Augustin Thierry : le moment de la « véritable » histoire de France - article ; n°28 ; vol.10, pg 289-303
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Description

Romantisme - Année 1980 - Volume 10 - Numéro 28 - Pages 289-303
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1980
Nombre de lectures 31
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M Jacques Neefs
Augustin Thierry : le moment de la « véritable » histoire de
France
In: Romantisme, 1980, n°28-29. pp. 289-303.
Citer ce document / Cite this document :
Neefs Jacques. Augustin Thierry : le moment de la « véritable » histoire de France. In: Romantisme, 1980, n°28-29. pp. 289-
303.
doi : 10.3406/roman.1980.5356
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1980_num_10_28_5356Jacques NEEFS
Augustin Thierry : le moment de la « véritable » histoire de France*
Thierry écrivait, le 13 juillet 1820, dans sa première « lettre sur
l'histoire de France », adressée au rédacteur du Courrier Français (1) :
« L'histoire de France, telle que nous l'ont faite les écrivains modernes,
n'est point la vraie histoire du pays, l'histoire nationale, l'histoire populaire :
cette histoire est encore ensevelie dans la poussière des chroniques contemp
oraines [...]. La meilleure partie de nos annales, la plus grave, la plus instruct
ive reste à écrire ; il nous manque l'histoire des citoyens, l'histoire des sujets,
l'histoire du peuple. »
Edifier la « véritable histoire » de France est alors une tâche à la
fois « utile », « difficile » et « glorieuse ».
« Utile » pour comprendre ce qui s'est passé dans les trente années
précédentes (13 juillet, un anniversaire). Car l'historiographie tradition
nelle, cantonnée dans un « petit nombre de personnages privilégiés » et
« le détail bien complet d'un état de maison royale », absorbée dans
« la chimère de la transmission non interrompue d'un pouvoir toujours
le même aux descendants d'une même famille » n'a produit qu'un lien
artificiel, « au-dehors » de l'histoire elle-même. Aussi,
« comment de ces récits qui embrassent tant d'années et où la nation fran
çaise ne figure que pour mémoire, peut-on passer, sans éprouver de vertiges,
à l'histoire des trente années que nous venons de voir s'écouler ? Il semble
qu'on soit transporté tout-à-coup sur une terre nouvelle, au milieu d'un peu
ple nouveau ; et pourtant ce sont les mêmes hommes. »
Quelque chose s'est révélé dans la Révolution qui devait nécessai
rement être en formation dans l'histoire elle-même. Ou, plus exacte
ment, la Révolution n'apparaît une rupture incompréhensible que par
ignorance de la véritable histoire qui y aboutit : « Non, ce n'est pas
d'hier que notre France a vu des hommes employer leur courage et
toutes les facultés de leur âme à fonder pour eux-mêmes et pour leurs
enfants une existence à la fois libre et inoffensive. » Une version ulté
rieure de cette première lettre (1836) est plus précise encore : « Dans
tout ce que nous voyons depuis un demi-siècle, il n'y a rien d'entièr
ement nouveau [...] » (2). L'histoire devra produire le récit qui rattache
l'avènement de la société issue de la Révolution à une (son?) origine
* Ce texte est la reprise d'un exposé présenté à FE.H.E.3.S., en 1979, au s
éminaire de Claude Lefort - que je tiens ainsi à remercier.
1. Cette lettre est reprise par Thierry dans Dix Ans d'études historiques
(1835), p. 322-329. Dans les Lettres sur l'Histoire de France publiées en 1827, et
dans les éditions suivantes, elle a été profondément modifiée, puis remplacée par
un texte moins polémique.
2Xettres sur l'Histoire de France, Paris, Just Tessier, cinquième éd., 1836,
p. 18. Jacques NEEFS 290
lointaine : « Ils nous ont précédé de loin, pour nous ouvrir une large
route, ces serfs échappés de la glèbe, qui relevèrent, il y a sept cents ans,
les murs et la civilisation des antiques cités gauloises. » (3). Comme s'il
fallait intégrer l'événement aveuglant de la Révolution (remarquons
d'ailleurs les euphémismes de Thierry : « l'histoire des trente années que
nous venons de voir s'écouler », « tout ce que nous voyons depuis un
demi -siècle ») dans un devenir, le lier, par un lien véritable, dans une
continuité qui le projette vers ses sources archaïques. A ne pas savoir
s'il n'importe pas moins, par une telle « compréhension », de légitimer
la Révolution par sa préparation ancestrale que de lui retirer toute va
leur de rupture ou de fondation (4).
