De l idéologie - article ; n°3 ; vol.27, pg 641-664
25 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

De l'idéologie - article ; n°3 ; vol.27, pg 641-664

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
25 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1972 - Volume 27 - Numéro 3 - Pages 641-664
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 139
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jean Baechler
De l'idéologie
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 27e année, N. 3, 1972. pp. 641-664.
Citer ce document / Cite this document :
Baechler Jean. De l'idéologie. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 27e année, N. 3, 1972. pp. 641-664.
doi : 10.3406/ahess.1972.422528
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1972_num_27_3_422528ET COMBATS DÉBATS
De l'idéologie '
l'école servir C'est de dont concept) sans il se doute réclame, les l'un plus le des insidieux sens mots en (je varie des dis sciences du mot, tout car au sociales, je tout. ne Pour sais car selon le encore monde l'auteur s'il soviépeut et
tique, le mot est parfaitement neutre et désigne toute formation intellectuelle,
bonne ou mauvaise, vraie ou fausse. Pour le petit monde intellectuel parisien,
« idéologie » est une manière d'onomatopée, par quoi l'on fait savoir que l'on
n'est pas d'accord avec son interlocuteur : est idéologique toute proposition ou
toute attitude de l'adversaire. Dans le petit nombre qui prétend en faire un usage
technique, les uns s'en servent pour désigner des énoncés, dont il semble qu'ils
ne soient ni scientifiques, ni religieux, ni littéraires; les autres les appliquent à des
systèmes intellectuels contemporains spécifiques, caractérisés par une logique
crispée et fermée et des visées socio-politiques : il y a un usage universel et un
usage localisé.
Il existe, parmi toutes les formations intellectuelles possibles, certaines qui
ont leurs traits spécifiques et que l'on peut nommer « idéologies », pour éviter de
forger un vocable nouveau. A condition de prendre certaines précautions liées
à une saine méthode, il est entendu que toute définition est légitime, à condition
de répondre à son objet. Je peux décider d'appeler idéologie la manière de penser
d'un énergumène portant mèche sur le front et moustache sous le nez : cela me
permettra d'analyser les écrits, les discours et les propos de Hitler, mais m'interdira
de traiter de l'idéologie en tant que telle. De même Martin Malia entend 2 par
idéologie le système intellectuel qui se forme à partir du moment où l'on prend
une éthique pour une science; définition parfaitement efficace pour étudier
l'intelligentsia russe, mais qui laisse entendre qu'avant les années 1860 il n'y
1. Le texte que l'on va lire est issu d'un exposé fait dans le cadre du séminaire de M. Ray
mond ARON, au Centre européen de Sociologie historique. J'ai donc profité des critiques et
suggestions qui m'y ont été faites. Cela dit, et selon la formule d'usage, je me tiens responsable
de tout ce que j'avance ici.
2. Dans un exposé donné dans le même séminaire.
641 DEBATS ET COMBATS
avait pas d'idéologie, sinon embryonnaire. Bref, j'incline à admettre que toute
définition applicable à un secteur de l'activité humaine doit être suffisamment
générale pour désigner des faits perceptibles dans toutes les sociétés connues 3.
Mais, simultanément, une définition de ce type doit être spécifique, c'est-à-dire
qu'elle doit permettre l'identification de différences par rapport à des phéno
mènes analogues4.
Par conséquent, je retiens une définition à la fois générale et spécifique de
l'idéologie, et j'appellerai idéologique toute proposition ou tout ensemble de
propositions, plus ou moins cohérentes et systématisées, permettant de porter
des jugements de valeur sur un ordre social (ou secteur quelconque de l'ordre
social), de guider l'action et de définir les amis et les ennemis. En un mot, l'idéolo
gie m'apparaît par essence polémique et politique.
Sur ce fondement arbitraire et raisonnable, l'enquête peut s'orienter dans
trois directions :
— Qu'est-ce que l'idéologie, sa nature et ses qualités?
