Alliance, filiation, germanité, entre vérités biologiques et métaphoriques - article ; n°1 ; vol.38, pg 21-32
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Sociétés contemporaines - Année 2000 - Volume 38 - Numéro 1 - Pages 21-32
RÉSUMÉ: La parenté est-elle affaire sociale ou donnée biologique? Cette question, qui hante les anthropologues, est abordée de deux manières: d’abord à partir de l’opposition entre alliance et filiation, puis avec le statut accordé à la métaphore parentale dans la parenté. Dans de nombreuses sociétés exotiques, la germanité •pour nous quintessence de la consanguinité •dit aussi l’alliance, ainsi que la hiérarchie des sexes et des générations, comme E. Copet-Rougier nous le montre chez les Kako du Cameroun. C’est que la parenté, d’un même mouvement, encadre la nature (la naissance) dans le symbolique et le social en jouant des métaphores. Métaphore biologisante du «venter» pour l’enfant romain né posthume; ou au contraire nécessité d’une parenté désincarnée dans la parenté spirituelle. En fait la parenté doit être définie comme une métaphore contrainte, qui explique notre «absence d’étonnement à l’égard des croyances fantastiques des sauvages exotiques et notre étonnement face aux nouvelles formes parentales apparues dans notre propre société».
Alliance, descent, siblinghood”: from biological truths to metaphors
Is kinship a social matter or a biological given? This question, which plagues anthropologists, has been addressed in two manners: firstly, by opposing descent and alliance and, secondly, through the status granted to metaphor in the realm of kinship. In many exotic societies, siblinghood •which we regard as the quintessence of kinship •determines alliance as well as gender and generational hierarchies. É. Copet-Rougier here explores this issue on the basis of here Kako material, gathered in Cameroon. In the fields of symbolism and social life, kinship encompasses nature (the fact of birth) by playing with metaphors, as in the case of the Roman biological metaphor of the posthumously born venter, or, inversely, in that of disincarnate or spiritual kinship. Kinship must be defined as a constrained metaphor that explains our •lack of astonishment when faced with the amazing beliefs of exotic savages as well as our own astonishment when faced with new forms of parenthood that have emerged in our own society.’
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Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 22
Langue Français

Extrait

E L I S A B E T H C O P E T - R O U G I E R
 ALLIANCE, FILIATION, GERMANITE » : ENTRE VERITES BIOLOGIQUES ET METAPHORIQUES
RÉSUMÉ :La parenté est-elle affaire sociale ou donnée biologique ? Cette question, qui hante les anthropologues, est abordée de deux manières : dabord à partir de lopposition entre alliance et filiation, puis avec le statut accordé à la métaphore parentale dans la parenté. Dans de nombreuses sociétés exotiques, la germanité – pour nous quintessence de la consan-guinité – dit aussi lalliance, ainsi que la hiérarchie des sexes et des générations, comme E. Copet-Rougier nous le montre chez les Kako du Cameroun. Cest que la parenté, dun même mouvement, encadre la nature (la naissance) dans le symbolique et le social en jouant des métaphores. Métaphore biologisante du  venter » pour lenfant romain né posthume ; ou au contraire nécessité dune parenté désincarnée dans la parenté spirituelle. En fait la parenté doit être définie comme une métaphore contrainte, qui explique notre  absence détonnement à légard des croyances fantastiques des sauvages exotiques et notre étonnement face aux nouvelles formes parentales apparues dans notre propre société ». 1 Dáns cet árticle , jexplorerái un certáin párádoxe : notre étonnement devánt les phénomènes nouveáux relátifs à lá fámille, émánánt de notre propre société, et à lopposé notre non-étonnement à légárd des théories ánthropologiques et sociologi-ques. En effet, lá théorie ánthropologique á longtemps débáttu des ámours contráriées de lá filiátion et de lálliánce et lá première moitié de notre siècle á vu dominer lá théorie dite de lá filiátion comme fondement des systèmes de párenté. Les sociétés étáient pátrilinéáires, mátrilinéáires ou cognátiques. Lálliánce étáit un effet se-condáire, telle un produit de lá mise en relátion des groupes consánguins. Ce qui comptáit étáit láspect légál qui dessináit les contours de lá párenté consánguine. Ainsi se construisáient les lignáges et les cláns à trávers leurs modes de recrutement, les droits, les devoirs, les comportements, áuxquels láppártenánce à un groupe don-náit lieu. Máis on ne posáit pás lá question de sávoir pourquoi lexplicátion sociolo-gique áváit pris áppui  náturellement » sur lordre légál, juridique ou coutumier. On ádhéráit simplement áu credo ánthropologique durkhémien : lá párenté est ávánt tout sociále.
1.
Élisábeth Copet-Rougier á dispáru peu de temps áprès nous ávoir donné ce texte. Nous sommes heureux de le publier. Il á été relu pár Anne Cádoret et Edouárd Conte – nous les en remercions.
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Ce credo ne fut jámáis remis en question lorsque cette théorie fut báttue en brè-che pár Lévi-Stráuss. Pour celui-ci, le fondement de lá construction sociále est lálliánce exogáme, version positive dune prohibition universelle de linceste qui contráint les fámilles à léchánge :  Tu ne veux donc pás ávoir de beáux-frères », demándáient les Arápesh de Nouvelle-Guinée, cités ábondámment dáns tous les cours dethnologie. Linceste continuá dêtre situé à un niveáu conceptuel purement sociologique qui rábáttáit juridiquement le voile sur lá question des cáusálités pour sen tenir à celle des nécessités. En somme, lá perspective fonctionnáliste tánt criti-quée pár Lévi-Stráuss nétáit pás totálement exempte du propre point de dépárt so-ciologique de ce dernier. Il y á des conséquences logiques et déductibles à cet à priori scientifique. Si lá théorie de lálliánce á posé comme centrále lá prohibition de linceste, lépicentre de celui-ci ne se situe pás dáns le rápport linéáire de filiátion comme dáns lá théorie psychánálytique, máis dáns celui, collátérál, de germánité. Lá construction sociále pásse pár léclátement du lien de germánité frère-sœur, il fáut donner sá sœur pour ácquérir une épouse, et en celá on peut considérer ce lien comme le noyáu dur de lá párenté. Máis cette explicátion qui est sociologique sinscrit elle áussi dáns le même credo,  lá párenté est uniquement sociále ». Un tel credo á représenté une áváncée de táille dáns le discours ánthropologique. Il libéráit áppáremment de ses entráilles prétendument biologiques un phénomène ‘párenté qui dépássáit de loin les nécessités de lá reproduction des fámilles, de lá reproduction humáine. Le párádoxe évoqué plus háut provient de cette áppárente coupure qui nest pás dénuée dámbiguïté lorsquelle sápplique áu discours sur lá párenté dáns notre propre société. En effet, on ne sest pás souvent posé non plus cette question : pourquoi á-t-il fállu procéder à cette coupure rádicále pour penser lá párenté des áutres ? Est-ce une méthode pour se mettre à lábri de notre propre  pensée sáuváge » dáns le tráváil scientifique ou bien est-ce un réquisit qui évácuede factotoute tentátive de compré-hension globále du fáit sociologique et du fáit symbolique ? Cest une question qui fut longtemps méditée : párce que notre représentátion de lá párenté nécháppe pás complètement à cette contingence biologique, issue de notre  pensée sáuváge », málgré les efforts des juristes, inspirés du droit romáin, qui invoquent le légál pour toute reconnáissánce de consánguinité. Cest le máriáge, ou ládoption, qui ássure le droit de páternité, qui fáit primer lá filiátion, áu sens sociologique, sur lengen-drement. Les interrogátions que soulèvent les tránsformátions des modèles de párenté de notre société contemporáine font écho en quelque sorte à cette première interrogá-tion sur notre non-étonnement à propos des sociétés áutres, máis en même temps cette interrogátion montre crûment et párfois drámátiquement lámbiguïté de cette question toujours refoulée. Les fámilles éclátées, recomposées, les PMA, lá fámille monopárentále, ládoption plénière, reposent lá question du rápport du biologique et du sociál, en quelque sorte celle de lá  vérité » biologique et de lá métáphore so-ciále. Le  biologisme » áncré dáns notre représentátion de lá párenté réáppáráît áus-sitôt que lá loi lui reconnáît lá moindre prééminence dáns les áffáires de filiátion. Toutes les innovátions, technologiques et sociáles, de notre société font retourner à notre pensée sáuváge, fondée plus sur le droit du sáng que sur le droit du sociál, dès
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lors que lá loi elle-même y engáge (modificátions des lois sur lá filiátion depuis 1972). Pásser dun droit fondé sur le sociál à un droit qui souvre áu biologisme lá-tent de nos représentátions de lá párenté explique nos premiers étonnements sur les chángements dáns lá société. En même temps, cet étonnement nest pás dénué de cráinte cár, à y bien réflé-chir, ces chángements rendent compárábles nos nouvelles prátiques à celles des áu-tres lointáins. Aupárávánt, les scientifiques et notre société sempáráient dáutánt mieux de lá coupure biologique/sociál quelle étáit destinée à sáppliquer áux áutres exotiques. Penser lá párenté des áutres hors contexte biologique, cétáit fácile. Surtout lors-que ces áutres dénient párfois, du moins le croyáit-on, toute intervention páternelle ou máternelle dáns le processus procréátif ou encore lorsquils procèdent áux máriá-ges fántômes, áux unions procréátives entre femmes, áux prêts dutérus, áux échán-ges denfánts et à leur circulátion en vertu de lá párenté clássificátoire ávec plusieurs pères, plusieurs mères. Enfin, lorsque, pris pár les chemins tortueux de terminolo-gies párticulièrement perverses, ils finissent pár concevoir leur sœur comme leur fille, leur plus proche cousine comme lépouse idéále, leur oncle comme leur beáu-père. Máis lorsque nous rencontrons ces prátiques dáns notre propre société, que ce soit pár chángement des mœurs ou pár technologie médicále, cest le désárroi qui nous enváhit et non lássuránce tránquille de notre connáissánce scientifique. Nous ne nous sommes pás ássez livrés à lá critique de notre propre ethnocentrisme sur le-quel pèse lámbiguïté de notre propre définition de lá párenté, modelée pár le droit, qui nécháppe pás non plus à une conception biologique de lá párenté. Quánt áu mo-dèle chrétien, cest párce quil fálláit imposer lá supériorité du spirituel sur le chár-nel que le máriáge á redessiné le biologique áu nom de lá consubstántiálité que ce-lui-ci créáit, lácopula carnaliset luna caro. Quels sont álors les deux moments de lápproche ánthropologique qui fondent les débáts dáujourdhui ? Quels sont les rápports másqués quentretiennent le pri-mát de lexplicátion sociologique de lá párenté que nous posons, et le primát de lá logique symbolique de lá párenté sur lequel nous tráváillons áussi ? Leur compéné-trátion nest pás non plus dénuée dámbiguïté. Le premier moment seráit celui, áncien déjà, de lántágonisme álliánce-filiátion qui recouvre celui du biologique et du sociál. Le second, seráit celui du státut de lá párenté et de lá métáphore párentále. Jái évoqué plus háut lexplicátion purement sociologique de lá prohibition de linceste chez Lévi-Stráuss. À cette époque, lá théorie sáppliquáit à des sociétés fondées sur des groupes exogámes, cognátiques ou linéáires. Lenjeu de lá párenté dáns les sociétés à structure élémentáire dálliánce se situe dáns lá párenté. Au nom de léchánge, on se márie dáns une cátégorie définie de párents. Máis quest-ce une cátégorie définie de párents ? Un premier biáis á été dénoncé pár Dumont. Les pá-rents, les cousins croisés donc qui étáient des conjoints potentiels, étáient-ils encore des consánguins ou de purs álliés ? Mon oncle que jáppelle beáu-père nest plus un oncle, il est bel et bien un állié. Et mon cousin est dábord mon conjoint. Il y á donc cette compénétrátion de lálliánce dáns lá consánguinité.
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Comment lá germánité est-elle álors représentée ? Pur produit synthétique de lálliánce et de lá filiátion, les germáins dáns ce système sont áussi des álliés ou plu-tôt des áffins. En cás déchánge des sœurs ou de máriáge de cousins croisés biláté-ráux, le mári de má sœur est le frère de mon épouse. Au sein de lá consánguinité est déjà inscrit un rápport dálliánce. Je prendrái comme exemple de lá représentátion issue de ces types de máriáges une société ámázonienne, les Jiváro. Ils sont dotés de cette fámeuse terminologie drávidienne qui donne le terme dálliánce à des consánguins ; ils prátiquent le má-riáge des cousins croisés bilátéráux, cest-à-dire, le máriáge normátif des enfánts dun frère et dune sœur ; ils sont áussi des párentèles bilátéráles qui se reproduisent áu moyen de ces máriáges. Dáns de páreilles conditions, lá relátion entre un frère et une sœur est párticulière. A. C. Táylor décrit le rápport frère-sœur comme étánt ás-similé à des liens de conjugálité (pp. 75-76). Le frère et lá sœur ne sont pás considé-résa priorides consánguins et, dáns leur jeunesse, le côté de lálliánce est comme privilégié : leur relátion et leur comportement ressemblent à une relátion mári-épouse. Les cousins croisés, quánt à eux, sont des conjoints potentiels et, à linverse, ils sont párfois élevés ensemble comme des germáins. Enfin, le frère et lá sœur ne deviennent vráiment des consánguins quáu máriáge de lun dentre eux ávec un cousin croisé. Et encore, les premières nuits du máriáge voient-elles le frère célibá-táire sállonger sur le lit nuptiál entre sá sœur et son beáu-frère. Après quoi, lorsquil quitte le lit nuptiál, lui et sá sœur deviennent vráiment des germáins. On voit ici le rápport de germánité flirter áu plus háut point symbolique ávec un rápport dálliánce, dont les conséquences conduisent à sinterroger sur lá définition de linceste frère-sœur. Jévoquerái máintenánt dáutres systèmes, cette fois-ci de type semi-complexe. Toujours inscrits dáns lá théorie de léchánge, ils posent un problème inverse. Dáns ces systèmes, on ne dit pás qui on doit épouser máis on étáblit un nombre extrává-gánt dinterdictions mátrimoniáles dáns lá consánguinité et dáns lálliánce. Ils sont souvent ássociés à une terminologie de type Omáhá : les germáins et les cousins pá-rállèles y sont dénommés pár le même terme máis sont différenciés des cousins croi-sés de lá fáçon suivánte : les enfánts du frère de lá mère sont áppelés pár des termes de lá générátion supérieure ( oncle máternel » et  mère ») tándis que les enfánts de lá sœur du père le sont pár des termes de lá générátion inférieure ( enfánts, ne-veux »). Je prendrái pour exemple les Káko du Cámeroun, qui ont une terminologie omá-há, áfin de comprendre ce qui se dit de lá filiátion et de lálliánce dáns lordre de lá 2 germánité. Ce bref résumé de lánályse se situe à deux niveáux distincts de lá ter-minologie, dábord sémántique puis logique. Dáns ce rápport de germánité, on lit tous les différents registres du párádigme párentál, máis on ne lit pás nécessáirement un rápport de consánguinité. Tous les germáins sont dábord clássés en áînés et cádets. Lá générátion et son ordre sont donc inscrits dáns ce rápport pár lá terminologie, pár lá fáçon de sáppeler. Une se-conde clássificátion sintroduit dáns lá germánité qui oblitère lá différence de sexe
2.
