Art et histoire : dimension et mesure des civilisations - article ; n°2 ; vol.16, pg 297-316
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1961 - Volume 16 - Numéro 2 - Pages 297-316
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Francastel
Art et histoire : dimension et mesure des civilisations
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 16e année, N. 2, 1961. pp. 297-316.
Citer ce document / Cite this document :
Francastel Pierre. Art et histoire : dimension et mesure des civilisations. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 16e
année, N. 2, 1961. pp. 297-316.
doi : 10.3406/ahess.1961.420709
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1961_num_16_2_420709DÉBATS ET COMBATS
Art et Histoire :
Dimension et mesure des civilisations
« T ES rapports qui unissent aux autres aspects d'une civilisation l'expres-
-L/ sion plastique sont encore trop mal connus, nous les voyons trop
complexes, trop susceptibles de retardement et de divergences, pour qu'il
n'ait pas fallu se résoudre ici à laisser de côté les problèmes posés par des
liaisons si délicates et des contradictions en apparence si étonnantes. »
Ces lignes ont été écrites par Marc Bloch en 1939 dans son admir
able ouvrage sur la Société féodale. Il ne semble pas que, depuis vingt ans,
des progrès substantiels aient été faits pour élucider ce problème des
rapports entre la fonction plastique et les autres formes d'une civilisation.
Plusieurs articles parus dans les derniers numéros des Annales expriment
de nouveau la perplexité et l'inquiétude des « historiens » mis en présence
de l'art ou de la littérature. Mais n'est-ce pas justement parce que les
historiens pensent qu'il peut exister une histoire où la considération du
fait plastique puisse être regardée comme accessoire qu'ils n'ont rien fait
pour dépasser la position volontairement, et provisoirement, réservée de
Marc Bloch ?
Aussi bien qu'ont-ils trouvé en face d'eux comme secours de la part
des « historiens d'art » et des archéologues, sinon l'affirmation répétée
de l'autonomie essentielle, absolue, de l'œuvre d'art qui mettrait l'homme
en contact avec le domaine des idées éternelles sans aucune servitude de
l'ordre humain, temporel ? Se refusant, non sans superbe, à polluer la
matière de leurs études, ceux-ci affirment tantôt que l'architecture n'est
pas un art parce que trop engagée dans la matière ; tantôt ils se spécia
lisent dans le génie et la beauté et ils sont en flirt avec l'absolu ; ou encore
ils font de l'art le royaume des satisfactions imaginaires. Certains disent
que les quatre ennemis de l'histoire de l'art sont l'amateurisme, la socio
logie, l'esthétique et l'histoire ; d'autres qu'une histoire de l'art scienti
fique exclut nécessairement toute considération des valeurs esthétiques г.
Puisque historiens et historiens d'art sont, en fait, d'accord pour consi
dérer qu'il n'y a guère de commune mesure entre l'objet et les méthodes
1. On trouvera en particulier ces diverses assertions dans B.Berensox, Estetica,
Etica e Storia nette arte délia rappresentazione visiva. Florence, Electa, 1948 ; L. Réaxj,
Encyclopédie de Vart, Paris, Nathan, 1951 ; Marcel Aubeut, Les Vitraux de Notre-Dame
et de la Sainte-Chapelle de Paris, Paris, 1960. Mais ces textes ne font que répéter une
opinion moyenne. Pour le texte de Marc Bloch, cf. La Société féodale et la formation
des liens de dépendance, Paris, 1939, p. 90.