— Quelles sont les principales variables qui ont quelque rapport avec l'appar
ition et le développement des idéologies?
— Y a-t-il une modernité idéologique, c'est-à-dire, y a-t-il des traits inédits
du monde contemporain qui affectent de manière inédite les formations idéolo
giques?
/. Nature de l'idéologie
Ce que l'idéologie n'est pas.
L'idéologie n'est ni un sentiment, ni une passion, mais un énoncé, c'est-à-dire
un ensemble de mots et de phrases ordonnés par l'entendement. Quelle sorte de
réalité spécifique visent ces énoncés? Pour le savoir, il faut commencer par
distinguer les différents types d'énoncés possibles, qui ont quelque rapport avec
la définition adoptée de l'idéologie. J'en vois cinq.
1. Les us et coutumes (mores), à savoir l'ensemble des propositions
sub- ou inconscientes (mais aisément formulables), qui permettent aux individus
d'une société donnée de parcourir leur destinée et d'interpréter leur condition.
On y incluera les proverbes, la sagesse des nations, ce qui se fait et ne se fait pas,
l'ensemble des propositions qui permettent de se retourner dans la sphère de la
production, des relations sociales; bref, la part d'entendement qui entre dans la
vie quotidienne 5. L'analyse linguistique et structuraliste nous a habitués à
rechercher de quelles paires d'oppositions pertinentes ces propositions sont
passibles; en l'occurrence, il s'agit du licite et de l'illicite, du raisonnable et du
déraisonnable.
Les us et coutumes ne forment jamais système, mais un ensemble de lam
beaux de systèmes. Ils ne sont pas non plus l'objet d'un choix de la part des
3. On ne saurait retenir une définition de la guerre qui ne vaudrait que pour les conflits armés
depuis Napoléon, ni de l'économie qui ne s'appliquerait qu'aux activités issues de la mutation
industrielle.
4. La guerre ne sera pas n'importe quel conflit, mais un conflit entre unités politiques sou
veraines.
5. Que la saisie précise de ces faits soit fort difficile et demande un long détour, en témoigne
l'œuvre d'Alfred SCHÙTZ, en particulier Der sinnafte Aufbau der sozialen Welt (1932).
642 DE L'IDÉOLOGIE J. BAECHLER
sociétaires : cela fait partie de l'héritage transmis de génération en génération,
avec des modifications imperceptibles, et s'intègre à la nature des choses.
2. La morale ne se distingue pas nettement des propositions précédentes
(le licite et l'illicite, le Bien et le Mal sont ses catégories de référence), sinon
par un plus haut degré d'explicitation, d'élaboration et de cohérence. Une autre
différence tient au fait qu'une morale peut faire l'objet d'un choix délibéré de la
part d'un individu et devenir un art de vie, alors que les us et coutumes sont
donnés et collectifs.
3. La mythologie, par quoi j'entends l'ensemble des histoires qui racontent
les origines d'un groupe humain, fondent ses institutions, répondent aux questions
essentielles qui se posent aux hommes, et où ils projettent leurs angoisses et
leurs espoirs. Dans les sociétés complexes et « désenchantées », on en rencontre
des formes atténuées : les contes, les légendes, le savoir commun en histoire
(ainsi, pour les Français, l'histoire mythologique, où Clovis, Charlemagne,
Saint Louis, Jeanne d'Arc, Henri IV et la Révolution sont les acteurs principaux
d'une geste qui a peu à voir avec les faits).
4. La religion, qui regroupe l'ensemble des propositions qui ont trait au
sacré et font référence à un ou plusieurs principes transcendants. Il existe toute
une gamme de formulations possibles, jusqu'à l'explicitation rationnelle d'un
message transcendant, que l'on appelle la théologie.
Ce sont des types d'énoncés, qui peuvent passer d'une catégorie à une autre
ou, mieux, d'un statut à un autre. Les glissements les plus fréquents et les plus
courants me paraissent être :
— de la religion vers les us et coutumes, lorsqu'une religion imprègne sans
partage un groupe social. La distinction s'établira en fonction du degré de raff
inement et d'authenticité (c'est-à-dire de conformité au message originel), ce qui
débouche sur le partage, habituel en histoire des religions, entre la piété popul

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents