d'une propagande. C'est connu : en Alle en la matière, quand bien même
magne, la défaite de la Première Guerre mond l'autonomisation professionnelle dans la
iale est fréquemment imputée à la puis quelle ils s'engagent les conduit à condamn
sance de la propagande des pays alliés. La er toute pratique assimilable au bourrage
propagande n'est de fait pas ignorée au sein de crâne. Enfin, les artistes et les intellec
de l'armée. Elle relève plus particulièrement tuels se vivent et sont, du reste, souvent
des pratiques du deuxième bureau. Le mi instrumentés comme des guides de l'opi
nistère de l'Intérieur est également lié à la nion, participant plus ou moins officiell
propagande. Lors de la Première Guerre, et ement à des tâches de propagande en France
pour ne prendre que ce seul exemple, la di comme à l'étranger.
rection de la Sûreté Générale met ainsi en
place des questionnaires relatifs à la con La multiplicité des acteurs qu'elle intéresse
- dans tous les sens du terme - en est un fiance et à l'opinion des populations. À cela
s'ajoute encore les activités du ministère du bon indicateur : la propagande est bien "l'es
sence du politique" pour reprendre les mots Tourisme ou encore les débuts de la publi
cité d'État dont les campagnes souvent or de Schumpeter. Elle est, de fait, doublement
chestrées par le ministère des Finances scan au cur de la représentation politique : in
dent les années trente. strument de la compétition partisane, elle
constitue plus généralement une ressource
qu'il faut maîtriser pour jouer un rôle dans Au dehors de l'espace bureaucratique, de
nombreux acteurs peuvent en outre légi l'État. Qu'au sein de l'État, un groupe
timement considérer que la propagande re d'agents puisse s'approprier le monopole
lève de leur compétence. Les députés, bien d'une telle compétence apparaît du même
sûr : ce sont par définition des profession coup impossible. Les débats sur l'organisa
nels de la représentation politique, au sens tion d'une propagande d'État officielle don
dramaturgique du terme. Ils ont l'habitude nent en effet lieu à des scandales caractéri-
QUADERNI N"33 - AUTOMNE 1997 SOCIO-HISTOIRE D'UN OUBLI 133 par une juxtaposition des oppositions. la multiplicité des agents que ce service doit ses
Immédiatement, les mobilisations sont ici regrouper, les initiateurs de l'instruction sont
conduit à une "prudence tactique" qui conmultisectorielles et force est de reconnaître
fine à l'absence de décision jusqu'à la toute qu'elles laissent des traces.
fin de