L'évolution du nombre de logements sociaux par habitant est très contrastée entre les unités urbaines françaises. Comprendre les mécanismes expliquant les variations et l'évolution de l'offre de logements sociaux entre unités urbaines parait nécessaire en raison des conséquences économiques et sociales de la répartition de ces logements sur le territoire. L'objectif de cet article est de mettre en évidence deux déterminants principaux de l'évolution de l'offre de logements sociaux par habitant au sein des unités urbaines. D'abord, l'article met en évidence un lien fort et négatif entre l'évolution de la fragmentation entre communes d'une unité urbaine et celle de l'offre de logements sociaux par habitant. Les unités urbaines les plus fractionnées, c'est-à-dire où la population est répartie dans de nombreuses communes, ont un mode de gouvernance dont les décisions sont relativement plus décentralisées. Les frontières communales permettent ainsi de différencier l'offre de logements sociaux entre communes d'une unité urbaine. L'article montre que les unités urbaines où la population est devenue plus fragmentée ont construit moins de logements sociaux que les unités urbaines qui sont restées plus intégrées. Ensuite, la durabilité du logement rend les politiques d'offre de logements sociaux persistantes au cours du temps, ce qui implique qu'il est difficile d'avoir un ajustement rapide de l'offre en cas de chocs économiques. Ainsi, si elles ne détruisent pas de logements sociaux, les communes en déclin peuvent voir « mécaniquement » augmenter leur offre de logements sociaux par habitant. L'article montre que l'offre de logements sociaux par habitant des unités urbaines en déclin économique a ainsi augmenté plus rapidement au cours de la période 1975-1999. Les différences d'offre de logements sociaux entre unités urbaines peuvent ainsi potentiellement perdurer de manière durable si le stock de logements sociaux ne diminue pas lorsque la population décroit.
Lévolutiondunombredelogementssociauxparhabitantesttrèscontrastéeentrelesunités urbaines françaises. Comprendre les mécanismes expliquant les variations etlévolutiondeloffredelogementssociauxentreunitésurbainesparaitnécessaireenraison des conséquences économiques et sociales de la répartition de ces logementssurleterritoire.Lobjectifdecetarticleestdemettreenévidencedeuxdéterminantsprincipauxdelévolutiondeloffredelogementssociauxparhabitantauseindesunitésurbaines.Dabord,larticlemetenévidenceunlienfortetnégatifentrelévolutiondelafrag-mentationentrecommunesduneunitéurbaineetcelledeloffredelogementssociauxparhabitant.Lesunitésurbaineslesplusfractionnées,cest-à-direoùlapopulationestrépartie dans de nombreuses communes, ont un mode de gouvernance dont les décisionssont relativement plus décentralisées. Les frontières communales permettent ainsi dedifférencierloffredelogementssociauxentrecommunesduneunitéurbaine.Larticlemontre que les unités urbaines où la population est devenue plus fragmentée ont construitmoins de logements sociaux que les unités urbaines qui sont restées plus intégrées.Ensuite,ladurabilitédulogementrendlespolitiquesdoffredelogementssociauxpersis-tantes au cours du temps, ce qui implique qu’il est difficile d’avoir un ajustement rapidedeloffreencasdechocséconomiques.Ainsi,siellesnedétruisentpasdelogementssociaux, les communes en déclin peuvent voir « mécaniquement » augmenter leur offredelogementssociauxparhabitant.Larticlemontrequeloffredelogementssociauxpar habitant des unités urbaines en déclin économique a ainsi augmenté plus rapidementaucoursdelapériode1975-1999.Lesdifférencesdoffredelogementssociauxentreunités urbaines peuvent ainsi potentiellement perdurer de manière durable si le stock delogements sociaux ne diminue pas lorsque la population décroit.