297 ANNALES
de leurs études, il n'est pas surprenant que nous ayons appris peu de
choses sur ces liaisons délicates qui retenaient Marc Bloch dans l'int
égration des faits artistiques à une histoire telle qu'il la concevait, mais
dont il souhaitait vivement, en revanche, la mise à l'étude, affirmant
hautement, au surplus, sa certitude de la valeur de témoignage du fait
plastique. <c L'admirable floraison artistique de l'ère féodale... ne demeure
pas seulement, aux yeux de la postérité, la plus durable gloire de cette
époque de l'humanité. Elle servit alors de langage aux formes les plus
hautes de la sensibilité religieuse, comme à cette interpénétration, si carac
téristique, du sacré et du profane qui n'a pas laissé de plus naïfs témoi
gnages que certaines frises ou certains chapiteaux d'églises. Elle fut aussi
bien souvent le refuge des valeurs qui ailleurs ne parvenaient pas à se
manifester. La sobriété dont l'épopée était si incapable, c'est dans les archi
tectures romanes qu'il faut la chercher. La précision d'esprit que les
notaires, dans leurs chartes, ne savaient pas atteindre, elle présidait aux
travaux des constructeurs des voûtes. »
Etrangers les uns aux autres dans la pratique de leurs activités, histo
riens et historiens d'art constituent, au fond, les uns comme les autres,
les derniers représentants d'une civilisation du livre, tout entière liée à
la considération des faits du langage, voire de l'écriture. Les plus fougueux
esthéticiens eux-mêmes ne prennent en considération que les valeurs qui,
dans l'art, lui sont communes, soit avec la littérature, soit avec la philo
sophie. Ils ramènent son étude à un type de significations, illustrant des
valeurs qui se forment en dehors de lui. Et, comme les artistes expriment
précisément en termes d'objets figuratifs, et non en terme de langage, ce
qu'ils ont à dire, le malentendu n'a aucune chance de se dissiper, les
contradictions n'ont aucune possibilité de se résoudre.
L'art, cependant, ne fait de difficulté pour se mêler aux autres acti
vités de la société contemporaine que pour une petite minorité d'hommes
qui font profession d'une érudition aussi étroitement liée à une forme
exclusive d'activité et de pensée. Il est vrai que c'est à l'archéologie que
nous devons une grande partie de ce que nous avons appris sur les civi
lisations très anciennes ou lointaines. Mais on ne recourt volontiers à elle
que lorsque les autres sources de documents manquent, on ne cherche pas
cette synthèse des à laquelle aspirait Marc Bloch. En exploitant
les documents de l'archéologie, on cherche toujours à réduire le niveau
et le type de nos connaissances à l'information qu'auraient pu nous procurer
des textes s'ils avaient existé. Toutefois, c'est dans le domaine de l'histoire
des sociétés récentes que le plus grand effort reste à faire en vue de dévelop
per une connaissance méthodique des sources non écrites de l'histoire des
civilisations ; au nombre desquelles, naturellement, les arts figurent au
premier rang.

Je prendrai pour point de départ de cette confrontation le récent article
de Roland Barthes : Histoire et littérature, apropos de Racine \ II s'agit évi-
1. Roland Barthes, « et littérature : à propos de Racine », Annales E.S.C,
mai-juin 1960. Le livre de R. Picard est : la Carrière de Jean Racine, Paris, 1956.
298 ART ET HISTOIRE
demment de littérature, c'est-à-dire d'un art qui utilise le langage comme
instrument ; mais l'article met en relief avec tant de netteté les présup
positions — absolument gratuites — qui s'opposent au progrès d'une
réflexion historique sur le rôle des arts dans la société qu'on ne saurait
désirer un terrain de discussion plus net.
L'article de Roland Barthes repose sur quatre hypothèses :
1° Les visions du monde. L'artiste est une main qui exécute. Peu
importe si le produit est un livre ou un objet. Ce qui compte, c'est le rap
port entre ce produit, l'artiste et la collectivité. L'artiste prend des
valeurs dans le milieu ambiant. Il les traduit, les transpose, leur donne
corps. La facture renvoie à l'artiste, la signification à la société qui l'a
formé et instruit.
2° L'histoire de l'esprit. L'œuvre d'art est le lieu de certaines pensées
collectives, moyennes, de groupes humains à déterminer et dont les
contours ne se confondent pas avec la totalité d'une société. Les artistes
vivent souvent à cheval entre plusieurs groupes et entre plusieurs formes
de pensée. Ils ne sont pas vraiment « purs ». Barthes dit, parlant d'un
de ses récents historiens : Racine gêne Picard. Je dirai plutôt qu'il gêne
Barthes ; car Picard, lui, s'en est parfaitement accommodé. C'est même le
principal grief de Barthes à son égard. Dans sa perspective à lui, l'artiste
n&

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