La tâche sera donc difficile car il faut opérer une véritable conver
sion de l'attention historienne :
« Quiconque voudra y prétendre devra bien s'éprouver d'avance : ce ne se
rait point assez pour lui d'être capable de cette admiration commune pour ce
qu'on appelle les héros ; il lui faudrait une plus forte manière de sentir et de
penser ; l'amour des hommes comme hommes, abstraction faite de leuťre-
nommée ou de leur situation sociale ; un jugement intrépide qui déclare la
liberté, même abattue et méprisée, plus sainte et plus grande que les puissants
qui la terrassent ; une sensibilité assez large pour s'attacher à la destinée d'un
peuple entier comme à la destinée d'un seul homme, pour la suivre à travers
les siècles avec un intérêt aussi attentif, avec des émotions aussi vives que nous
suivons les pas d'un ami dans une course périlleuse. »
Les qualités requises valent que l'on s'y arrête, parce qu'elles défi
nissent, ici avec une densité remarquable, le programme de l'histoire
libérale. Se détacher de l'histoire des héros pour celle des peuples, c'est
communiquer, comme par amour, avec l'humanité, à la fois dans sa
diversité et dans sa généralité, dans sa formation et dans sa persistance.
3. L'enjeu idéologique de la tâche se caractérise avec le temps, surtout avec la
venue de la Monarchie de Juillet. Dans l'édition de 1836 de cette lettre le texte de
vient : « Nous avons été précédés de loin, dans la recherche des libertés publiques,
par ces bourgeois du Moyen Age qui relevèrent [...] » (p. 18, c'est moi qui le souli
gne). Nous reviendrons sur ce point dans l'ensemble de cette étude. Sur les change
ments entre les différentes éditions et la caractérisation progressive de l'idéologie l
ibérale (et aussi sur des modifications plus circonstancielles et plus intéressées), voir
R.N. Smithson, Augustin Thierry social and political consciousness in the evolution
of a historical method, Genève, Droz, 1973, en particulier ch. VTI-VHI.
4. Rapprochement paradoxal ? Tocqueville, dans l'Ancien Régime et la Révol
ution, cherchera lui aussi à se détourner de la Révolution, aveuglante en elle-même,
pour saisir la nécessité antérieure qui lui retire toute valeur fondatrice : « La révolu
tion française ne sera que ténèbres pour ceux qui ne voudront regarder qu'elle ;c'est
dans les temps qui la précèdent qu'Û faut chercher la seule lumière qui puisse l'éclai
rer. » Toute l'analyse de Tocqueville tend, on le sait, à montrer que la révolution a
été plus l'écroulement, comme de soi-même, d'une structure sociale hiérarchique
devenue caduque par rapport à l'État moderne depuis longtemps installé, que la
fondation d'une société nouvelle. Il ne s'est, à la limite, rien passé. L'énigme reste,
pour lui, la précipitation idéologique, la contagion de l'esprit « démocratique » qui
ont rendu intolérables des hiérarchies qui n'avaient plus leur valeur de lien. Voir,
sur ces points, François Furet, Pensep la Révolution française, Gallimard, 1978,
p. 40, et 173 et suiv. Quelles que soient les différences, il s'agit bien, dans les deux
cas, de se séparer des affirmations fondatrices caractéristiques de l'idéologie révo
lutionnaire. Thierry et l'histoire <r véritable » 291 A.
Dans cette affirmation s'ouvre une référence déterminante, à ce qui
échapperait au temps tout en ne se manifestant que dans le divers des
moments historiques. Michelet systématisera cette référence à l'Human
ité, « contre le fatalisme légendaire des grands hommes providentiels» :
« L'Humanité se fait, cela veut dire encore que les masses font tout et
que les grands

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