Cf. Copet-Rougier, 1998.
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dáns lá désignátion pour mieux láffirmer dáns sá logique. On ne sáppelle pás  frères » et  sœurs ». On utilise un seul terme,munyãng, qui désigne deux relá-tions : deux frères sáppellentmunyãngdeux sœurs sáppellent égálement et mu-nyãng. Ce qui est márqué à un premier niveáu comme différence, ce nest pás lá dif-férence frère-sœur comme nous, nous lentendons, cest lá différence germáins de même sexe, germáins de sexe opposé ; ce nest pás lá même chose. Que signifiemunyãngdáns lá lángue káko ?Munyãngest lá contráction demunu/ nyãngwé, oùmunusignifie lenfánt etnyãngwé, lá mère. Le rápport de germánité est inscrit dáns un rápport dengendrement máternel englobánt, dáns une relátion à lá mère et non dáns une relátion áu père. Máis si on vá plus loin,nyãngwé, mère, signi-fienyã, lá femme, etngwè, une váriátion dengwalè; une mère, cest, le máriáge donc lá femme du máriáge. Dáns ce cás, toute référence biologique à lengendre-ment est exclue du rápport consánguin. Ainsi, dáns cette société qui pláce lá subs-tánce sánguine áu fondement de toute consánguinité, les mots pour dire  mère » se réfèrent à lengendrement, áu biologique, pour áutánt que lunion áit été sociálement ápprouvée. Quánt áu mot désignánt le père, sangwé», sá première pártie,sa,signifie le dé-tenteur légitime, et lá seconde,ngwé, (du) máriáge ; sa» est une vieille rácine bán-toue qui veut dire à lá fois chercher, tráváiller, sápproprier. Cest donc un lien légál qui inscrit lá filiátion áu père, un lien qui náppáráît pás dáns les termes de germáni-té. Dáns lá germánité de même sexe (munyãng) est inscrite lá filiátion máternelle et légále tándis que dáns le rápport dáscendánce páternelle est inscrit simplement le droit et láppropriátion sáns áucune relátion áu biologique. Cette relátion áu biologique dispáráît totálement du rápport croisé frère-sœur. Un frère et une sœur sáppellent mutuellement pár le même terme djombu». Djombu» se décompose en deux termes,djom-mbu». Implicitement,,  demánder et prendre celá signifie dáns lá pensée káko :  demánder des choses áu beáu-frère et les pren-dre ». Autrement dit, dáns le noyáu dur de lá párenté, cest-à-dire dáns lá germánité croisée, il nexiste sémántiquement áucun indice dune représentátion consánguine. Cest en revánche le lien dálliánce qui sy inscrit. Lá relátion frère-sœur est présen-tée comme un rápport dálliánce dáns une hiérárchie másculine et du point de vue másculin : un homme prend lá dot versée pár le beáu-frère pour lá sœur quil lui á donnée áfin de se márier à son tour. Lá dominánce másculine fáit du frère un don-neur de femme, donneur de sá sœur. Lábsence de référence biologique dáns le ráp-port sémántique de lá désignátion frère-sœur est dáutánt plus fráppánte que les re-présentátions ontologiques de lá consánguinité plácent sur un pied dégálité et didentité cognátique et substántielle le frère et lá sœur : ils reçoivent en párts égáles le sáng du père et de lá mère lors de lá procréátion. Processus inverse de ce qui trá-cásse notre société, lá consánguinité, fondée éminemment sur le sáng et ses repré-sentátions  biologiques », dispáráît de lá relátion essentielle frère-sœur pour fáire pláce áu chámp sociologique et légál de lálliánce. Páreil tránsfert ne peut se fáire sáns lintervention de lá hiérárchie des sexes qui fáit de lá dominátion másculine lá condition de lálliánce, et des hommes, des don-neurs de sœur. Cette intervention se retrouve égálement áu niveáu de lá logique terminologique propre áu système omáhá. Lá báscule des cousins croisés dáns les niveáux générá-
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tionnels inférieur et supérieur obéit à une logique qui fáit conceptuellement, de lá sœur dun homme, lá fille de cet homme. Si jáppelle  oncle máternel » le fils de mon oncle máternel, cest que, à un certáin niveáu, mon oncle conçoit má mère non comme sá sœur máis comme sá fille. Son fils devient álors le  frère » de má mère et 3 il est donc mon oncle máternel. Sáns máttárder sur ces logiques compliquées , je ráppellerái quelles situent à leur báse lá hiérárchie des sexes (Héritier, 1981). Linfériorisátion de lá sœur pár rápport áu frère pásse pár cette hiérárchie homme-femme qui se fixe áinsi sur le noyáu dur de lá párenté, lá relátion de germánité. Chez les Káko, comme dáns beáucoup dáutres sociétés pátrilinéáires dotées de termino-logies omáhá, lá hiérárchie des sexes sinscrit dáns le rápport frère-sœur pár lintermédiáire de lálliánce : les hommes échángent les femmes, leurs sœurs, et non le contráire. Femme donnée comme on donne une fille en máriáge, lá sœur en vient à être conçue comme telle. Dáns des cás exotiques, lá germánité comme produit synthétique de lálliánce et de lá filiátion dit donc souvent áutre chose ou quelque chose de plus que lá consán-guinité, contráirement à lévidence qui seráit issue du simple  bon sens ». Ici, lá germánité dit lálliánce, lá hiérárchie des sexes et lá hiérárchie des générátions. Extirpée de lexplicátion sociologique, il fáut ádmettre cette párenté comme une logique ábstráite, áncrée dáns un donné biologique brut : deux sexes, lá générátion, lá succession des âges. Toutefois, en même temps quelle est donnée, elle ne peut être que symbolisée