Déficit visuel persistant chez les aveugles-nés opérés. Données cliniques et expérimentales - article ; n°1 ; vol.75, pg 169-195
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Description

L'année psychologique - Année 1975 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 169-195
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1975
Nombre de lectures 11
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

M. Jeannerod
Déficit visuel persistant chez les aveugles-nés opérés. Données
cliniques et expérimentales
In: L'année psychologique. 1975 vol. 75, n°1. pp. 169-195.
Citer ce document / Cite this document :
Jeannerod M. Déficit visuel persistant chez les aveugles-nés opérés. Données cliniques et expérimentales. In: L'année
psychologique. 1975 vol. 75, n°1. pp. 169-195.
doi : 10.3406/psy.1975.28087
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1975_num_75_1_28087Année psychol.
1975, 75, 169-196
REVUES CRITIQUES
DÉFICIT VISUEL PERSISTANT
CHEZ LES AVEUGLES-NÉS OPÉRÉS
DONNÉES CLINIQUES ET EXPÉRIMENTALES
par Marc Jeannerod
Laboratoire de Neuropsychologie expérimentale
I.N.S.E.R.M. U 94l
Le problème de la vision des aveugles-nés opérés, si débattu au cours
des deux siècles précédents, a sans doute cessé de passionner les clini
ciens, et les philosophes l'ont ramené à ses justes proportions. Pour le
neuro-psychologue, cependant, ce problème a constitué l'une des pre
mières approches « expérimentales » du rôle respectif de l'inné et de
l'acquis dans le développement des capacités perceptives. Le regain
actuel d'intérêt pour cette discussion nous a paru justifier la relecture
de certaines observations classiques de restitution de la vue à des
aveugles-nés, et de comparer les descriptions cliniques avec les données
de l'expérimentation animale, qui se sont accumulées depuis. Cette
confrontation nous permettra d'envisager un modèle « physiologique »
de l'évolution post-opératoire de la vision chez de tels sujets2.
OBSERVATIONS CLINIQUES
ÉTAT PRÉ-OPÉRATOIRE
Aucune des sept observations rapportées ici n'est inconnue : toutes
sont citées dans l'ouvrage classique de Von Senden (1932). L'anamnèse
1. 16, avenue du Doyen-Lépine, 69500 Bron, France.
2. Nous remercions le Pr H. Hecaen, ainsi que les Dr8 G. C. Lairy (Paris),
A. Tzavaras (Paris), et M. Bourron-Madignier (Lyon), qui ont bien voulu
relire le manuscrit de ce travail, et nous prodiguer leurs conseils. 170 REVUES CRITIQUES
des différents sujets est résumée dans le tableau I. Il s'agit de cécité
congénitale par cataracte bilatérale dans 6 cas sur 7 (1, 2, 4, 5, 6, 7).
Dans le cas 3, la cécité fut provoquée par une ophtalmie purulente à
l'âge de « quelques jours » qui détruisit totalement l'œil droit, et laissa
persister sur l'œil gauche un leucome central adhérent, obstruant tota
lement la pupille.
Tableau I
Age
au moment
de
vation Sexe l'opération Etiologie Références
1 F 22 ans Cataracte congénitale Janin, 1772
bilatérale
16 — F 2 Gayet, 1884
complète bilatérale
22 — 3 F Ophtalmie purulente à Dor, 1886
l'âge de quelques jours
O.D. : atrophieetperte
totale. O.G. : leucome
central de la cornée
5 4 M Cataracte congénitale Vurpas et Eggli, 1896
bilatérale
4,5 — M 5
8 — 6 M Cataracte congénitale 1913 Moreau,
bilatérale Chavanis,
Leprince, 1915
Rubin, 1927
20 — 7 M Cataracte congénitale Dufour, 1876
bilatérale
Tous ces sujets présentent une vision « résiduelle », qui leur permet
de faire la distinction entre jour et nuit. Certains jouent parfois, avec
leurs mains, à provoquer des ombres mobiles devant leurs yeux (4, 6, 7).
Deux sujets présentent une bonne projection spatiale d'une source
lumineuse (3, 6) et six peuvent reconnaître les couleurs vives sous un
fort éclairement (1, 2, 3, 4, 5, 7). Aucune discrimination de formes n'est
possible, pour les sujets 1, 2, 4, 5, 6, 7. Le sujet 3 pouvait compter les
arbres sur une promenade, ce qui n'implique pas qu'elle distinguait leur
forme, mais n'exclut pas non plus qu'elle pouvait percevoir l'ombre
verticale de leurs troncs. Enfin, on note un nystagmus dans au moins
cinq cas (2, 4, 5, 6, 7), mais aucune des autres lésions fréquemment
