Combats d animaux. Réflexions sur le bestiaire du Zhuangzi - article ; n°26 ; vol.26, pg 55-87
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Description

Extrême-Orient, Extrême-Occident - Année 2004 - Volume 26 - Numéro 26 - Pages 55-87
Le Zhuangzi est le seul ouvrage de Chine ancienne à avoir accordé une place essentielle, c'est-à-dire proprement philosophique, à l'animal et s'en être servi, non pour consacrer mais pour contester le pouvoir et critiquer l'aliénation de l'homme au sein du système rituel et politique. Le territoire des animaux offre ainsi un poste d'observation privilégié pour suivre l'homme tel qu'il s'est construit ou mutilé, au cours de son histoire, collective et personnelle. Cette mise en perspective permet de concevoir ce que serait une vie libérée des dressages de la conscience constituée. Loin de se réduire toutes à des illustrations transparentes de situations humaines, ces scènes du monde naturel livrent leur signification une fois mesuré leur écart par rapport aux histoires édifiantes sur les animaux qui circulent au cours de toute la période des Royaumes Combattants, lesquelles ont pour fonction d'illustrer de manière ostentatoire la naturalité et l'universalité des principes politiques de domination monarchique des hommes. Le détour par l'animal auquel se livre Zhuang Zhou apparaît en effet, au-delà de ses visées différenciées, comme une façon de démystifier l'idéologie d'État qui exploite à bon escient les thèmes de la domestication du sauvage, de la moralisation des animaux par le sage souverain, ou encore la quasi- bureaucratisation du monde naturel dans les spéculations cosmologico- administratives. Parmi les figures naturelles, hybrides ou fantastiques de l'abondant bestiaire du Zhuangzi, notre attention se concentre sur les anecdotes et fables groupées autour des tortues, des chevaux et des poissons, qui contribuent le mieux à la critique des institutions majeures du monde chinois, et plus fondamentalement, des valeurs de sa civilisation. l'idéologie d'État qui exploite à bon escient les thèmes de la domestication du sauvage, de la moralisation des animaux par le sage souverain, ou encore la quasi- bureaucratisation du monde naturel dans les spéculations cosmologico- administratives. Parmi les figures naturelles, hybrides ou fantastiques de l'abondant bestiaire du Zhuangzi, notre attention se concentre sur les anecdotes et fables groupées autour des tortues, des chevaux et des poissons, qui contribuent le mieux à la critique des institutions majeures du monde chinois, et plus fondamentalement, des valeurs de sa civilisation.
A Byway through Fauna. Some thoughts on the Wildlife in the Zhuangzi
The Zhuangzi is the only literary work from early China which ascribes a salient role to the animals, namely a philosophical one. Indeed, the animal serves not to consecrate the political power but to undermine its authority, and to denounce the alienation of men and the hidden violence within its hierarchial structure. The land of the animals thus offers a privileged standpoint from which to observe the history of men, starting with their emergence from the natural realm propelled by the ancient Sages, and culminating in their forced integration in a body political (the phrase « body political »). Far from being mere transparent illustrations of human situations, the significance of the animal scenes in the Zhuangzi can be much more appreciated when contrasted with the moralising stories about animals circulated by literati during the Warring States period, which were purported to illustrate the boundless authority and transforming force of the virtuous ruler. Among the natural, hybrid and fantastic animals with which the Zhuangzi is replete, this article focuses on the anecdotes and episodes which feature turtles, horses and fishes. These three species make a decisive contribution to the critique of the major institutions in ancient China (divination, ritual, sacrifice and music) and, more radically, of the very values on which its civilization was ideologically founded. the critique of the major institutions in ancient China (divination, ritual, sacrifice and music) and, more radically, of the very values on which its civilization was ideologically founded.
33 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Romain Graziani
Combats d'animaux. Réflexions sur le bestiaire du Zhuangzi
In: Extrême-Orient, Extrême-Occident. 2004, N°26, pp. 55-87.
