Madame Bovary ou le danger des sucreries - article ; n°103 ; vol.29, pg 41-51
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Description

Romantisme - Année 1999 - Volume 29 - Numéro 103 - Pages 41-51
Partant d'un infime détail textuel, une phrase montrant Emma Bovary fascinée par la blancheur et la finesse du sucre en poudre au château de la Vaubeyssard, une « lecture par le menu » organise autour de ce point de focalisation l'ensemble de l'œuvre. La reconstitution de réseaux thématiques et lexicaux montre que cette remarque en apparence anodine porte en germe une grande partie des virtualités du roman. De proche en proche, l'image du sucre en poudre se diffuse pour occuper tout l'espace thématique : luxe, douceur, pureté, enfance, mort. De la poudre blanche du sucre à celle - fatale - de l'arsenic, toute la destinée d'Emma, toute la démarche esthétique de Flaubert se trouvent résumées dans cette séduction doucereuse.
From a slight detail of the text, a sentence about the amazement of Emma Bovary staring at the white and thin caster sugar at La Vaubeyssard Castle, a « lecture par le menu » organises around this focal point the whole novel. The re-constitution of thematic and lexical networks emphasises the importance of this casual remark, which in fact carries a great part of the mea-nings of the novel. Gradually, the image of the caster sugar expands and finally takes up all the thematic field of the novel : luxury, sweetness, purity, childhood, death. From the white powder of the caster sugar till the white - and lethal - powder of arsenic, the whole destiny of Emma, and the whole aesthetic approach of Flaubert, are summarised in this sweet seduction.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 126
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Michel Bernard
Madame Bovary ou le danger des sucreries
In: Romantisme, 1999, n°103. pp. 41-51.
Abstract
From a slight detail of the text, a sentence about the amazement of Emma Bovary staring at the white and thin caster sugar at La
Vaubeyssard Castle, a « lecture par le menu » organises around this focal point the whole novel. The re-constitution of thematic
and lexical networks emphasises the importance of this casual remark, which in fact carries a great part of the mea-nings of the
novel. Gradually, the image of the caster sugar expands and finally takes up all the thematic field of the novel : luxury, sweetness,
purity, childhood, death. From the white powder of the caster sugar till the white - and lethal - powder of arsenic, the whole
destiny of Emma, and the whole aesthetic approach of Flaubert, are summarised in this sweet seduction.
Résumé
Partant d'un infime détail textuel, une phrase montrant Emma Bovary fascinée par la blancheur et la finesse du sucre en poudre
au château de la Vaubeyssard, une « lecture par le menu » organise autour de ce point de focalisation l'ensemble de l'œuvre. La
reconstitution de réseaux thématiques et lexicaux montre que cette remarque en apparence anodine porte en germe une grande
partie des virtualités du roman. De proche en proche, l'image du sucre en poudre se diffuse pour occuper tout l'espace
thématique : luxe, douceur, pureté, enfance, mort. De la poudre blanche du sucre à celle - fatale - de l'arsenic, toute la destinée
d'Emma, toute la démarche esthétique de Flaubert se trouvent résumées dans cette séduction doucereuse.
Citer ce document / Cite this document :
Bernard Michel. Madame Bovary ou le danger des sucreries. In: Romantisme, 1999, n°103. pp. 41-51.
doi : 10.3406/roman.1999.3387
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1999_num_29_103_3387BERNARD Michel
Madame Bovary ou le danger des sucreries
Lire par le menu
Partir d'un détail. Des plus minces. Cette image qui vous reste d'un livre quand
vous y repensez. Quelque chose comme le punctum de Barthes, l'élément infime qui
attire l'attention et finit, à vos yeux, par caractériser toute l'œuvre. Il n'y a guère
d'objectivité là-dedans. On ne peut dire que moi, je. Mais Bachelard, Poulet et
Richard pratiquent-ils autrement et est-il lecture qui ne soit pas subjective?
Lire par le menu, c'est d'abord lire le détail du texte en lui accordant une impor
tance et un intérêt immenses, comme s'il était à lui seul tout le texte l. Et il le devient,
de fait. En tirant ainsi un fil, jusqu'au bout, pelote de significations croisées, de para
digmes, de coïncidences textuelles, on dévide peu à peu tout le tissu de l'œuvre.
Microcosme parfait, le détail porte en lui l'infini des parcours de lecture. A tenir ainsi
la lorgnette critique par le petit bout, on prendra le texte au pied de la lettre. Il s'agit
de s'y enfermer comme dans un univers clos, qui se définit lui-même, mais pas pour
lui-même : la lecture est ici première, c'est elle qui a isolé le détail que l'on interroge.
Il s'agit d'expliquer la lecture et l'explication de texte cède le pas à un inventaire des
effets de lecture.
Lire par le menu, c'est aussi utiliser les menus des logiciels. Peu importent les
matériels, les supports, les programmes 2 ; ce sont les principes et les résultats qui
comptent. On jugera des résultats; les principes sont bien connus : l'ordinateur ne sait
reconnaître que des suites de lettres. Ces œillères informatiques écartent les facilités
de la synonymie, de la périphrase, des «champs lexicaux» et limitent la vision aux
mots de l'auteur, interdisant ces études thématiques qui s'accommoderaient d'une tr
aduction ou d'un résumé.