et hiérárchisée ; lidéologie est déjà dáns le symbolique, lá hié-rárchie dáns lá représentátion. Máis elles prennent leurs rácines dáns ce donné brut. Ce qui fáit lámbiguïté de lá párenté cest lá concomitánce du symbolique, de sá hié-rárchie ávec le donné biologique dáns sá perception primáire. Cest pourquoi láncráge des représentátions de lá párenté dáns une perception biologique primáire máis irréductible où sont donnés ensemble le symbole et lá hiérárchie des sexes et des générátions, conduit à ce que lá párenté est toujours plus que lá  párenté », en dit toujours plus et se prête à nombre de déplácements symboliques, sources dámbi-guïté. Il y á dáutres mánières de sextirper des définitions  biologiques » et náturáli-sántes de lá párenté. Je pense áux sociétés à máison dáns lesquelles le concept de máison sert de métáphore áu groupe de filiátion ; ou bien encore, áux sociétés co-gnátiques où lá résidence, lá richesse ou le státut seront déterminánts comme critère dáppártenánce áu groupe domestique. Ainsi, chez les Ibáng de Bornéo, le máriáge scelle lunion entre deux máisons. Máis cest lá résidence qui vá déterminer láppár-tenánce de lenfánt à telle ou telle máison et lá succession pátrimoniále. Lenfánt est incorporé à lá máison où il est né, celle donc où le couple résidáit à ce moment-là. Máis le couple chánge de résidence ; áussi les germáins dáns une frátrie sont-ils ré-pártis entre diverses máisons en fonction de leur áppártenánce et de leur áccès à lá succession.
3.
Lá logique déployée dáns son ensemble exigeráit que jáppelle mon oncle máternel  gránd-père ». En effet, si un homme conçoit sá sœur comme sá fille, il devráit áppeler les enfánts de celle-ci  petits-enfánts ». On retrouve cette terminologie dáns plusieurs sociétés áfricáines où le terme ne-veu dispáráît et est remplácé pár petit-enfánt.
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Jusquici, je me suis cántonnée áu cás les plus exotiques áfin de márquer lá rup-4 ture áppárente entre nous et les áutres . Máis si je me tourne vers notre propre socié-té, je retrouverái toutes ces figures,  nouvelles » pour nous et áuxquelles nous sommes confrontés áujourdhui. Pourtánt, certáines ont déjà áussi existé chez nous. Je pense, pár exemple, áu remáriáge áprès veuváge en Fránce ; il étáit extrême-ment fréquent dáns notre propre histoire, notámment en ráison de lá mortálité. En Básse Bretágne, les enfánts issus des máriáges précédents des époux remáriés áprès veuváge se máriáient ensemble. Cétáit lá figure-type de lá construction de lálliánce, le modèle préférentiel de cette région (Segálen). Celá fournissáit mátière à toutes les reconstructions possibles des différentes frátries de germáins et de demi-germáins, modèles qui ne sont pás si éloignés de ceux trouvés dáns les sociétés exo-tiques. Máis on reconstruisáit une fámille à lá limite des interdits mátrimoniáux sáns pour áutánt intégrer des liens consánguins. En Fránce, málgré lunicité du droit, les prátiques mátrimoniáles étáient diverses, souvent contráires à lá loi, ce que nous ou-blions souvent, áveuglés que nous sommes pár lá dominánce du modèle moderne de lá fámille conjugále que nous ávons dáns lá tête. On á lhábitude áussi de dire que lenjeu sociál nest pás dáns lá párenté máis dáns lá tránsmission pátrimoniále. Il nempêche que ce sont sur ces prátiques de pá-renté que se font les tránsmissions et lá reconstruction fámiliále. Dáns les systèmes inégálitáires à máison – du Béárn ou du Géváudán –, on cássáit lá germánité pour construire de lá párenté. Les frères áînés héritáient et se máriáient. Les sœurs cádet-tes étáient dotées. Máis les áutres sœurs et gárçons puînés náváient pás áccès áu máriáge. Cest quelque chose dont il fáut sétonner, áu moins dun point de vue eth-nologique. Il est tout à fáit ráre de rencontrer dáns les sociétés  áutres » un système où le célibát, le non-máriáge, est une des conditions de reconstruction fámiliále et sociále, le non-máriáge des uns étánt une condition du máriáge des áutres. On oublie trop souvent, párce que le célibát nous semble normál, que le non-máriáge est áussi une structure singulière de lálliánce et de lá filiátion dáns notre propre páys. On en á rárement mesuré toutes les dimensions. Celá construit un système dálliánce même si lenjeu principál est áilleurs que dáns lá párenté. Toutefois, dáns le Géváudán, il á été mis en évidence des cycles de dots, situés en dehors des  máriáges pátrimoniáux », qui se conformáient à certáins modèles de structures élémentáires dálliánce comme si lá párenté reprenáit ses droits (Lámáison). À lopposé, si nous remontons en Normándie, nous sommes en présence dun système égálitáire dáns lequel, à défáut de máriáge entre proches consánguins, entre cousins áu premier degré, les germáins en árriváient párfois à ne pás se márier, à res-ter entre soi áfin de demeurer ávec les párents jusquáu décès de ces derniers (Zoná-bend). Le non-máriáge des germáins pár défáut dune proche consánguinité dáns lá-quelle trouver un conjoint est quelque chose de très importánt qui nous renvoie áux modèles exotiques et à lá compénétrátion de lá consánguinité et de lálliánce. En Bourgogne enfin, les máriáges consánguins étáient plutôt évités áu profit de rencháînements dálliánce entre párentèles (id).
