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Apports du point de vue postmoderne à l’étude des comportements de consommation de groupe : Un début de clarification Aurélie Merle Allocataire de Recherche au CEROG CEROG - IAE d'Aix-en-Provence BP 33 - 13540 Puyricard aurelie.merle@iae-aix.com Mes remerciements vont à Bernard Cova et Elyette Roux pour leurs conseils et pour leur soutien. APPORTS DU POINT DE VUE POSTMODERNE A L’ETUDE DES COMPORTEMENTS DE CONSOMMATION DE GROUPE : UN DEBUT DE CLARIFICATION RESUME : Notre propos consiste ici à présenter les recherches sur les groupes issues du paradigme postmoderne. Nous cherchons ainsi à exposer les apports de ces approches à l’étude des comportements de consommation de groupe. A travers la mise en parallèle des visions moderne et postmoderne, nous montrons que l’approche postmoderne apporte des éléments complémentaires en terme de (1) groupes étudiés, (2) nature de la connaissance recherchée, (3) épistémologie et méthodologie de recherche, et (4) pratiques managériales. MOTS-CLES : Postmodernité, postmodernisme, groupe, tribu, communauté, sous-culture, consommation THE POSTMODERN PERSPECTIVE’ CONTRIBUTIONS TO THE STUDY OF GROUP CONSUMPTION BEHAVIOURS: A BEGINNING OF CLARIFICATION ABSTRACT : Our goal here consists in presenting postmodern researches on groups. That way, we try to show what these approaches could bring to the study of group consumption behaviours. We will draw a parallel between the ...

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 Apports du point de vue postmoderne à létude des comportements de consommation de groupe : Un début de clarification   Aurélie Merle Allocataire de Recherche au CEROG   CEROG - IAE d'Aix-en-Provence BP 33 -13540 Puyricard aurelie.merle@iae-aix.com   Mes remerciements vont à Bernard Cova et Elyette Roux pour leurs conseils et pour leur soutien.   A PPORTS DU POINT DE VUE POSTMODERNE A L ETUDE  DES COMPORTEMENTS DE CONSOMMATION DE GROUPE : U N DEBUT DE CLARIFICATION    R ESUME : Notre propos consiste ici à présenter les recherches sur les groupes issues du paradigme postmoderne. Nous cherchons ainsi à exposer les apports de ces approches à létude des comportements de consommation de groupe. A travers la mise en parallèle des visions moderne et postmoderne, nous montrons que lapproche postmoderne apporte des éléments complémentaires en terme de (1) groupes étudiés, (2) nature de la connaissance recherchée, (3) épistémologie et méthodologie de recherche, et (4) pratiques managériales. M OTS -CLES : Postmodernité, postmodernisme, groupe, tribu, communauté, sous-culture, consommation   T HE POSTMODERN PERSPECTIVE CONTRIBUTIONS   TO THE STUDY OF GROUP CONSUMPTION BEHAVIOURS : A BEGINNING OF CLARIFICATION    A BSTRACT : Our goal here consists in presenting postmodern researches on groups. That way, we try to show what these approaches could bring to the study of group consumption behaviours. We will draw a parallel between the modern and the postmodern views on group consumption and therefore we will show that the postmodern perspective adds complementary elements concerning (1) the groups studied, (2) the nature of the expected knowledge, (3) the epistemology and the methodology of research, and (4) the managerial practices. K EY -WORDS : Postmodernity, postmodernism, group, tribe, community, subculture, consumption  
 
I NTRODUCTION  Cet article part de constats sociologiques qui mettent laccent sur le retour du « tribalisme » dans les sociétés dites postmodernes (Maffesoli 1988) et du besoin de tout un chacun de donner un sens à sa vie et de sépanouir pleinement (Reunier et Volle 2001). Cet épanouissement personnel serait recherché notamment dans les multiples agrégations au sein desquelles lindividu se greffe formant un ensemble de « passions ordinaires » comme les qualifie à juste titre Bromberger (1998). Si les recherches en sociologie, ethnographie (voir principalement léquipe du Centre dEtude sur lActuel et le Quotidien à La Sorbonne) se développent sur le sujet, la recherche en comportement du consommateur semble ne pas suivre ce mouvement, qui nous permettrait pourtant de cerner une part importante des comportements de consommation. Cette lacune est sans doute à rechercher dans les paradigmes dominants de la discipline qui mettent encore laccent sur les aspects cognitifs de la prise de décision et sur lacte dachat comme principal objet danalyse. Pourtant, un courant de recherche datant des