Théorie politique pure - article ; n°2 ; vol.11, pg 364-379
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Description

Revue française de science politique - Année 1961 - Volume 11 - Numéro 2 - Pages 364-379
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Bertrand De Jouvenel
Théorie politique pure
In: Revue française de science politique, 11e année, n°2, 1961. pp. 364-379.
Citer ce document / Cite this document :
De Jouvenel Bertrand. Théorie politique pure. In: Revue française de science politique, 11e année, n°2, 1961. pp. 364-379.
doi : 10.3406/rfsp.1961.392624
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1961_num_11_2_392624Théorie Politique Pure
BERTRAND DE JOUVENEL
/. Entre la théorie et les recherches concrètes, la science poli
tique offre un divorce inconnu dans les autres disciplines. Pourtant
ces études, réciproquement indépendantes, manifestent le souci
commun de penser l'ordre soit idéal, soit existant. Mon souci est
autre : c'est de penser la dynamique. Nous avons des tableaux
synthétiques d'états de choses prônés, déduits de principes ; nous
avons des analyses fouillées d'états de choses constatés, tirés de
l'observation ; il me paraît utile d'y ajouter des schémas du pro
cessus d'action aboutissant à l'événement. Je dois aussitôt préciser
qu'il ne s'agit point de philosophie de l'histoire, mais du micro
processus d'action à court terme.
2. Le divorce entre les recherches concrètes et la théorie poli
tique contraste avec une relation organique dans toutes les autres
sciences : la possession de la théorie guide les recherches pra
tiques, dont les résultats en retour apportent des amendements à
la théorie. Rien de tel en science politique : mais aussi la théorie
y est-elle d'une autre nature qu'ailleurs. Faire de la théorie, dans
les autres disciplines, c'est construire dans l'esprit un modèle qui
schématise la genèse des phénomènes, de sorte qu'il y ait corre
spondance entre l'enchaînement logique des concepts et la succes
sion chronologique des apparences observées : cette correspondance
se vérifie si tel changement apporté à la fois dans une pièce du
modèle et la pièce correspondante de la réalité, entraîne logique
ment dans le modèle et chronologiquement dans la réalité la même
modification du résultat. Un modèle ainsi conçu est prédicteur, et
invalidé par sa prédiction erronée. Son mandat est de représenter
la réalité, sa vertu est d'y être docile.
Au contraire une théorie politique a le caractère d'un précep
teur inspiré par des exigences morales. Le théoricien est en puis
sance « législateur » : si les lois qu'il pose sont déduites de prin
cipes éthiques, elles ne peuvent être invalidées par l'expérience :
364 Théorie Politique Pure
et par exemple une théorie qui condamne le meurtre n'est pas
invalidée par une statistique des assassinats ; si les lois qu'il pose
ont un caractère instrumental par rapport à une finalité morale à
réaliser, l'expérience est plus pertinente, mais des esprits con
vaincus estimeront toujours que les fruits escomptés ont manqué
per accidens. Insensé qui ferait fi des théories politiques dont le
rôle dans les affaires humaines est immense parce qu'elles sont
porteuses de valeurs et parce qu'elles entrent dans la formation
de nos jugements.
Mais il est compréhensible que des théories essentiellement
normatives ne fournissent pas aux investigateurs de phénomènes
particuliers le support et le réseau de communications fourni par
la théorie dans les autres disciplines. Ailleurs en effet la théorie
se met au singulier, évolue en fonction du temps et des recherches
concrètes, et, dans son enseignement, les grands auteurs ne sont
cités que pour telle ou telle loi qu'ils ont incorporée à l'édifice.