Banque de France*LauteurremercielInseeetleCentreMauriceHalbwachsquiontfournilesdonnéesutiliséesdanscetarticleainsiquAlexandreKychdu Centre Maurice Halbwachs pour son aide avec les données du recensement. Les données des recensements de 1968, 1975, 1982,1990,1999sontdisponiblespourlarechercheauprèsduCentreMauriceHalbwachs.LauteurremercieégalementHervéLeBihan,Patrick Sevestre, quatre rapporteurs anonymes et les participants du colloque TEPP 2011 à Metz pour leurs nombreux commentaires.Merci galement Laurent Baudry et Sylvie Tarrieu pour leur excellent travail de collecte des donnes sur l’affiliation politique des maireset Hlne Dhoosche pour sa relecture attentive. Les opinions exprimes dans cet article ne refltent pas ncessairement les vues dela Banque de France.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 446, 2011
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tBtioenujoquurescurintiqiunés,trulemelnotgemmeajnetursocdiianlteers-ventiondelÉtatdanslemarchédulogementen France (Laferrère et le Blanc, 2006). Auniveau européen, Priemus et Dieleman (2002,p. 192, tableau 1) indiquent que la France en1996étaitdanslamoyennedespaysdEuropedu Nord avec 16 % de ménages en logementssociaux : en comparaison, en Autriche, auRoyaume-Uni et en Suède, la part de ménagesen logements sociaux est de plus de 20 %, et elleest proche de 10 % en Allemagne, Irlande et enBelgique.Limpactetlerôledulogementsocialfaittou-tefoislobjetdunimportantdébatpublic.Ilexiste ainsi depuis les années 1990 de nom-breusesinterrogationsconcernantlimpactdesvariationsdeloffredelogementsocialentrecommunes et sur les moyens de la diminuer afinde créer plus de « mixité sociale » (voir Epsteinet Kirszbaum, 2003 ou Selod, 2004). La proba-bilité de vivre en logement social varie en effetfortement selon les caractéristiques des ména-ges, les foyers les plus modestes et les immi-grés étant surreprésentés : le recensement de1999 indique que 16 % des français vivent enlogements sociaux, proportion qui passe à 50 %pour les immigrés non-européens et 29 % pourles chômeurs (1).Ce débat se concrétisa en 2000 par ladoptionde la loi Solidarité et Renouvellement Urbain(SRU) faisant référence explicitement à «lamixitésocialedanslhabitaturbain » (arti-cle1).LaloiSRUimposeauxcommunesdag-glomérations de plus de 50 000 habitants qui nedisposent pas dun parc de 20 % de logementssociaux de payer des pénalités. À ce jour, leseffets de cette loi sur les décisions de construc-tionetlesvariationsdeloffreentreetauseindes agglomérations restent à évaluer de manièreapprofondie.La loi de 2000 incite lescommunes à construiredu logement social, en raison de leur autono-mie politique et du coût fiscal d’une populationpotentiellement plus pauvre vivant en logementssociaux.Toutefois,limpactéconomiquedulogement social est également pertinent à ana-lyser au niveau plus large delunité urbaine(2).En effet, les unités urbaines constituent vrai-semblablement la meilleure approximationdun marché du travail local dont les caractéris -tiques(tauxdechômage,niveaudéducationdela population, etc.) influencent les décisions delocalisation des agents économiques, entrepri-ses et travailleurs.
Loffredelogementssociauxsurleterritoirefrançais entre unités urbaines est en pratiquefortement disparate. Il existe des écarts larges etimportants entre, par exemple, lunité urbainede Rouen où, en 1990, 45 % des ménages viventen logement social et celle dAntibes où ce chif-frenestquede12%(3)(voirtableau2).Cesécarts reflètent des variations régionales dansloffredelogementssociaux(4),maisàlinté -rieur des régions, les variations sont égalementimportantes : entre les 433 unités urbaines deplus de 10 000 habitants en 1990, lécart-typedu pourcentage de logements sociaux par habi-tant est par exemple de 10 % en Rhône-Alpes,de 7,7 % en Provence-Alpes-Côte dAzur et de11 % en Île-de-France en 1999. Il est de 9,7 %pour lensemble des unités urbaines.Lobjectifdecetarticleestdexplorerlesrai-sonsdeladisparitédeloffredelogementssociaux entre unités urbaines. Comprendre lesmécanismesexpliquantlesvariationsetlévo-lutiondeloffredelogementssociauxentreunités urbaines parait nécessaire en raison desconséquences économiques et sociales de la partde ces logements dans la population. Certainesunités urbaines fortement dotées en logementssociaux pourraient attirer des ménages aux fai-bles revenus. Une population relativement pluspauvre diminue les ressources fiscales disponi-bles et augmente l’offre de travail non qualifiéeauniveaudelunitéurbaine.Elleaffecteparcebiaislescaractéristiquesdeloffredetravaillocale.1234Nous nous intéressons dans cet article à deuxmécanismesexpliquantlesdifférencesdof-fre de logement sociaux qui nont jusquicipas été étudiés dans la littérature académiquefrançaise à notre connaissance, alors que leursconséquences ont été largement discutées dansdautres pays et contextes. Ces deux mécanis -mes nous semblent illustrer les particularitésdes politiques de logements sociaux par rapport
1.Saufmentioncontraire,lescalculssontdelauteur.VoiraussiDriant et Rieg (2004) qui indiquent quun tiers des ménages à basrevenus vivent en logement social en 2002.2. Les units urbaines sont dfinies par l’Insee comme « unensemble de communes présentant une continuité du tissubâti ». À chaque recensement, de nouvelles unités urbaines sontainsi redfinies. Nous utilisons la dfinition des units urbainesde 1990 (voir détails en annexe).3. Les chiffres cités dans lintroduction ne comprennent que lapopulation entre 16 et 60 ans, hors étudiants et militaires, vivantdans des unités urbaines de plus de 10 000 habitants en 1990.Voirdétailssurlaconstructiondeléchantillonenannexe.4. En 1999, loffre de logements sociaux par habitant entrerégions va ainsi de 38,6 % en Champagne-Ardenne à seulement14,6 % en Midi-Pyrénées. Elle est de 22,8 % au niveau national.Voir aussi Debrant (2004).