associées à la cataracte congénitale n'est signalée.
Le niveau intellectuel des sujets est important à considérer, car de
lui dépendra, pour une part, la valeur des réponses données aux questions
des observateurs, et peut-être aussi le degré de la récupération fonction- M. JEANNEROD 171
nelle. Seul le sujet de l'observation 3 présentait un réel degré d'instruct
ion. Elevée chez les sœurs, cette fille de 22 ans savait lire en braille,
jouer de l'orgue, et connaissait par le toucher tous les caractères de
l'alphabet ordinaire. Les autres sujets étaient certes capables de parler
correctement, mais leur éducation avait été délaissée. L'un était « intel
ligent » (6), deux, au moins, étaient « bornés », les autres étaient souvent
« distraits », « instables », voire même « capricieux ». Ce déficit, en appa
rence important, semble devoir être mis sur le compte exclusif du défaut
d'éducation. En effet, Hatwell (1966) ne trouve pas de différence entre
le niveau de performance verbal d'enfants aveugles-nés et d'enfants
normaux scolarisés. Un retard de l'ordre de deux à trois ans n'appar
aîtrait chez les aveugles-nés que dans le développement des représen
tations spatiales, et de certaines opérations logiques (classification,
sériation, conservation, etc.). Ce résultat est même contesté par Cromer
(1973) qui ne retrouve aucune différence entre enfants aveugles-nés et
enfants normaux, à condition que ces derniers soient examinés les yeux
bandés.
Les capacités tactiles des sujets n'ont pas été testées systématique
ment avant l'intervention, bien que tous les observateurs s'accordent
sur la rapidité de l'exploration des objets, et sur la finesse de la discr
imination obtenue par cette modalité sensorielle. Il ne semble pas, cepen
dant, qu'aucun des sujets ait été capable, par la voie tactile, d'acquérir
de véritables notions « spatiales ». Dans la seule observation qui fasse
explicitement mention de ce problème (2), on trouve que la malade
n'avait pas la notion de grandeur « même limitée à ce que le toucher
aurait pu lui faire comprendre ». Le geste (écarter les deux index)
servait chez cette malade à indiquer la dimension d'un livre, aussi bien
que la taille d'une personne. Ce fait semble confirmer l'idée classique
que les aveugles-nés n'ont pas de « sens spatial ». Il est difficile d'ailleurs,
de mettre sur le même plan la notion de dimension, que peuvent fournir
les informations tactiles, et celle de distance, qui appartient en propre
à la sphère visuelle. Tout au plus, les rares informations à proprement
parler visuelles dont disposent ces sujets (projection spatiale d'une source
lumineuse, intensité des couleurs en fonction de la distance, passage d'un
objet entre les yeux et une source lumineuse), pourront-elles être exploi
tées comme indices pertinents d'une organisation spatiale de leur nou
veau monde visuel.
CONSTATATIONS POST-OPÉRATOIRES IMMÉDIATES
La « levée du bandeau » a d'abord été un événement. Les auteurs
convoquaient autour de leur malade des savants et des philosophes. Tel
Janin, en 1772. Mais ce n'est plus le cas pour les autres observations.
Bien que l'émotion soit encore grande, on pressent que rien ne se passera.
On retrouve partout la même constatation : le sujet ne voit rien, ne 172 REVUES CRITIQUES
reconnaît aucun objet, reste dans une attitude de « sortie de prison ».
Tout au plus est-il ébloui par la lumière, sensation au demeurant non
douloureuse, contrairement à ce qu'on pensait (Janin, Moreau).
Les seules réponses obtenues dans les deux premiers jours concernent
l'intensité lumineuse. Les sujets 1 et 2 sont « effrayés » par la flamme
d'une bougie. Le sujet 3 voit « des bâtons blancs » (les doigts de la main).
Le sujet 7 voit « quelque chose de clair » (la main). Le mouvement (en
général, le déplacement de la main de l'observateur) n'est pas détecté.
Cet échec des premiers jours, décevant bien que prévisible, est
rapporté également dans l'ensemble de la littérature, et en particulier
dans les observations les plus récentes (voir plus loin). L'absence de
« résultat »

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