De quelques conceptions esthétiques de la parole dans la société touarègue - article ; n°1 ; vol.57, pg 77-96
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Description

Journal des africanistes - Année 1987 - Volume 57 - Numéro 1 - Pages 77-96
In the semantic field of « speech » as understood by the Tuareg, who are southern Berbers, awal can be taken to be the basic unit since it is the least marked geographically and semantically. This pan-Berber term has sememes in common with specific, regional terms. In rhetoric, it defines a field in common with imi (mouth) and ihs (tongue), metaphors for speech that often express its danger. This society's aesthetic referents reveal how the concept of speech is related to the decoding of the subjacent meanings of most utterances ; it must teach a lesson about values with a recognized validity and about the proper usage of speech. Society is the place where this « technical » know-how is learned along with the conventions of verbal communication that refer to codes of social relations (aesthetic codes where in moral and hierarchical values are intricately related).
Au centre du champ sémantique de la parole chez les Touaregs — Berbères méridionaux — awal peut être considéré comme l'unité de base en tant que terme le moins marqué géographiquement et sémantique- ment. Terme pan-berbère, il a des sèmes communs avec d'autres termes régionaux et spécifiques. D'un point de vue rhétorique, il détermine un secteur commun avec imi « bouche » et ihs « langue », métaphores de la parole qui expriment souvent sa nocivité. Les referents esthétiques de cette société explicitent le concept de Parole dans ses relations avec le décryptage du sens sous-jacent de la plupart des énoncés : il doit être un enseignement des valeurs, reconnues comme valides, et du bon usage de la parole. La société est le lieu d'apprentissage de ce savoir-faire « technique » mais aussi des conventions de la communication verbale qui font référence aux codes des rapports sociaux — codes esthétiques où les valeurs morales et les valeurs hiérarchiques sont intimement liées.
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 48
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jeannine Drouin
De quelques conceptions esthétiques de la parole dans la
société touarègue
In: Journal des africanistes. 1987, tome 57 fascicule 1-2. pp. 77-96.
Résumé
Au centre du champ sémantique de la parole chez les Touaregs — Berbères méridionaux — awal peut être considéré comme
l'unité de base en tant que terme le moins marqué géographiquement et sémantique- ment. Terme pan-berbère, il a des sèmes
communs avec d'autres termes régionaux et spécifiques. D'un point de vue rhétorique, il détermine un secteur commun avec imi
« bouche » et ihs « langue », métaphores de la parole qui expriment souvent sa nocivité. Les referents esthétiques de cette
société explicitent le concept de Parole dans ses relations avec le décryptage du sens sous-jacent de la plupart des énoncés : il
doit être un enseignement des valeurs, reconnues comme valides, et du bon usage de la parole. La société est le lieu
d'apprentissage de ce savoir-faire « technique » mais aussi des conventions de la communication verbale qui font référence aux
codes des rapports sociaux — codes esthétiques où les valeurs morales et les valeurs hiérarchiques sont intimement liées.
Abstract
In the semantic field of « speech » as understood by the Tuareg, who are southern Berbers, awal can be taken to be the basic
unit since it is the least marked geographically and semantically. This pan-Berber term has sememes in common with specific,
regional terms. In rhetoric, it defines a field in common with imi (mouth) and ihs (tongue), metaphors for speech that often
express its danger. This society's aesthetic referents reveal how the concept of speech is related to the decoding of the subjacent
meanings of most utterances ; it must teach a lesson about values with a recognized validity and about the proper usage of
speech. Society is the place where this « technical » know-how is learned along with the conventions of verbal communication
that refer to codes of social relations (aesthetic codes where in moral and hierarchical values are intricately related).
Citer ce document / Cite this document :
Drouin Jeannine. De quelques conceptions esthétiques de la parole dans la société touarègue. In: Journal des africanistes.
1987, tome 57 fascicule 1-2. pp. 77-96.
doi : 10.3406/jafr.1987.2163
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0399-0346_1987_num_57_1_2163JEANNINE DROUIN
De quelques conceptions
esthétiques de la parole
dans la société touarègue
Kol la aussi tamajaq tzmajàq . le Ceux Les nom Touaregs », de de « c'est-à-dire Parole Кэ1 l'Azawagh Awal s'appellent / langue « la nigérien gens langue des de eux-mêmes la — touarègue. Kel parole vaste tamajaq Kel région », Cette véritable Tamajaq »!. sahélienne langue affirmation « gens est — dite qui se donnent de awal parlent prééэп
minence. Ce titre prestigieux participe, d'ailleurs, dans la même région, des
énoncés proverbiaux dont le caractère intemporel, dogmatif ou normatif élar
git encore l'universalisme que connote cette appellation solennelle. L'incipit
de ces énoncés est, en effet, invariablement : snnân kal awal « les gens de la
parole disent ».