Citer ce document / Cite this document :
Graziani Romain. Combats d'animaux. Réflexions sur le bestiaire du Zhuangzi. In: Extrême-Orient, Extrême-Occident. 2004,
N°26, pp. 55-87.
doi : 10.3406/oroc.2004.1212
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/oroc_0754-5010_2004_num_26_26_1212Résumé
Le Zhuangzi est le seul ouvrage de Chine ancienne à avoir accordé une place essentielle, c'est-à-dire
proprement philosophique, à l'animal et s'en être servi, non pour consacrer mais pour contester le
pouvoir et critiquer l'aliénation de l'homme au sein du système rituel et politique. Le territoire des
animaux offre ainsi un poste d'observation privilégié pour suivre l'homme tel qu'il s'est construit ou
mutilé, au cours de son histoire, collective et personnelle. Cette mise en perspective permet de
concevoir ce que serait une vie libérée des dressages de la conscience constituée. Loin de se réduire
toutes à des illustrations transparentes de situations humaines, ces scènes du monde naturel livrent
leur signification une fois mesuré leur écart par rapport aux histoires édifiantes sur les animaux qui
circulent au cours de toute la période des Royaumes Combattants, lesquelles ont pour fonction
d'illustrer de manière ostentatoire la naturalité et l'universalité des principes politiques de domination
monarchique des hommes. Le détour par l'animal auquel se livre Zhuang Zhou apparaît en effet, au-
delà de ses visées différenciées, comme une façon de démystifier l'idéologie d'État qui exploite à bon
escient les thèmes de la domestication du sauvage, de la moralisation des animaux par le sage
souverain, ou encore la quasi- bureaucratisation du monde naturel dans les spéculations cosmologico-
administratives. Parmi les figures naturelles, hybrides ou fantastiques de l'abondant bestiaire du
Zhuangzi, notre attention se concentre sur les anecdotes et fables groupées autour des tortues, des
chevaux et des poissons, qui contribuent le mieux à la critique des institutions majeures du monde
chinois, et plus fondamentalement, des valeurs de sa civilisation. l'idéologie d'État qui exploite à bon
escient les thèmes de la domestication du sauvage, de la moralisation des animaux par le sage
souverain, ou encore la quasi- bureaucratisation du monde naturel dans les spéculations cosmologico-
administratives. Parmi les figures naturelles, hybrides ou fantastiques de l'abondant bestiaire du
Zhuangzi, notre attention se concentre sur les anecdotes et fables groupées autour des tortues, des
chevaux et des poissons, qui contribuent le mieux à la critique des institutions majeures du monde
chinois, et plus fondamentalement, des valeurs de sa civilisation.
Abstract
A Byway through Fauna. Some thoughts on the Wildlife in the Zhuangzi
The Zhuangzi is the only literary work from early China which ascribes a salient role to the animals,
namely a philosophical one. Indeed, the animal serves not to consecrate the political power but to
undermine its authority, and to denounce the alienation of men and the hidden violence within its
hierarchial structure. The land of the animals thus offers a privileged standpoint from which to observe
the history of men, starting with their emergence from the natural realm propelled by the ancient Sages,
and culminating in their forced integration in a body political (the phrase « body political »). Far from
being mere transparent illustrations of human situations, the significance of the animal scenes in the
Zhuangzi can be much more appreciated when contrasted with the moralising stories about animals
circulated by literati during the Warring States period, which were purported to illustrate the boundless
authority and transforming force of the virtuous ruler. Among the natural, hybrid and fantastic animals
with which the Zhuangzi is replete, this article focuses on the anecdotes and episodes which feature
turtles, horses and fishes. These three species make a decisive contribution to the critique of the major
institutions in ancient China (divination, ritual, sacrifice and music) and, more radically, of the very
values on which its civilization was ideologically founded. the critique of the major institutions in ancient
China (divination, ritual, sacrifice and music) and, more radically, of the very values on which its
civilization was ideologically founded.sy
Extrême-Orient, Extrême-Occident 26 - 2004
Combats d'animaux.
Réflexions sur le bestiaire du Zhuangzi
Romain Graziani
L'une des stèles que le premier empereur de Chine fit ériger à sa gloire
pour commémorer ses hauts accomphssements, ainsi qu'une inscription
gravée sur la porte d'une ville au cours de l'une de ses inspections, rappellent
à la postérité que ses largesses et son influence bienfaisante avaient atteint le
monde entier, jusqu'aux bufs et aux chevaux *. Dans le cadre sévère d'une
politique de propagande impériale, cette mention pourrait nous sembler
saugrenue, ou témoigner d'une douce folie mégalomane; elle s'inscrit en
réalité dans une tradition de pensée déjà longue, selon laquelle l'affirmation
de la vertu morale, de l'autorité politique et de la prouesse martiale du
souverain utilise à bon escient le thème de la conciliation du monde animal
(parfois simplement de sa sujétion), dont les représentants exotiques
symbolisent dès lors la prise de possession du monde jusqu'en ses régions les
plus lointaines.
Dans les textes à teneur philosophique de l'âge des Royaumes Combatt
ants (403-222 av. J.-C), à l'époque où sont écrits la plupart des textes
fondateurs de la pensée philosophique, politique et morale qui gouvernera le
monde chinois, le thème de ranimai se double quasi invariablement d'une
caractérisation du sage et du type de domination que ce dernier exerce sur le
monde. Le monde sauvage s'y trouve civilisé, et fréquemment intégré au
règne moral qui ne saurait connaître de limites. Les si fréquentes mises en
scène de l'acculturation de l'animal dans des épisodes édifiants ou merveil
leux contribuent à l'acclamation triomphale de la souveraineté humaine sur
toute chose. Prenant soin de se distinguer des récits plus anciens sur la
conquête physique ou la simple domestication contraignante du monde
sauvage, les différents discours sur la transformation morale du
sauvage ont constitué l'un des axes majeurs d'une vaste entreprise de
«naturalisation» du pouvoir absolu. Si même des hommes aux murs
bestiales peuvent devenir des créatures morales grâce à l'éducation et aux Romain Graziani
rites, les animaux eux aussi sont perméables à l'influence vertueuse du
souverain. Le premier empereur ne fait en cela que reconduire dans ses
inscriptions commémoratives l'un des principes de l'omnipotence de l'ordre
rituel, religieux et politique2. Le livre connu sous le titre postérieur de
Zhuangzi (Écrits de Maître Zhuang), où se trouvent en réalité rassemblés des
textes d'auteurs anonymes groupés autour de la personne ou de la pensée de
Zhuang Zhou (mort vers - 280), est, à l'époque où précipitent ces idées, à la
fin de la première antiquité, l'âge des Royaumes Combattants, la seule
exception notoire à cet état des lieux.
De fait, la plupart des histoires animales dans le Zhuangzi ne peuvent être
pleinement appréciées que par la considération de ces idées dominantes,
tributaires d'une idéologie de la souveraineté et de l'extension cosmique des
principes moraux qui gouvernent le monde des hommes. Le Zhuangzi opère
un détour par la faune pour attaquer le cur du système politique, rituel et
moral, dans les principes mêmes de son autorité. Les histoires qui mettent en
scène des animaux, loin de se réduire toutes à des illustrations transparentes
de situations humaines, hvrent leur signification une fois mesuré leur écart par
rapport aux histoires édifiantes sur les animaux qui circulent au cours de toute
la période des Royaumes Combattants, lesquelles ont pour fonction d'illustrer
de manière ostentatoire la naturalité et l'universalité des principes politiques
de domination monarchique des hommes. C'est en se rendant sensible à
l'inventive distorsion que le Zhuangzi fait de ces thèmes dans ses histoires,
fables et anecdotes, que l'on prendra la mesure de sa critique des prétentions
de l'autorité politique à gouvern

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