Syntaxe et syncope : langage du corps et écriture chez Guillaume de Machaut - article ; n°1 ; vol.40, pg 60-74
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Description

Langue française - Année 1978 - Volume 40 - Numéro 1 - Pages 60-74
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 74
Langue Français

Extrait

Jacqueline Cerquiglini
Syntaxe et syncope : langage du corps et écriture chez
Guillaume de Machaut
In: Langue française. N°40, 1978. pp. 60-74.
Citer ce document / Cite this document :
Cerquiglini Jacqueline. Syntaxe et syncope : langage du corps et écriture chez Guillaume de Machaut. In: Langue française.
N°40, 1978. pp. 60-74.
doi : 10.3406/lfr.1978.6136
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1978_num_40_1_6136Jacqueline Cerquiglini, Université d'Orléans
SYNTAXE ET SYNCOPE : LANGAGE DU CORPS
ET ÉCRITURE CHEZ GUILLAUME DE M ACH AUT
On s'est souvent étonné de ne pas rencontrer en ancien français de théo
riciens de la grammaire, comme si le latin, la grammatica, selon la dési
gnation de l'école, avait en ce domaine, absorbé toute la réflexion. Mis à
part, en effet, quelques manuels pratiques, manuels de conversation par
exemple, ou dictionnaires de rimes, textes tardifs et peu nombreux, la
réflexion grammaticale n'apparaît, dans le Moyen Age français, que sous
forme de traductions du latin ou à travers des métaphores elles-mêmes
empruntées au latin, métaphores sexuelles le plus souvent1. Gautier de
Coinci dénonce ainsi l'homosexualité, opposant fortement « grammaire » à
« nature » :
« Ils (les homosexuels) metent hic en toutes pars.
La gramaire hic a hic acopple,
Mais nature maldist la copple.
Nature rit, si com moi samble,
Quant hic et hec joinnent ensanble
Mais hic et hic chose est perdue; »
Les Miracles de Nostre Dame, Miracle 1 1,
v. 1232-1234 et 1239-1241 2.
La grammaire et ses catégories (ici, le démonstratif, plus loin dans le texte le
p. if et l'actif), deviennent un moyen de penser, d'énoncer d'autres
domaines, et en particulier, la sexualité. L'amour, en retour, permet, semble-
t-il, de parler du langage et de ses lois. Qu'on pense, en effet, aux leys
ď Amors provençales, lois d'amour et lois de poésie, qui unissent en un même
traité une éthique, une grammaire, une poétique et une rhétorique. La
réflexion grammaticale en français est peut-être chez les poètes. C'est ce que
nous voudrions montrer grâce à un texte qui met en scène une fable de
communication —, une fable, c'est-à-dire un modèle et une fiction. On
n'évite pas, pour l'ancien français, que ce soit dans l'appréhension de sa
langue ou de sa réflexion sur la langue, le passage manifeste par les formes
littéraires.
1. Voir K.-H. Cubtius. La littérature européenne et le Moyen Age latin, traduction française par Jean
Rrejoux. Paris. P.U.F.. 1956, pp. 512-513. et R. Babthes, « L'ancienne rhétorique », Communications, 16,
1970, p. 171. note 1.
2. Gautier de Coinci. Les miracles de Nostre Dame, éd. V. F. Koenig, t. II, Genève, Droz, 2e édition, 1970.
60 le Voir Dit de Guillaume de Machaut (littéralement le Vrai Dit, Modèle,
texte écrit entre 1362 et 1365) présente les différentes formes possibles que
peut revêtir la communication entre un amant (donné comme le poète) et
une dame (sa jeune admiratrice), d'une correspondance littéraire à une
communion charnelle : in absentia, échange de pièces lyriques, de lettres, que
le texte insère, de paroles, transmises par des messagers, d'objets : portrait
offert par la dame à l'amant, bagues, de rêves même; in praesentia, gestes,
paroles, union. Le thème amoureux qui colore les deux pôles de l'échange
en amant et dame est fondamental : le jeu donne un sexe à la voix. Fiction,
le Voir Dit met en scène ces différents modes de communication dans un
récit qui les organise et qui, écrit pour la dame comme un acte d'amour,
s'adresse en fait, comme un traité, à un lecteur : nous. Machaut expérimente,
exemplifie le pouvoir des différentes formes du dire, il explore le jeu de leur
mise en présence.
Une typologie de la communication
Le critère grâce auquel le poète mène son enquête, et qu'il affirme dès le
titre du livre, est celui de la vérité. Ce critère discrimine, pour lui, un seul
mode de communication : le corps. La voix du corps seule dit vrai. Cette théor
ie apparaît très clairement dans toute l'œuvre de Machaut dans l'opposit
ion, faite par le poète, de cette voix à la parole trompeuse. Car la parole
ment ou peut mentir : de cette incertitude naît sa disqualification. Par son
rapport médiat à ce qu'elle désigne, elle est toujours déjà glose, parabole.
Les termes « parole » et « parabole » peuvent alterner chez Machaut. mar
qués d'un même coefficient péjoratif. La dame déclare ainsi au poète, lors
de leur première entrevue, dans le Voir Dit :
« Je ne ressemble pas le jai
Qui n'a que plumes et paroles,
N'en moi n'a nulles paraboles.
Tenés ma foi. »
VD, v. 1945-1948 (PP, v. 1807-1810)3
La comparaison, niée, avec le geai, un de ces oiseaux auxquels on peut
apprendre à parler, signe, d'ailleurs, une seconde inquiétude. La parole
peut toujours être imitée. Rien ne garantit donc qu'elle ne fonctionne pas
à vide. Elle peut même, empruntant sa voie à la logique, prouver ce qui n'est
pas :
« Car logique sert de ceste œuvre,
Et fait par argumens -sembler
Ce qui n'est pas et ressembler
Une chose a l'autre opposite;
Et fait de la copulative
3. Les citations du Voir Dit (VD) renvoient à l'édition, à paraître, de M. Paul Imbs. Nous remercions viv
ement M. Imbs d'avoir mis cette édition à notre disposition. On trouve, entre parenthèses, les références à l'an-
cienne édition de Paulin Paris, Le livre du Voir-Dit de Guillaume de Machaut, Paris, Société des Bibliophiles
françois, 187 5. édition désignée par le sigle PP.
Les citations des autres dits de Machaut renvoient à l'édition d'E. Hœpffner, Œuvres de Guillaume de
Machaut, 3 vol., Paris : S. A. T. P., 1908-1921. Les titres des dits cités sont abrégés selon les règles suivantes :
DL (Dit dou Lyon), RF (Remède de Fortune).
Les citations de la Prise d'Alexandrie (PA) renvoient à l'édition de L. de Mas Latrie, La Prise d'Alexand
rie ou chronique du roi Pierre Ier de Lusignan, Genève, Publications de la Société de l'Orient latin, série
historique, 1, 1877.
61 Division estrangement
Qui forme bien son argument »
v. 338-344.
écrit Eustache Deschamps dans son « Traictié de Geta et d'Amphitrion4 ».
Rien n'est donc plus à craindre en amour, en particulier, que cette parole
ď « avocat » qui « farde » son langage. Espérance le rappelle à l'amant, au
vrai amant, muet devant sa dame. Dans le Voir Dit :
« Cuides tu, se Dieus te doinst joie,
Que bonne dame se resjoie,
Quant elle oit un bon advocas
Qui bien scet proposer son cas
Et qui subtiment li parole
Et bien scet polir sa
Et qui par droit li vuelt prouver
Qu'il doit en li merci trouver?
VD, v. 2196-2203 (PP, v. 2054-2061).
et déjà dans les mêmes termes dans le Remède de Fortune :
« Cuides tu que dame honnourée,
Sage, loial et avisée,
Prise celui qui s'amour rueve
Par mos polis, pleins de contrueve.
Et qui, en priant, son langage
Farde pour mieus faire le sage,
Ou qui la requiert baudement
De s'amour, et hardiement?
RF, v. 1733-1740.
Le mot « parole » appelle à la rime deux échos, caractéristiques par leur
fréquence, chez Machaut. Parole : escole : la parole ment par ruse, par ra
isonnement « logique », parole : frivole : la parole ment par vanité, au sens où
elle n'est, selon le terme médiéval, que « venvole », « parole volage » dit
Machaut dans le Dit de l'Alerion (v. 829). Elle n'est vraie, en effet, que parce
que j'atteste avec des mots qui m'engagent sa vérité. Mais comment se repo
ser entièrement sur la foi jurée au xive siècle, en un temps où l'on voit des
princes rompre leur serment 5? Le problème se pose en termes identiques pour
Machaut et ses contemporains en ce qui concerne la monnaie6, autre objet
d'échange fondé sur un pacte. Machaut se plaint de ce « remuement » monét
aire dans un passage du Voir Dit qu'on a toujours considéré comme une
digression 7 mais qui s'inscrit, en fait, dans la problématique même du signe
qui organise le livre. La monnaie comme la parole sont alors dévaluées. De

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