Charcot, l hystérie et ses effets institutionnels : du « labyrinthe inextricable » à l impasse (Commentaire) - article ; n°3 ; vol.6, pg 133-144
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Charcot, l'hystérie et ses effets institutionnels : du « labyrinthe inextricable » à l'impasse (Commentaire) - article ; n°3 ; vol.6, pg 133-144

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Description

Sciences sociales et santé - Année 1988 - Volume 6 - Numéro 3 - Pages 133-144
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 38
Langue Français

Extrait

Mme Geneviève Paicheler
Charcot, l'hystérie et ses effets institutionnels : du « labyrinthe
inextricable » à l'impasse (Commentaire)
In: Sciences sociales et santé. Volume 6, n°3-4, 1988. pp. 133-144.
Citer ce document / Cite this document :
Paicheler Geneviève. Charcot, l'hystérie et ses effets institutionnels : du « labyrinthe inextricable » à l'impasse (Commentaire).
In: Sciences sociales et santé. Volume 6, n°3-4, 1988. pp. 133-144.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/sosan_0294-0337_1988_num_6_3_1107Sociales et Santé - vol. VI - n° 3-4 - novembre 1988 Sciences
Commentaire
CHAR COT, L'HYSTERIE ET SES EFFETS INSTITUTIONNELS :
DU« LABYRINTHE INEXTRICABLE » A L'IMPASSE
Geneviève Paicheler *
Lorsqu'en 1872, Jean-Martin Charcot occupe la chaire d'ana-
tomie pathologique de Vulpian à la Salpêtrière, il a déjà accompli les
travaux de neurologie sur les affections organiques du système ner
veux qui l'ont porté au faîte de sa gloire et ont fait de lui l'un « des
professeurs de la Faculté de médecine de Paris qui, au XIXe siècle, eut
la plus grande célébrité en France et dans tous les pays de l'Ancien et
du Nouveau Monde» (Guillain, [14], p. 55). Né en 1825, issu d'un
milieu modeste (1), fils de carrossier, il a déjà parcouru une bonne
partie du chemin vers la célébrité. En 1848, il a été reçu à l'internat
des hôpitaux de Paris, et a choisi le service de Rayer, à la Salpêt
rière, hôpital où il demeurera durant toute sa carrière. Ce person
nage important, Rayer, facilitera grandement les débuts de sa fulgu
rante carrière : « médecin de Napoléon III, ami de Claude Bernard,
de Brown-Séquard, de Berthelot, de Littré, président de l'importante
Société de Biologie, c'est lui qui va puissamment contribuer q la
percée de Charcot dans le monde scientifique, universitaire, politique
et intellectuel de la capitale» (Trillat, [21], p. 129). Il le met en
contact avec une clientèle riche et prestigieuse, le recommandant par
exemple au banquier A. Fould, qu'il accompagne lors d'un « voyage
thérapeutique ». // restera toute sa vie son médecin de famille, fonct
ion pour laquelle il percevra une rente confortable. Grâce à l'appui
de Rayer, il est nommé chef de service en 1862. Les travaux neurolo
giques qu'il accomplit alors font de lui un grand consultant national
et international et élargissent sa clientèle prestigieuse. Sa nomina-
* Geneviève Paicheler, psychosociologue, CERMES, Centre de recherche médec
ine, maladie, sciences sociales (CNRS-INSERM-EHESS), 201 rue de Vaugirard,
75015 Paris.
(1) Cette possibilité d'accession à l'élite médicale de sujets issus de milieu modeste
ne constitue pas une exception mais correspond à une tendance notable mise en
évidence par G. Weisz [23]. GENEVIÈVE PAICHELER 134
tion en 1872 à la chaire d' anatomie pathologique et surtout, celle à la
première chaire de neuro-psychiatrie du monde, celle des « maladies
du système nerveux », en 1882, viendront mettre un point d'orgue à
sa gloire. Il est un personnage mondain de première importance : les
réceptions organisées le mardi soir dans son somptueux hôtel de
Varengeville (2), sur le boulevard Saint-Germain, sont fréquentées
par la meilleure société de la politique, de la science, des arts, de la
littérature. C'est dans le courant des années 1870 qu'il entreprend
ses travaux sur l'hystérie qui, tout à la fois, consacreront définitiv
ement sa suprématie et le mèneront dans une ornière dont il ne se
dégagera jamais, apparaissant rétrospectivement et dès la fin de
sa vie comme le long moment d'égarement d'un grand patron de
médecine.
L'éruption de l'hystérie