années 80 a permis de renouveler ces approches, considérant que la recherche ne doit plus se contenter détudier uniquement lacte dachat mais de manière plus large la consommation. Ainsi apparaissent de nouveaux modèles de pensée qui permettent dintégrer létude des groupes de consommateurs dans une perspective nouvelle. Le postmodernisme sest ainsi développé comme un paradigme alternatif dans notre discipline de recherche. Pour le définir, nous retiendrons la vision de Lyotard qui semble être le point structurant de la majorité des réflexions dans ce domaine. Ainsi, « en simplifiant à lextrême, on tient pour postmoderne lincrédulité à l égard des métarécits »  (Lyotard 1979 p.7). Par là-
 même, le monopole de la croyance en une rationalité absolue est brisé. Initié entre autres par Baudrillard, Lyotard, Maffesoli en sciences sociales, il est apparu comme une réponse aux changements survenus dans le monde (Augé 1994). On peut ainsi noter le distinguo entre postmodernité et postmodernisme synthétisé par Evrard, Pras et Roux (2001 p.64) ; la postmodernité correspondant à « une époque succédant à la modernité, avec ses caractéristiques et donc son influence sur les comportements de consommation » , et la postmodernisme à un « paradigme, pour ne pas dire « idéologie » de recherche qui se pose comme antipositiviste ». Des auteurs comme Holbrook, Hirschman, Sherry, Firat et Venkatesh lont par la suite importé en marketing et comportement du consommateur. Daprès eux, « la plupart des notions considérées comme acquises concernant le consommateur, la consommation, les marchés et la culture de consommation reposent sur certaines fondations théoriques, philosophiques et culturelles qui sont trouvées au sein dun cadre conceptuel historique : le modernisme »  (Firat et Venkatesh 1995 p.239) alors que la société occidentale devient postmoderne. Les conditions de la consommation postmoderne sont à ce titre lhyperréalité, la fragmentation, le décentrage du sujet, le renversement de la production et de la consommation, et la juxtaposition des contraires (Firat et Venkatesh 1995).  Le consommateur dit postmoderne serait ainsi à lorigine de la fragmentation de la culture en une multitude de groupes (Arnould et Price 2001 ; Firat et Venkatesh 1995 ; Holt et Thompson 1996 ; Lyotard 1979), et du « va et vient constant entre la massification constante et le développement de micro-cultures appelées tribus » (Maffesoli 1988 p.14). Plusieurs recherches en comportement du consommateur ont tenté détudier ces groupes postmodernes 1  avec des dénominations divergentes.                                                      1 La dénomination de « groupe postmoderne » est à considérer comme une abréviation de langage.  
Nous proposerons ici un début de réflexion sur les apports de ces études à la compréhension des comportements de consommation de groupe. Notre intérêt unique pour des considérations conceptuelles semble justifié par le flou entourant les recherches réalisées sur les tribus, communautés de marque, sous-cultures et autres qualificatifs donnés à ces groupes postmodernes. Afin de convaincre les sceptiques, il convient de proposer des recherches basées sur des éléments conceptuels solides, et dadministrer la preuve en son sens scientifique de la validité de telles démarches. A cette fin, il paraît indispensable de montrer les apports des recherches sur les groupes postmodernes, par rapport aux approches précédentes que nous qualifierons de modernes. Bien entendu, nous ne prétendons pas que les recherches modernes sur les groupes soient à bannir, ou que les groupes postmodernes soient les seuls existants. Cependant, les recherches postmodernes semblent apporter une plus-value à létude des comportements de consommation de groupe en terme de : 1. Objet danalyse 2. Nature de la connaissance recherchée 3. Epistémologie et méthodologie de recherche 4. Pratiques managériales  Le travail présenté ici sinscrit dans le cadre dune recherche plus large. Ainsi, nous ne prétendons pas faire le tour du sujet à travers cet écrit. Nous cherchons de manière plus modeste à proposer un début de réflexion sur les apports du paradigme postmoderne à létude des comportements de consommation de groupe. Les éléments exposés invitent donc à la discussion.
                                                                             Nous devons la comprendre tout au long de cette communication au sens de groupe selon le point de vue postmoderne.
 1. O BJET D ANALYSE  Un certain nombre de recherches en comportement du consommateur ont cherché à étudier des groupes postmodernes. Ainsi, ont été abordées les sous-cultures (Celsi, Rose et Leigh 1993 ; Kates 2002), sous-cultures de consommation (Baker et Martin 2000 ; Kozinets 2001 ; Schouten et Mc Alexander 1995), micro-cultures (Thompson et Troester 2002), communautés de marque (Bagozzi et Dholakia 2001 ; Muniz et OGuinn 2001 ; Muniz et Schau 2002 ; Schouten et Mc Alexander 2001) et tribus (Cova et Cova 2002 ; Cova et Roncaglio 1999).  Ces différents travaux possèdent un point commun central qui est de sintéresser à des regroupements dindividus se formant et se défaisant autour dactivités diverses, au sein dune société fragmentée et marquée par lhyperréalité (Baudrillard 1968 ; Firat et Venkatesh 1993, 1995). Ils mettent ainsi en avant le caractère communautaire de lexistence humaine et des significations (Schouten et Mc Alexander 1995 ; Thompson et Holt 1996) et la recherche de lien social de lindividu postmoderne (Cova et Roncaglio 1999 ; Maffesoli 1988 ; Reignier et Volle 2001).   Dans un premier temps, nous présenterons les spécificités de ces groupes en les mettant en parallèle avec les groupes étudiés suivant le paradigme moderne. Ensuite, avec une réflexion sur la terminologie, nous clarifierons les différents concepts utilisés pour dénommer ces groupes de consommation dits postmodernes.  1.1. Spécificités des groupes postmodernes Les groupes étudiés selon le point de vue postmoderne semblent posséder deux caractéristiques essentielles : 1. Le rassemblement autour dune « passion » commune
 
2. Le rôle joué par le marketing en leur sein 1.1.1. Des groupes rassemblés autour d une passion commune Intérêt pour des groupes issus du quotidien La recherche moderne sest largement focalisée sur des groupes délimités par des critères socio-démographiques (classe sociale, mais également âge, sexe), psychographiques et/ou psychologiques à des fins de segmentation ; ces groupes étant donc des constructions abstraites du chercheur réalisées à un niveau dobservation macro-social.  Les recherches postmodernes sur les groupes sont quant à elles réalisées principalement au niveau micro-social, niveau dobservation utilisé pour étudier les interactions entre acteurs concrets et le quotidien des individus. Ainsi, elles sont en relation directe avec le paradigme du quotidien, du sensible et de limaginaire issu de la sociologie contemporaine de Maffesoli, Durand et Baudrillard. Les groupes étudiés sont « caractérisés par les rassemblements ponctuels et léparpillement »  (Maffesoli 1988 p. 137) et donc par leur caractère éphémère. Lintérêt est ainsi porté sur des groupes réels, auto-sélectionnés 2  en dehors des classes sociales ; lorigine des regroupements étant à rechercher du côté de lengagement partagé (Arnould et Price 1993 ; Cova et Cova 2002 ; Kozinets 2001 ; Maffesoli 1988 ; Schouten et Mc Alexander 1995 ; Thompson et Troester 2002) qui va lier les individus à un ethos commun mais également entre eux. Certains chercheurs pensent à ce titre que « le lien importe plus que le bien » (Cova 1995). Nous définissons un ethos dans la lignée des anthropologues comme le « caractère commun à un groupe dindividus appartenant                                                      2  Cette caractéristique permet également de distinguer les communautés de consommation postmodernes dautres formes de groupes étudiés précédemment comme la famille.
 à une même société » (Petit Larousse Illustré p.360). Cet ethos communautaire « renvoie à une subjectivité commune, à une passion partagée, alors que tout ce qui a trait à la société est essentiellement rationnel »  (Maffesoli 1988 p.111). Il peut être commercial ou non, comme le précisent Schouten et Mc Alexander (1995 p. 43) pour qui une sous-culture de consommation se définit comme un « sous groupe distinctif qui sauto-sélectionne sur la base dun engagement partagé à une classe de produits particulière, une marque, ou une activité de consommation ». Nous distinguerons les études réalisées sur des groupes à ethos commercial et non commercial. Ethos commun commercial et non commercial Les études empiriques sur les communautés de marque demeurent les plus développées avec le cas Harley Davidson, maintes fois réutilisé (Bagozzi et Dholakia 2001 ; Fournier, Schouten et Mc Alexander 2000 ; Muniz et Schau 2002 ; Schouten et Mc Alexander 1995 ; Schouten, Mc Alexander et Koenig 2002), Star Treck (Kozinets 2001), Saab et Macintosh (Muniz et OGuinn 2001 ; Muniz et Schau 2002) et la série Xena, princesse guerrière (Muniz et Schau 2002). Cet engouement actuel est sans doute à relier aux travaux sur la fidélité à la marque, principalement dans la lignée de Fournier (1998) sur les types de relations à la marque du consommateur postmoderne (figure 1a), puisque lappartenance à une communauté de ce type semble être la manifestation dune fidélité et dun attachement extrême à la marque. Muniz et OGuinn (2001 p.412) définissent une communauté de marque comme « une 3 communauté spécialisée , non liée géographiquement, basée sur un ensemble structuré de relations sociales entre les admirateurs dune marque » . Ils considèrent                                                      3 Une communauté à la marque est spécialisée dans le sens où un produit ou un service de marque est au centre de la communauté.  
FIGURE 1- RELATIONS A LA MARQUE DANS LA COMMUNAUTE DE MARQUE
Figure 1a - Modèle traditionnel de la relation consommateur-marque
Consommateur
Marque
Figure 1b - Triade de la communauté de marque de Muniz et OGuinn
 donc la communauté de marque comme 1c). Pour eux, « une communauté à la marque une triade consommateur-consommateur-est centrée sur le consommateur ; lexistence et marque (figure 1b). Notons cependant que la signification de la communauté sont daprès eux, des individus éloignés inhérents à lexpérience du consommateur plus géographiquement peuvent former une quà la marque autour de laquelle lexpérience communauté de marque dans la mesure se produit »  (2002 p.39). Ces auteurs où certaines relations existent entre les mettent donc le consommateur au centre individus. Si le caractère affectif de la du processus et basent la communauté de relation à lethos demeure implicite à la marque non plus sur la marque elle-même définition, laffectivité des liens sociaux mais sur lexpérience qui laccompagne entre les membres ny est pas intégrée. rejoignant en ce sens les travaux sur le Schouten, Mc Alexander et Koenig marketing expérientiel (Holbrook et étendent quant à eux cette vision (figure Hirschman 1982).                                         
Consommateur
Marque
Consommateur
Figure 1c Modèle de la communauté de marque centrée sur le consommateur -
Marketer
Consommateur
Consommateur central
Source : Schouten, Mc Alexander et Koenig 2002 p.39
Marque
Produit
 
  La figure 1c se focalise cependant toujours sur lindividu, et non pas sur le groupe. En ce sens, la vision de la communauté de marque proposée par Schouten, Mc Alexander et Koenig reste emprisonnée dans une logique individuelle, qui ne permet pas de prendre en compte la valeur ajoutée du paradigme postmoderne. Ils échouent partiellement à mettre en évidence la dynamique interne du groupe.  Lethos des groupes peut également être une classe de produits particulière (Thompson et Troester 2002 avec le cas de la micro-culture de la santé naturelle) ou une activité de consommation commerciale, comme le rafting (Arnould et Price 1993), le sport à haut risque avec lexemple du parachutisme (Celsi, Rose et Leigh 1993), léchange de cartes de sport (Baker et Martin 2000) ou un match de baseball (Holt 1995). Nous constatons à ce titre que les études empiriques sur le sujet ont lieu principalement dans le domaine des loisirs 4 . Aussi, si lethos commun reste lactivité de consommation, ce qui va relier les individus à cette activité et, plus que cela, entre eux, va être « lextraordinaire expérience de consommation »  (Arnould et Price 1993) qui en résulte. Ce type de groupe de consommation reste cependant à la frontière entre des groupes basés sur un ethos commercial ou non. En effet, ce qui fait sens au sein de ce type de regroupement nest pas lacte dachat en lui-même mais lexpérience associée à cet ethos. Dailleurs, nous pouvons même nous demander si ce qui unit les parachutistes de Celsi et al. ou les passionnés de rafting dArnould et Price nest pas plus une passion commune, qui passe certes, à certains moments par des activités de consommation issues de la                                                      4  Cette importance des recherches dans le domaine des loisirs semble aller de paire avec la définition des groupes postmodernes, pouvant être considérées comme des groupes de « passionnés ». Or, la passion pour une activité est à considérer comme une forme de loisirs.
 
sphère marchande, mais qui peut également être « consommée » et vécue ensemble autrement. Ainsi, la formation de ces groupes autour dactivités de consommation semblent être en réalité plus liée à un ethos non commercial, issu de valeurs et de passions partagées, où lexpérience groupale va primer.  Certains types de groupes postmodernes peuvent ainsi être plus simplement formés autour dactivités de tous les jours, qui guident et donnent un sens à la vie de certains individus (Schouten et Mc Alexander 1995). Ce qui regroupe nest plus lobjet de consommation commercial mais la « passion ordinaire » 5  (Bromberger 1998) autour de laquelle peut sorganiser un univers de consommation particulier. Cest sans doute de cela dont parle Cova avec ces « tribus qui consomment » (Cova 2001) ; la passion référant ici à « des orientations affectives et stables vers des objets singuliers »  (Bromberger 1998 p.25). Lappartenance à un groupe de ce type est basée sur une expérience commune de la réalité (Cova 2002). Ainsi, elle ne rallie pas les gens autour de quelque chose de rationnel, mais autour dun ethos non rationnel et « archaïque » comme lémotion, la passion (Cova et Cova 2002 ; Firat et Dholakia 1998). Cest donc tout naturellement dans le domaine du « hors travail » que nous allons retrouver ce type de communautés. 1.1.2. Des groupes conditionnés par le marketing Une des caractéristiques essentielle des groupes postmodernes, liée à la postmodernité en tant que période historique, est une nouvelle forme dêtre-ensemble à travers la consommation. En                                                      5 Le concept de « passion ordinaire », utilisant deux termes à première vue antagonistes, se réfère au fait que les engouements actuels sont « perçus comme des aspirations légitimes à la réalisation de soi et au réenchantement du monde » (Bromberger 1998 p.26)  
effet, si dans la modernité, le sujet « rencontre » les objets en les distinguant de lui de manière objective, la postmodernité laisse apparaître un consommateur qui considère les produits comme une part de lui-même. Ainsi, « si le consommateur définit les produits, les produits définissent le consommateur. Lissue pour le consommate  t pas dutiliser les produits ur n es pour un objectif personnel, mais de simmerger lui-même au sein dun contexte co-déterminé par les consommateurs et les produits »  (Firat et Dholakia 1998 p.97). Le marketing joue donc un rôle de plus en plus important au point quon puisse désormais parler de culture marketing. Limpact sur les groupes est croissant, si lon en croit le succès retentissant de nouveaux concepts marketing tels Pop Star, Star Academy où lethos commun à lensemble des individus est éminemment commercial. De multiples agrégations se forment dans le quotidien autour dethos divers ayant un caractère largement affectif pour les individus. Le phénomène marquant de ces regroupements est le rôle grandissant quy jouent les images mass-médias, en attribuant des significations culturelles à certains biens (Mc Cracken 1988), qui sont par la suite renégociées et partagées par des groupes. A partir de là, les sociologues du quotidien, du sensible et de limaginaire constatent une importance grandissante de lapparence 6  et du corps mis en scène, inscrits dans une dimension collective, comme le met en avant Le Breton (1992 p.96) pour qui « le corps est aussi pris dans le miroir du social, objet concret dinvestissement collectif, support de mises en scène et de mises en signes, motif de ralliement ou de distinction ».   Les groupes, selon le point de vue postmoderne, semblent donc posséder des caractéristiques spécifiques. Ils peuvent                                                      6  Nous définissons lapparence dans la lignée des travaux de Le Breton (1992 p.96) comme englobant « la tenue vestimentaire, la façon de se coiffer, et  dapprêter son visage, de soigner son corps etccest-à-dire un mode quotidien de se mettre socialement en jeu, selon les circonstances, à travers une manière de se montrer et un style de présence ».  
 être définis comme des ensembles dindividus liés de manière affective à un ethos commun sacralisé, quil soit commercial (marque ou activité de consommation) ou non (« passion ordinaire »); autour duquel gravitent des pratiques de consommation particulières. Plusieurs terminologies ont été utilisées afin de qualifier ce type de groupes. Nous les présenterons successivement. 1.2. Réflexion sur la terminologie Trois courants coexistent afin de qualifier les groupes de consommation postmodernes : communauté, sous et micro culture, tribu. 1.2.1. Communauté : un concept multi-usages La notion de communauté semble a priori  la plus apte à définir les formes de regroupements postmodernes ; dautant plus quelle paraît largement conceptualisée en sociologie. Ainsi, une communauté suppose des liens de type primaire mais également un système dobligations entre les membres du groupe, en relation avec létymologie latine munus  liée à la notion de devoir. Pour Tönnies (1977), le concept de communauté ( Gemeinschaft ) ne peut être compris quen opposition à la Société (Gesellschaft) . Boudon et Bourricaud (1982 p.73) critiquent largement cette vision quils qualifient « dantithèse romantique entre les eaux glacés du calcul égoïste[] et la chaleur du groupe primaire où les relations sociales sont personnalisées». Dautres (Hillery 1968, dans Bonte et Izard 1991) considèrent que le concept de communauté se caractérise par la variété de ses usages. Par conséquent, même en sociologie et en anthropologie, le concept nest pas défini de manière précise, bien que certains éléments de compréhension communs demeurent. Les relations communautaires seraient en effet « caractérisées à la fois par des liens affectifs étroits, profonds et durables, par un engagement de nature morale et par
 
une adhésion commune à un groupe social »  (Nisbet 1996 p.70).  Le concept a par la suite été repris en marketing, principalement dans le cadre de létude des communautés de marque et des communautés virtuelles. Schouten, Mc Alexander et Koenig (2002) pensent quil existe plusieurs types de communautés pouvant être différenciées sur la base de trois critères cumulatifs : (1) leur concentration géographique, (2) leur contexte social (intensité variable des liens tissés entre les membres) et (3) leur temporalité. Le concept connaît donc un changement de sens par rapport aux approches sociologiques dans la mesure où il peut désormais sappliquer à des individus dont les liens affectifs ne sont que très faibles voire quasiment inexistants. Ce changement de signification semble lié entre autres à des divergences conceptuelles dans les pays anglophones (Cova et Cova 2002 ; Firat et Dholakia 1998) où lappellation de communauté peut sappliquer aussi bien à des groupements affectifs quéconomiques. Le critère de concentration géographique amène dautre part une distinction entre communauté objective, supposant unité de lieu et de temps, et communauté subjective (Cova et Cova 2001). Dans ce second cas, Weber (1956 ; 1995 p.78) parle de communalisation correspondant à « une relation sociale lorsque, en tant que, la disposition de lactivité sociale se fonde () sur le sentiment subjectif (traditionnel ou affectif) des participants dappartenir à une même communauté » quil oppose à la sociation, basée sur des intérêts rationnels entre les partis. Ce phénomène se rapproche largement du sentiment d appartenance de Muniz et OGuinn (2001), considéré comme lun des trois critères dexistence dune communauté de marque. Une des limites principales si nous nous contentons de ce sentiment dappartenance est de se demander ce quapporte le concept par rapport au construit de groupe de référence. Cest pourquoi Muniz et OGuinn ajoutent deux
 autres critères permettant de déterminer lexistence de communautés et de les étudier : les rituels et traditions partagés, ainsi que le sens de la responsabilité morale. Précisons que, dans un monde postmoderne où les options de styles de vie des individus prolifèrent, la quête de communauté est plus un idéal quune réalité pratique (Thompson et Holt 1996). 1.2.2. Sous-culture et micro-culture de consommation Les concepts de sous-culture de consommation (Baker et Martin 2000 ; Kozinets 2001 ; Schouten et Mc Alexander 1995) et de micro-culture (Thompson et Troester 2002) se rapportent quant à eux à une vision culturelle de la consommation, largement en relation avec la fragmentation postmoderne. Ces termes semblent poser plusieurs problèmes liés de façon générale au construit de culture. Aucun auteur nayant utilisé le concept ne définit véritablement ce quil entend par culture. Thompson et Troester (2002) essayent dimposer leur dénomination de micro-culture au sein dune discussion mettant en parallèle micro-culture et sous-culture. La distinction quils proposent entre les deux nous semble indétectable, dautant plus que les auteurs prétendent eux-mêmes qu « aucune distinction théorique nexiste entre sous-cultures de consommation et affiliations sociales orientées sur la consommation, comme les communautés de marque [], tribus de consommateurs et micro-cultures de consommation »  (Thompson et Troester 2002 p.6). 1.2.3. Tribu Le concept de tribu est issu à lorigine des approches anthropologiques, où il est utilisé pour rendre compte de laffiliation à un groupe par la naissance (Benveniste 1969, dans Bonte et Izard 1991 p.720), puis pour dénommer des sociétés sans Etat, et donc sans autorité centrale hiérarchisée. Repris par Maffesoli (1988) en sociologie, avec un sens un peu différent, il déclenche
 