D'autres groupes, par contre, tournent en dérision certains particula
rismes linguistiques de ceux-ci, persuadés qu'ils peuvent en être les censeurs
en tant que dépositaires eux-mêmes du parler qu'ils pensent être le plus ortho
doxe. La réciprocité ne manque pas et les différents groupes touaregs s'affi
rment chacun comme compétiteurs en conformisme, manifestant ainsi leur socio-
centrisme. C'est l'habituelle hétérogénéité des groupes aux parlers diversifiés
qui surévaluent leurs particularismes, revendiqués comme normes, face à leurs
proches, et renforcent leurs valeurs communes face aux sociétés voisines, dif
férentes. C'est ce comportement spontané de cohésion qui va de pair avec le
sentiment d'appartenir à une minorité, à l'étranger ou dans son propre pays.
Le fonds commun, en l'occurrence, est le fonds berbère qui a résisté
à Péparpillement géographique — de la Méditerranée au Sahel — et à la dis-
1. « Touaregs » : ce mot d'origine arabe (sg. targa, pi. twang) est intégré en français avec les marques
grammaticales de genre et de nombre des noms à finale -g : au sg. -g / -gue, au pi. -gs / -gués
(cf. sur ce sujet Aghali 1984). Les Touaregs n'utilisent pas ce terme, pas plus que les Anglais ne s'appel
lent eux-mêmes par le terme que leur donnent les Français. La liste d'exemples analogiques serait lon
gue : elle montrerait l'usage de dénominations variées pour désigner une société, selon que la désigna
tion vient de l'intérieur de cette société ou de sa périphérie. C'est un phénomène sociolinguistique quasi
universel. Aussi, les polémiques autour de ce terme et de son écriture semblent-elles complètement
surannées.
tamajaq est une réalisation régionale sahélo-nigérienne ; dans le Sahel malien, on dit plutôt tama-
shàq ; dans PAhaggar saharien, tamahaq. DE QUELQUES CONCEPTIONS ESTHÉTIQUES DE LA PAROLE 78
tance temporelle des millénaires. La dénomination de la parole, awal, est un
de ces traits culturels et lexicaux communs qui peut être, comme dans beau
coup de sociétés, la meilleure et la pire des choses.
Dans la société touarègue, la parole requiert à la fois une circonspec
tion conviviale de bon aloi et une atténuation marquée par l'usage convenu
des substituts que sont les images à double sens. Elle est l'outil de communic
ation et de créations littéraires ; mais elle est aussi objet de divertissement,
par acrobaties verbales et détournements de sens, associés aux usages de l'écri
ture considérée comme son explicitation.
Ce sont quelques-uns de ces faits langagiers, liés aux conventions sociales
et aux techniques de l'expression, que l'on a choisis de préciser, en suivant
le fil conducteur de la conception du « beau » telle qu'elle se manifeste dans
la société touarègue. Sentiment subjectif s'il en est, l'esthétique est définie de
façon spécifique dans chaque société, sur des registres variés qui peuvent avoir
des espaces communs : qu'il s'agisse du registre social, c'est-à-dire de ce qui
est considéré comme « beau/bien » dans les relations individuelles et collecti
ves ; qu'il s'agisse du registre intellectuel mettant à contribution la langue et
l'imaginaire ; que ce soit le registre ludique impliquant à la fois la notion de
divertissement et l'esprit de compétition — c'est-à-dire l'échelle des valeurs.
Le sentiment du beau, dans une société donnée, va de pair avec celui
qui lui est antinomique et peut, dans certains cas, lui servir de révélateur.
DU BON USAGE DE LA PAROLE
Communication et conventions sociales
Le constat universel de l'ambivalence de la parole — la meilleure et
la pire des choses — se nuance, dans chaque société, par la façon de l'affi
rmer et de le vivre.
Dans la société touarègue, proverbes et aphorismes disent l'une et l'autre
valeur, dans une contradiction qui n'est qu'apparente :
kud / awal / azrsf / asussm / uragh
si / parole / argent / fait-de-se-taire / or
la est d'argent et le silence est d'or
Dans la vie collective ou semi-collective, la communication verbale est
de rigueur, le mutisme étant assimilé à Pesseulement, voire à la solitude. Cette
solitude de l'être est liée conceptuellement aux grands espaces inhabités et dan
gereux ; lexicalement, solitude et espaces inhabités sont désignés par le même
terme ssof. La rupture du mutisme s'impose et l'intervention d'un tiers est
la bienvenue :
ma / tdge / d / êsof ?
quoi / tu fais / avec / solitude
comment vas-tu la / ta solitude ?
tu es bien silencieux, ça va ? [ou] tu es bien seul, ça va ?
C'est une intervention essentiellement phatique, construite sur le même
modèle syntaxique que toutes celles qui établissent, réitèrent les rapports JEANNINE DROUIN 79
humains : « Comment vas-tu avec le sommeil / le matin / le milieu du jour
/ le soir / le voyage / le travail... ? », pour saluer, entrer en communication,
etc., selon les circonstances et les situations.
Formule phatique donc pour insérer et réinsérer dans le milieu conviv
ial. Mais l

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