Vers le milieu des années 1870, l'hystérie se mit à proliférer.
C'est pourquoi les surréalistes célébraient le « cinquantenaire de sa
naissance » en 1928 [1]. Les chiffres sont spectaculaires à cet égard:
si, en 1841-1842, les registres d'admission des hôpitaux de Bicêtre et
de la Salpêtrière en placement d'office ne dénombraient que 7 hysté
riques sur 648 femmes admises, en 1882-1883, 89 femmes placées
d'office sur 500 se voyaient étiquetées de la sorte, soit une progres
sion de 1,08% à 17,8% (cf. Goldstein, [15], p. 322). De plus, les
crises elles-mêmes se succèdent à un rythme accéléré : par exemple,
à la Salpêtrière, une seule malade a, dans l'espace d'un mois, 309
« grandes attaques » et 80 « attaques épileptiformes » (cf. Barrucand,
[3], p. 192).
Néanmoins, l'hystérie ne constitue pas une entité clinique nouv
elle. Au IVe siècle avant J.-C, Hippocrate, se référant à une étiolo-
gie courante dans l'Egypte ancienne, évoquait, pour rendre compte
de troubles féminins divers, des « suffocations de la matrice ». Cette
dernière était conçue comme un petit animal erratique et fantasque
que des déséquilibres dans les fluides humoraux contraignaient à des
migrations vers les parties supérieures du corps où il entravait les
fonctions respiratoires. Bien que Galien, au If siècle, ait réfuté cette
représentation de l'utérus, tout en restant attaché à la doctrine
humorale, la croyance en la présence dans les corps féminins d'un
élément étranger maléfique à l'origine de manifestations pathologi
ques polymorphes demeura vivace jusqu'à la Renaissance. Rabelais,
(2) Devenu maintenant la Maison de l'Amérique Latine. CH ARCOT, L'HYSTÉRIE ET SES EFFETS INSTITUTIONNELS 1 35
par exemple, l'évoque sur le mode comique. Mais la Chrétienté envi
sage les désordres mentaux et les fantasmes hystériques de façon
bien plus tragique car, dès saint Augustin, au IVe siècle, ils sont
conçus comme la manifestation d'une possession démoniaque. A la
période des Lumières, la référence aux humeurs est encore prédomi
nante : leur mauvais fonctionnement est à l'origine de ces « vapeurs »
qui embrument le cerveau, dont les effets de l'imagination amplifient
les manifestations. A la fin du XVIIIe siècle, F. A. Mesmer, qui connaît
une très grande renommée et est à l'origine de retentissants scan
dales, se fait fort de manipuler les fluides magnétiques dont le désor
dre provoque la maladie : c'est la vogue du magnétisme animal, qui
attire même Marie-Antoinette autour des fameux baquets magnétis
és (3). Il opère avec une baguette pour déclencher les crises convul-
sives r asséner antes, mais aussi à mains nues, réalisant ses «passes »
par la compression du bas-ventre.
Charcot se situe dans le droit fil de ces convictions. Il reste
fidèle à la doctrine utérine de l'hystérie : il met au point, avec Bour-
neville et Régnard, un ingénieux « compresseur de l'ovaire », toujours
tenu au chevet des malades : « cette grande ceinture de cuir et de
métal munie de vis et d'ecrous était destinée à prévenir les grandes
crises » (Paicheler, [19], p. 49). A ses fameuses leçons, la pression de
l'utérus à l'aide d'un grand bâton permettait à loisir de provoquer les
crises et de les stopper. Un des principaux signes annonciateurs de
l'attaque était la douleur ovarienne. Cependant, cette origine excluait
dans son esprit toute tonalité sexuelle. « Pour mon compte, profess
ait-il, je suis loin de croire que la lubricité soit toujours en jeu dans
l'hystérie ; je suis même convaincu du contraire. Je ne suis pas non
plus partisan exclusif de la doctrine ancienne qui place le point de
départ de la maladie hystérique tout entière dans les organes géni
taux, mais je crois qu'il est impérieusement démontré que dans une
forme spéciale de l'hystérie — que f appellerai ovarienne ou ovarique
— l' ovaire joue un rôle important» (cité dans Trillat, [21], p. 133).
De la même façon, Charcot ne rompt pas avec le magnétisme :
il fait usage de grands aimants pour déplacer les hémiparalysies. A
la suite des travaux de Burq qui excellait, lors de son passage à la
Salpêtrière, à provoquer ou à faire disparaître des crises hystériques

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