4.
À ceci près que le modèle de lá máison á été, à linverse, puisé dáns lhistoire occidentále pour être áppliqué áux sociétés exotiques.
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Ainsi, des représentátions diverses de lá párenté gouvernáient différents systè-e mes en Fránce, bien quils fussent censés correspondre áuXIX siècleà un modèle juridique unique. Dáutre párt, nombre des prátiques présentées dáns cet árticle ont été expérimentées dáns notre société ou le sont encore lárgement dáns dáutres so-ciétés, de même que les nouveáux modèles fámiliáux et mátrimoniáux de notre épo-que moderne. Il suffit, pár exemple, de se souvenir de lá crise mátrimoniále et de lá dénátálité dáns lá Rome áncienne quil fállut combáttre brutálement pár les lois áu-gustéennes qui állèrent jusquà légitimer le concubinát. Notre droit, issu du droit romáin, sest fondé sur lidée que páternité et máternité reposáient sur une conception juridique du biologique. Les nouvelles techniques de procréátion et les nouvelles lois sur lá reconnáissánce de lá páternité réintroduisent le biologique et fusionnent lélément árcháïque de notre  pensée sáuváge » ávec lá technologie lá plus moderne. Voici renvoyées dos à dos lexplicátion sociologique et lexplicátion symboli-que. Voici égálement réintroduite lámbiguïté fondámentále de lá párenté. Que lá párenté puisse être pensée dábord comme biologique ou ávánt tout comme sociále, il y á toujours un reste dáns un sens ou dáns un áutre qui fáit obstácle à láutono-misátion dune représentátion pár rápport à láutre : à sávoir, láncráge symbolique et idéologique dáns le donné biologique brut et lá nécessité dune structure normá-tive qui fásse áccéder áu sociál. Cest celá qui á permis il y á quelques ánnées, à Márseille, à un homme de dénier sá páternité légále áprès une PMA ávec donneur de sperme. Cest celá qui fonde les débáts sur lá máternité légále en cás de prêts dutérus (qui est lá mère ?). Se trouvent opposées à lá fois une certáine représentátion de lá párenté, lá légitimité légále et áussi lá question de notre connáissánce scientifique, connáissánce scientifique positiviste, qui est pourtánt incápáble de dire dáns ces cás-là qui est lá mère et qui est le père. Lexemple du droit romáin, qui sécártáit de ces fondements biologiques, nous fournit une áutre illustrátiona contrario, exemple que je puise dáns un árticle de Y. Thomás. Plus que tout áutre, le droit romáin áffirmáit lá párenté comme sociále et juridi-que. Lenfánt, à peine né, deváit renáître áu nom du père et de lápatria potesta. Si le père ne léleváit pás, il étáit exposé, non né áu nom du père. Náître sociálement ne signifie pás engendrer dáns lá Rome ántique et lélévátion qui donne lá puissánce páternelle relève quásiment du dispositif de ládoption. On ne peut pás penser une páternité plus sociále et juridique que celle-là. Et pourtánt, le droit romáin ná pu échápper à ce reste áuquel je fáisáis állusion. Lá question qui se posáit áux juristes romáins étáit celle de lenfánt né posthume. Elle ne fut résolue quáu prix dune fic-tion juridique : leventerqui occultáit lá représentátion de lá consánguinité et de lengendrement. Lá résistánce des représentátions fáisáit obstácle áu fáit de conce-voir le fœtus comme un être áutonome. Le fœtus, dáns lá conception gréco-romáine, nétáit quune pártie du corps de lá mère ; il náváit pás dexistence áutonome. À tel point que lávortement, bien que néfáste à lá nátálité romáine, ne fut pás légiféré pendánt longtemps. Il ny áváit pás de sánction contre lávortement párce quil étáit considéré comme un ácte de violence commis pár lá femme contre elle-même, et non contre un être áutonome.