La théorie monte comme un arbre au lieu qu'en politique les théo
ries se multiplient côte à côte, la partie théorique s'étendant en
surface. Il manque par conséquent à cette science, en tant qu'elle
est exploration de la réalité, un « tronc commun » qui soutienne et
nourrisse tous ses rameaux particuliers. Ou, pour varier la méta
phore, il n'y a point d'allée maîtresse menant à une rotonde par
où accéder à toutes les parties que l'on veut explorer ; chose grave,
les explorateurs de ces parcelles diverses n'ont pas en commun
un jeu de concepts non ambigu tel que les constatations de l'un
présentent un sens immédiatement clair à tout autre. Pratique
ment, faute d'un « jeu d'outils » commun, chaque chercheur em
prunte les siens à une discipline qui lui est familière, droit, histoire,
sociologie, économie.
3. Il serait sans doute commode au progrès des études poli
tiques concrètes de les pourvoir de ce jeu d'outils commun, de cet
axe de communications que la théorie fournit dans les autres dis
ciplines. Je dis bien « commode » afin de marquer la radicale
infériorité de statut d'une « théorie » ainsi entendue relativement
à la théorie politique au sens classique. Une bonne « théorie » au
sens classique peut apporter un progrès moral et social, une bonne
« théorie », au sens que j'ai dans l'esprit, n'a pour objet que de
faciliter le travail de recherche et la formulation des constatations.
Elle peut avoir une autre utilité d'occasion, qui se révélera.
Etant acquis que je parle à présent uniquement de théorie au
sens de représentation schématique des phénomènes, la question
365 Science et Théorie de la Politique
est de savoir si une telle théorie est possible ; et les objections vien
nent à l'esprit en foule : il serait vain de les discuter une à une
d'entrée, on les rencontrera en leur temps. Mieux vaut imaginer
comment construire.
4. L'avenir est nécessairement présent à l'esprit de l'homme
engagé dans la politique. Il doit s'appliquer à prévoir l'événement
indépendant de sa volonté (eventum, n.) ou le résultat futur (even-
tus, m.) d'une décision qu'il prend (à titre principal ou comme
participant). Il a donc des préoccupations événementielles, et cela
d'autant plus qu'il se sent plus responsable : elles ne s'anéantissent
qu'au cas où il applique servilement un règlement ou encore obéit
passivement aux pressions exercées sur lui.
L'homme ne peut avoir aucune connaissance certaine de l'év
énement futur. Pourtant l'observation témoigne que nous traitons
quantité d'événements futurs comme certains. Et cela n'est pas vrai
seulement de l'ordre naturel (le soleil se lèvera
demain) mais aussi d'événements de l'ordre politique (une élection
présidentielle aura lieu aux Etats-Unis à telle date). Un instant
d'introspection témoigne que toutes nos actions impliquent des
assertions indiscutées relatives à des faits à venir. S'il y a des
événements que nous tenons pour certains, il y en a d'autres que
nous tenons pour probables, d'autres encore que nous regardons
comme problématiques, mais que nous tiendrions pour certains si
nous connaissions tel fait dont l'événement nous paraît dépendre :
ce sont les futuribles, simples possibilités tant que nous ignorons
le fait que nous estimons décisif, et qui deviennent des certitudes
si ce fait est supposé.
S'il est vrai que l'homme ne voit pas l'avenir, il n'est pas moins
vrai qu'il s'efforce de le regarder, et ce qu'il croit deviner joue un
rôle capital dans ses actions. Mais aussi il est convaincu d'avoir
prise sur l'avenir, et à raison : il n'a même prise que sur l'avenir ;
il ne7 peut rien changer à ce qui est passé, il peut causer des évé-
nenients futurs. Dans toute action réfléchie entre la prévision de
son résultat, qui est la vraie cause de l'action. L'homme rationnel,
disait Jhering, agit ut et non quia. Or la prévision d'un eventus,
issue de mon action, se prête beaucoup mieux à l'analyse intel
lectuelle que la prévision d'un erentum. Dans le cas de ce dernier,
je ne sais d'où il vient et mon inclination est de me fier aux pré
sages (le ciel couvert m'annonce la pluie); dans le cas de Y eventus
que j'ai conscience de vouloir, j'ai conscience aussi de l'action que
je fais dans ce but ; je me sens « cause » et même notre notion

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