alors un intérêt en marketing avec les travaux académiques de Cova et la promotion managériale quen font Cathelat et le CCA (1997).  Pour Maffesoli (1988 Avant propos p.III), « il nest pas inutile de participer à ce vrai travail inventif auquel chaque époque est confrontée : trouver les mots les moins faux possibles qui semploient à dire ce quelle est ». Ce mot « le mois faux » quil a justement trouvé afin de caractériser cette « ambiance dionysiaque » est le concept de tribu quil emploie de façon métaphorique, sans présumer de lexistence de tribus au sens anthropologique du terme. Cette métaphore a été reprise en marketing par Cova, qui après avoir lui aussi discuté des « mots les moins faux » en arrive à la conclusion que ce terme est le plus adapté.  Le concept de tribu fait référence à la ré émergence de valeurs quasi archaïques, proches de la religiosité au sein de groupes de consommateurs (Cova et Cova 2002, Maffesoli 1988). La métaphore est ainsi utilisée pour « rendre compte de la nature des liens qui unissent les individus dans ce type de configuration » (Ladwein 2001 p.116), cest-à-dire des liens émotionnels, « affectuels » pour reprendre la terminologie de Maffesoli. 1.2.4. Des dénominations limitatives Les trois concepts utilisés pour dénommer les phénomènes de groupes postmodernes ne présentent que très peu de différences conceptuelles tels quappliqués en marketing si nous nous en tenons aux études réalisées. Ceci reste confirmé par le fait que, dans bon nombre darticles sur les « tribus », le concept de communauté y est utilisé comme synonyme 7 ; Cova et                                                      7 voir à ce titre Badot et Cova (1995) :« Communauté et consommation : prospective pour un marketing tribal », Ladwein (2001 p.116) : « de nombreux phénomènes de consommation traduisent [] une appartenance tribale. Par exemple, certains jeux vidéos conduisent les jeunes à se regrouper en communautés  »  
 Carrère  (2002) précisant même que le terme de tribu ne serait que « lavatar postmoderne »  de la communauté. Dautre part, lapproche de Schouten, Mc Alexander et Koenig (2002) traite de communauté de marque, alors que sept ans plus tôt, larticle de Schouten et Mc Alexander (1995) sur les possesseurs de Harley parle de sous-culture de consommation. Or, les deux articles ont été écrits à partir des mêmes données empiriques ! Maffesoli lui-même parle de « micro-cultures appelées tribus » (1988 p.14).  Dans tous les cas, les dénominations de communauté, tribu et autres sont employées de manière symbolique et métaphorique. Telles quutilisées en marketing, elles restent cependant trop limitatives pour permettre des études poussées sur les relations à la consommation au sein de ces groupes, puisque présupposant des relations quasi-idylliques entre les membres, impossibles à retrouver sur le terrain, ni au sein des discours des acteurs sociaux. Ces dénominations amènent vraisemblablement à des erreurs dans les études empiriques. Létude de Cova et Cova (2001) sur les pratiquants de Roller Blade en est un exemple. La désignation de « LA tribu des roller rideurs » semble présupposer lexistence dune seule vision de la pratique et donc une certaine cohérence dans les significations données à celle-ci quelque soit le pratiquant de roller et son style de pratique. Pourtant, quelques pages plus loin, Cova et Cova (p.11) nous disent quil existe des variantes « sorganisant en opposition intra-tribales : il existe un antagonisme certain entre les pratiquants du fitness (randonnée) et ceux du street (acrobatique) ». Dans ce cadre, peut-on alors toujours parler de LA tribu au sein de laquelle coexistent des sous-groupes? Les « sympathisants », « participants », « fidèles » et « pratiquants » (selon lappellation de Cova et Roncaglio 1999) forment-ils                                                                                
réellement une communauté émotionnelle? Quel est lintérêt du concept dans un cadre si général ? Desbordes, Ohl et Tribou (2000 p.127) semblent sceptiques quant à lutilisation du concept de tribu de manière trop générique : «la dénomination est pratique et utilisable, cependant la réalité des tribus est moins évidente. [] Le nombre et la diversité des skaters et des jeunes ne sauraient les faire assimiler à des tribus (à moins de penser quil y ait des tribus de joggers, de footballeurs etc) » . Les mêmes interrogations se posent concernant les autres études réalisées sur le sujet.  Nous préférons ne pas focaliser notre attention sur des dénominations réductrices de ces groupements, qui ne constituent dailleurs pas le cur du sujet. Cest pourquoi nous parlerons plus simplement de groupes étudiés selon le point de vue postmoderne.  Les caractéristiques de ces groupes aboutissent à un regain dintérêt pour des points danalyse de la consommation peu étudiés au préalable. Ainsi, les recherches sur les groupes postmodernes permettent de compléter les connaissances acquises (via le paradigme moderne) sur les comportements de consommation de groupe. 2. N ATURE DE LA CONNAISSANCE RECHERCHEE  Une des limites pouvant être portée au paradigme postmoderne, si lon se contente de lappréhender comme une période historique est de se demander si les groupes dont parlent les différents auteurs nont pas existé de tout temps. Cette critique nous semble largement justifiable ; les postmodernistes prétendant eux-mêmes que les groupes ainsi définis existaient déjà mais étaient un phénomène dominé qui devient aujourdhui dominant (Maffesoli 1988). En dépassant ces considérations sociologiques, et même si les groupes décrits existaient déjà, il nempêche quils