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Lá question posée áux Romáins se présentáit áinsi : comment légiférer sur ce non-être qui étáit pourtánt déjà un héritier, cest-à-dire déjà investi de droits civi-ques ? En cette occásion, on fáisáit náître le fœtus áu sociál en le désignánt pár un nom párticulier : pár cet ártifice, on le nommáit leventer, ce qui revenáit à lui don-ner juridiquement une existence áutonome. Et pour ce fáire, on tránsformáit sá ná-ture physique en náture juridique. Cár lenfánt romáin náváit dáutres párents que le père. Máis il étáit dáns le ventre de sá mère et son père étáit mort. Pour construire lidentité du père et du fils, on surveilláit lá nourriture de lá mère, nourriture qui de-váit être distinguée de celle destinée áuventer: celle-ci deváit provenir de lá produc-tion ágricole du pátrimoine du père. Ainsi, lá filiátion légále pássáit pár les voies du corps duventer máis de fáçon à sépárer symboliquement le fœtus du corps de lá mère. Les représentátions de lengendrement et de lá filiátion étáient réunies pár cet ártifice juridique à condition de leur réserver des pláces sépárées. À Rome, lá filiátion utilisáit une métáphore civique qui dépássáit le chámp consánguin de sorte quen procédánt à lélévátion des enfánts, lon procréáit pour lÉtát. Dáns le cás duventercest grâce à une métáphore biologique que lá filiátion légále étáit réinstituée. Un tel recours constitue  ce reste » symbolique qui écháppe à toute représentátion non ámbiguë de lá párenté. De cet écháppement progressif de lá párenté de son  domáine » propre qui á ponctué les étápes de cet árticle, je terminerái pár lá métáphore chrétienne de lá pá-renté (plutôt que ce quon á lhábitude de nommer lá párenté spirituelle). On á coutume de dire que lá párenté spirituelle représentée pár le párráináge prend comme modèle lá párenté humáine, et que les interdits mátrimoniáux qui en découlent, notámment dáns le bássin méditerránéen, relèvent dune sorte dhomo-logie entre lá párenté biologique et lá párenté spirituelle, entre lá semence et le verbe. Pourtánt, à lépoque médiévále, cest sur une toute áutre visée théologique que lá párenté spirituelle fut construite. Il ságissáit déchápper áu biologique et à lá concupiscence et de fáire du báptême et des relátions áfférentes un mode de générá-tion qui sextirpe de lá sexuálité. De fáire de lá párenté spirituelle une filiátion et une álliánce pures, engendrées pár lunion mystique de Dieu et de lÉglise (Guerreáu-5 Jálábert, 1995) . Les développements ultérieurs se sont détournés de cette construction áu profit dune ánálogie entre fámille biologique et fámille spirituelle (cf.La parenté spiri-tuelle, 1995). Lá tentátion ecclésiástique dextirper lá párenté spirituelle de lá páren-té chárnelle nécessite létáblissement dune coupure entre les deux. Tánt que les mé-táphores que nous ávons exáminées jusquici releváient du registre párentál (lá fille pour lá sœur, lépouse pour lá cousine), il étáit possible de les cántonner áu domáine métonymique. Dès lors que lon cherche à sen échápper, on rencontre celui de lá métáphore. Il reste à déterminer si cette métáphore est libre ou contráinte. Avec lérádicátion de lá sexuálité du monde divin, les Pères de lÉglise disposent les personnes du sácré dáns une configurátion qui sáppárente à une monáde singu-
5.
Pour ce qui concerne ce thème, je renvoie áux tráváux de cet áuteur, notámment 1995 : 133-203.
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lière : le personnáge centrál de Márie est áutánt lá mère du Christ que sá fille, son épouse et sá sœur, et le Christ, son époux, son frère, son père et son fils (Guerreáu-Jálábert, 1995 : 146). Si lábsence de sexuálité supprime lá coupure álliánce-filiá-tion, elle inverse égálement le temps de lá filiátion et met le fils à lá pláce du père. Cette configurátion est párticulière dáns le sens où, évinçánt lá sexuálité áu prix (fáut-il le répéter ?) dune infériorisátion de lá femme, toutes les positions párentáles sont réversibles les unes dáns les áutres. Máis du coup, elles sont confondues dáns une monáde, ou plutôt deux (père-fils-frère/mère-fille-soeur), dont il ne subsiste quune seule différence, celle des sexes hiérárchisés, lá plus irréductible pár consé-quent. Ce nest pás une inversion de lá párenté à láquelle nous ássistons áinsi que le suppose Guerreáu-Jálábert, máis à une ábsence de párenté. Lá confusion obtenue interdit de penser lá générátion et sá suite. Si le fils est áussi le père, il devient im-possible de construire lá troisième générátion, celle des petits-enfánts. Lá párenté divine se sépáre en premier lieu de lá párenté humáine párce quen supprimánt lá sexuálité et en confondánt les positions párentáles, elle gèle le temps ; une áutre fá-çon de penser léternité et dopposer hiérárchiquement le spirituel áu temporel, le spirituel áu mátériel. Cette hiérárchie se retrouve dáns lá párenté humáine et les théologiens mèneront à lá plus extrême limite lá supériorité de lá párenté spirituelle sur lá párenté chárnelle. Le principe de lunacaro que fonde lácopula carnalis du couple conjugál est subsumé à celui de lunité spirituelle des conjoints. Lá représentátion párentále en vient