Les lectures par le menu s'imposent donc cette double contrainte : partir d'un
détail et n'étudier que des formes graphiques, rester, dans les deux cas, au ras du texte
et retarder le plus possible l'imposition d'un sens. Ces deux pratiques permettent de
s'en tenir au but initial : inventorier les relations de la partie au tout en reconstituant
les chemins d'une lecture. Subjectivité totale quant à l'objet, objectivité maximum de
son étude.
1. Pour ce qui est de Flaubert, c'est peut-être Pierre Danger, dans son livre Sensations et objets dans le
roman de Flaubert (Colin, 1973), qui a le mieux cerné «ce sens du détail qui sera le grand art de Flaubert,
détail insignifiant en apparence mais évocateur de toute une atmosphère, révélation soudaine et mystérieuse
de l'épaisseur des choses» (p. 51).
2. Disons tout même qu'ont été utilisés le cédérom DISCOTEXTl (Institut National de la Langue Franç
aise, diffusion Hachette), ainsi que la banque de données FRANTEXT.
ROMANTISME n° 103 (1999-1) 42 Michel Bernard
On versa du vin de Champagne à la glace. Emma frissonna de toute sa peau en sentant
ce froid dans sa bouche. Elle n'avait jamais vu de grenades ni mangé d'ananas. Le
sucre en poudre même lui parut plus blanc et plus fin qu 'ailleurs 3.
Au château de la Vaubeyssard, tout est merveilleux et nouveau. Même le sucre en
poudre. Pourquoi ce détail m'a-t-il attiré? Pourquoi s'est-il imposé à ma mémoire jus
qu'à subsumer à mes yeux le roman tout entier? La compatissante ironie de l'auteur
envers son héroïne ne trouve ici qu'une réalisation parmi bien d'autres, les marques
de la naïveté et de l'émerveillement d'Emma sont nombreuses dans le chapitre et rien,
à première vue, ne distingue celle-ci.
Sucre empoisonné
Première piste : le sucre. Quand Homais tente de dissimuler le suicide d'Emma,
pour éviter un scandale, il invente une «histoire d'arsenic qu'elle avait pris pour du
sucre, en faisant une crème à la vanille» (402). Confusion classique, Agrippa d'Aubigné
évoquait déjà, à propos des empoisonnements de son temps, «un arsenic si blanc /
Qu'on le gousta pour sucre» 4. Pour les Yonvillais, donc, Emma est morte d'avoir
confondu le sucre et l'arsenic, cette «poudre blanche» (321, 389). Mortelle gourmand
ise. De fait, n'est-elle pas morte de son émerveillement à la Vaubeyssard? C'est là
qu'elle contracte ce goût du luxe qui la perd. Ce sucre si blanc était vénéneux.
L'intervention de Homais n'est d'ailleurs pas innocente. Il ne cherche pas seul
ement à couvrir d'un voile le suicide d'Emma, il voudrait aussi faire oublier que l'arse
nic venait de chez lui. Et puis il y a beaucoup de sucre dans son officine... Homais
vend des confiseries. Pour le baptême de Berthe, dont il est le parrain, il offre «six
boîtes de jujubes, un bocal entier de racahout, trois coffins de pâte à la guimauve, et,
de plus, six bâtons de sucre candi qu'il avait retrouvés dans un placard» (154). Ces
sucreries d'apothicaire sont en réalité dangereuses. Le jour où Emma apprend l'exis
tence du capharnaum où Homais cache ses poisons, celui-ci est en train de confec
tionner des confitures avec Justin, qui est allé chercher là-bas, dans le laboratoire, une
bassine capable d'empoisonner toute la famille (321). Tout ce sucre : «du sucre râpé,
du sucre en morceaux» (319); et à côté le bocal d'arsenic. Que l'on s'étonne si
Emma a pu les confondre! La présence du sucre en pharmacie n'a d'ailleurs rien
d'étonnant au XIXe siècle. Brillât-Savarin, dans sa Physiologie du goût (1825) rappelle
que «Le sucre est entré dans le monde par l'officine des apothicaires. Il devait y jouer
un grand rôle; car, pour désigner quelqu'un à qui il aurait manqué quelque chose
essentielle, on disait : c'est comme un apothicaire sans sucre»5.
Or le sucre, chez Homais, n'est jamais simple à reconnaître. Quand Binet vient
demander de l'« acide de sucre» pour nettoyer son fusil, il se fait vertement
reprendre : «Acide de sucre? fit le pharmacien dédaigneusement. Je ne connais pas,
j'ignore! Vous voulez peut-être de l'acide oxalique? C'est oxalique, n'est-il pas
vrai?» (234) Curieux acide tiré du sucre... Étonnamment proche de l'acide arsénieux6.
3. Madame Bovary, p. 109. Les références renvoient à l'édition procurée par Bernard Ajac, Garnier-
Flammarion, 1986.
4. Les Tragiques, IV, 6.
5. Physiologie du goût, «Méditations», VI, Du sucre.
6. Le Dictionnaire de médecine usuelle du docteur Beaude (Didier, 1849)

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