 nont pas ou peu été étudiés en comportement du consommateur. Lutilisation du paradigme postmoderne permet à ce titre un regain dintérêt pour des domaines dapplication jusque là peu analysés en marketing comme le sport, la culture, et les loisirs de manière plus générale. Dautre part, le paradigme postmoderne cherche à apporter des avancées en terme de nature de la connaissance sur plusieurs plans : 1. Le passage de létude du comportement du consommateur à létude des comportements de consommation 2. Létude des pratiques et fonctions symboliques de la consommation 3. Lanalyse des rituels de consommation et processus de sacralisation 2.1. Du comportement du consommateur au comportement de consommation Cette différence en terme de nature de la connaissance recherchée est explicitée par Meamber et Venkatesh (2000 p.88), pour qui il est nécessaire de sintéresser non plus au comportement du consommateur mais au comportement de consommation et ainsi mettre laccent sur « la nature de lexpérience de consommation en elle-même aussi bien que sur les pratiques et comportements rituels associés à lexpérience de consommation » . La consommation pourrait être alors définie dun point de vue anthropologique comme « lutilisation de possessions matérielles »  (Douglas et  Isherwood 1979 p.37) ou de façon plus postmoderne comme « une activité de manipulation systématique des signes »  (Baudrillard 1968 p.276). Ces approches anthropologique de la consommation, qui mettent laccent sur le rapport aux objets, permettent dinscrire les recherches sur les groupes postmodernes au sein du paradigme expérientiel (Holbrook et Hirschman 1982). En effet, leur objet danalyse nest pas lacte dachat en lui-même, mais les activités et usages de
 
consommation intégrés au sein du contexte plus large dexpérience sociale. Le paradigme expérientiel reste dailleurs à développer afin dy intégrer plus largement les dimensions interpersonnelles de la consommation.  A partir de là, la différence entre approche moderne et postmoderne des comportements de consommation de groupe apparaît donc nettement. Les travaux dits « modernes » restent cantonnées à une logique dinfluence et de pouvoir, du groupe sur lindividu ou de lindividu sur le groupe. Les chercheurs sintéressent entre autres aux différents groupes exerçant une influence (groupes de référence vs dappartenance, primaire vs secondaire, leaders dopinion), au type dinfluence en matière de consommation (normative ; Asch 1951 vs informative ; Cohen et Golden 1971) mais également aux facteurs explicatifs de linfluence qui sont cherchés chez lindividu (Bearden et Rose 1990), le groupe (Park et Lessig 1971 ; Witt 1969) ou dans les objets (Bearden et Etzel 1982). Quelque soient les travaux, lunité danalyse demeure le consommateur individuel.   Les recherches postmodernes sur les groupes tentent quant à elles détudier non plus linfluence du groupe mais ce qui fait lien entre les individus à lintérieur de ce groupe (Cova et Cova 2002) et quelles sont les significations accordées à ces vecteurs de lien. Cela ne veut pas dire que les jeux dinfluence nexistent pas, mais plutôt que les chercheurs postmodernes optent pour une autre « paire de lunettes » afin dobserver la « réalité ». Ils mettent ainsi laccent sur ce qui unit plutôt que sur ce qui sépare (Maffesoli 1988 p. 25). De ce fait, les études sur « lêtre-ensemble » et les éléments partagés au sein des groupes  significations, engagement- se substituent aux recherches sur linfluence sociale. Lobjet détude est donc le groupe en tant que tel ; lintérêt étant désormais porté sur lexpérience de consommation dans le groupe, amenant à sintéresser aux pratiques de consommation, ainsi quaux
 fonctions symboliques de la consommation.  2.2. Pratiques et fonctions symboliques de la consommation Nous mettrons en évidence les apports des études sur les groupes postmodernes en terme détude des pratiques de consommation, et des fonctions symboliques de la consommation. 2.2.1. Etude des pratiques de consommation : apport de la typologie de Holt Létude des pratiques de consommation semble portée en marketing principalement par Holt (1995), ayant déterminé une typologie pertinente dans le cadre de létude des comportements de consommation de groupe. Elle est en effet fondée sur létude de spectateurs de Baseball, qui peuvent être considérés comme une forme de groupe postmoderne (regroupant des individus de différentes catégories socio-professionnelles autour dune passion commune, à tendance commerciale 8 ). Holt distingue quatre métaphores de la consommation en fonction de leur objectif et de leur structure (tableau 1) : la consommation comme expérience, jeu, intégration et classification.
                                                     8  Dailleurs, les supporters de Baseball ont été choisis car laction de consommation est publique, mais également du fait de « lexistence de fortes interactions entre les consommateurs » (Holt 1995 p.2) ; ce qui justifie bien lintégration de ce type de regroupements au sein des groupes postmodernes.  
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