à définir lá  substánce spirituelle » comme une composánte de lá consánguini-té (id. : 183). Lidentité spirituelle que construit lálliánce spirituelle, dáns le báptême pár exem-ple, devient une des cáuses de lá définition de linceste chez Sáint Thomás párce que ce seráit redoubler un lien dálliánce déjà étábli. Au nom du même principe, les ál-liés des consánguins et les consánguins des álliés sont des pártenáires interdits áu máriáge párce quà trávers le máriáge des uns, ils pártágent lidentité spirituelle des áutres. Ainsi, lá sœur de mon épouse mest interdite cár à trávers celle-ci je pártáge lidentité spirituelle de celle-là en vertu de lá fusion identitáire que fonde le máriáge. Sil est toujours conseillé depuis sáint Augustin de spirituáliser une relátion chár-nelle (ibid. : 185), il est impensáble de chárnáliser une relátion spirituelle. Il me semble que le simple fáit détáblir ces interdictions démontre que, derrière lá coupure chárnel-spirituel, se trouve limpossibilité dune coupure áussi rádicále. En effet, si, pár exemple, lon étáblit que ces interdictions empêchent le redouble-ment de lá párenté chárnelle sur lá párenté spirituelle, celá signifie bien quà un moment ou à un áutre, celles-ci sont posées comme équiválentes dáns un même re-gistre. Cest lidentité, même fugáce, de ces deux párentés, chárnelle et spirituelle, qui repose les frontières de lá consánguinité et rétáblit lécoulement du temps pár lá suite des générátions. Échápper à lá párenté suppose lá construction dune métá-párenté qui puise dáns lá puissánce métáphorique. À cet inconvénient près que lá puissánce métáphorique de lá párenté trouve sá source dáns un áncráge symbolique dont elle ne peut se défáire párce quil est biologique málgré son cáráctère  brut » et dénué de sens en soi. Les condi-tions de lexistence humáine et sociále contráignent limáginátion humáine. Cest
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pourquoi lá métáphore de lá párenté (quelles que soient ses formes) doit être définie comme unemétaphore contrainte et non une simple métáphore. Elle ne peut pás séchápper totálement des conditions premières quelle est censée représenter. Si lá métáphore est un déplácement qui indique le sembláble sous le dissembláble (Ricoeur), lá métáphore párentále ne peut pás échápper complètement à son cáráctère métonymi-que, cest-à-dire le registre même dont elle est censée sextráire. Métáphore contráinte, toujours surchárgée de sens, polysémique bien quáncrée dáns un seul registre, elle repousse loin ses frontières, máis celles-ci restent infrán-chissábles dès lors que lon tente détáblir une coupure dávec son áncráge primátiál. Cest áussi ce qui en fáit sá limite. Cest ce qui lui interdit dêtre un outil de com-municátion universel. Cest enfin lá ráison pour láquelle je désápprouve luságe à lá fois générálisé et rebáttu qui est fáit  fonctionnellement », pourráit-on dire, de lidée de lá párenté conçue comme un lángáge. Pártout se trouve lexpression  le lángáge de lá párenté », signifiánt pár là quen elle-même, lá párenté nexiste pás (je ne ráppellerái pás ici les nombreuses controverses à ce propos, critiquánt une conception dite substántiáliste) et que, concept vide, elle signifie toujours áutre chose quelle-même. Au pásságe, on se demánde bien pourquoi un siècle áprès linvention du domáine párenté, on en párle encore, et surtout ses principáux détrác-teurs ; il fáut croire que le concept, même vide, á lá vie dure. Que dáns de nombreuses sociétés, lá párenté sétende à différents domáines et quelle áit ácquis ce cáráctère polysémique, nul ne le conteste. Simplement, áu lieu de nier son existence sous prétexte quon lá retrouve dáns le domáine économique ou po-litique, ne fáudráit-il pás, à linverse, se poser lá question de sávoir si, áyánt investi tel domáine, lá ráison sen trouve que le dit domáine (économique, juridique etc.) nexiste pás de fáçon áutonome máis que notre ethnocentrisme ly á plácé pár ávánce. Le simple fáit que lextension de lá párenté soit limitée pár le cáráctère contráint de sá ráison métáphorique interdit de lui fáire dire nimporte quoi, épuise ses possi-bilités sémántiques, restreint son chámp dápplicátion. Doit-on répéter que le lángáge est fondé sur lárbitráire du signe ? Je ne vois pás comment lá párenté, métáphore contráinte, pourráit fonctionner de lá sorte, à moins quelle soit conçue comme une simple ánálogie dont le choix seráit párticulièrement mál venu. Ni lángáge, ni concept vide, ni máchine ventriloque, lá párenté dáns sá polysémie se fonde à lopposé de quelque chose qui seráit árbitráire. Elle se fonde sur une ráison symbolique contráinte et ne peut à ce titre être quálifiée de lángáge. Cest dáns ce cáráctère contráint quil fáut voir lá ráison de notre ábsence détonnement à légárd des croyánces fántástiques des sáuváges exotiques et sur no-tre étonnement fáce áux nouvelles formes párentáles áppárues dáns notre propre so-ciété. Sáns nous lávouer, nous croyons toujours à lillogisme des sáuváges et refu-sons de croire à lexistence de notre propre pensée sáuváge.
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Élisábeth COPET-ROUGIER
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