Des mutations sociologiques  en Afrique subsaharienne et de la mission éducatrice de l’Eglise
17 pages
Français

Des mutations sociologiques en Afrique subsaharienne et de la mission éducatrice de l’Eglise

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
17 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Le projet de cet article est de jeter un regard observateur sur l’état actuel des sociétés négro-africaines. Nous assistons tous aux divers changements, évolutions ou révolutions qui traversent lesdites sociétés. Et comme nous le savons, tout changement est porteur de souffrance, sinon de déstabilisation. C’est à travers et par-delà cet équilibre instable, qu’il faut arriver à se donner un équilibre existentiel. Compte tenu de cela, j’expose ici quelques observations sociologiques. J’estime que l’Eglise catholique recèle de ressources éducationnelles dignes de respect, eu égard à sa mission pastorale. Me référant donc à cette vocation éducationnelle de la communauté de foi et de vie qu’est l’Eglise, je propose le recours à son action pour une intériorisation enrichissante et une assomption constructive des mutations socioculturelles, politiques, et économiques inévitables auxquelles nos peuples se trouvent devoir faire face.

Informations

Publié par
Publié le 12 mars 2012
Nombre de lectures 106
Licence : En savoir +
Paternité, pas d'utilisation commerciale, pas de modification
Langue Français

Extrait

                  Des mutations sociologiques  en Afrique subsaharienne  et  de la mission éducatrice de l’Eglise
Introduction
1
D’où venons-nous ? Où en sommes-nous ? Où allons-nous ? Tout homme, toute société d’hommes porte naturellement en elle-même ces interrogations existentielles. En ce temps de leur histoire, les sociétés négro-africaines se posent ces mêmes questions avec une particulière acuité. Le projet de cet article est de jeter un regard observateur sur l’état actuel des sociétés négro-africaines. Nous assistons tous aux divers changements, évolutions ou révolutions qui traversent lesdites sociétés. Et comme nous le savons, tout changement est porteur de souffrance, sinon de déstabilisation. C’est à travers et par-delà cet équilibre instable, qu’il faut arriver à se donner un équilibre existentiel. Compte tenu de cela, j’expose ici quelques observations sociologiques. J’estime que l’Eglise catholique recèle de ressources éducationnelles dignes de respect, eu égard à sa mission pastorale. Me référant donc à cette vocation éducationnelle de la communauté de foi et de vie qu’est l’Eglise, je propose le recours à son action pour une intériorisation enrichissante et une assomption constructive des mutations socioculturelles, politiques, et économiques inévitables auxquelles nos peuples se trouvent devoir faire face.
I. De la ruralité à l’urbanité
Dans une conférence donnée au colloque panafricain de l’Association des Théologiens Africains (ATA), à Nairobi (Kénya), en novembre 2010 , le professeur Ferdinand BANGA 1 faisait ressortir, en se référant aux démographes, le constat pour le moins paradoxal que «l’Afrique est encore un continent peu urbanisé (35% de la population urbaine mondiale), et pourtant c’est le continent qui connaît la croissance urbaine la plus rapide. D’aucuns estiment même qu’avec un taux moyen de 5 % l'an -soit un doublement de la population urbaine en 14 ans - l'Afrique vit sur un temps relativement court un processus que l'Europe a réalisé sur 2 ou 3 siècles. Si cet accroissement spectaculaire de la population urbaine se maintient au cours de la prochaine décennie, on aboutira, à coup sûr, au fait que près  de 60 pour cent de la population de l’Afrique subsaharienne habitera en zone urbaine en l’an 2020 » . Pour
1 Ferdinand BANGA (Abbé), ‟ Évangéliser la culture médiatique : cas des villes africaines” .
2
illustrer ce constat, il cite Dominique Moro : « La population totale de l’Afrique a plus que triplé entre 1950 et 1997, mais celle des villes a été multipliée par 11, passant de 22 à 250 millions. Selon les projections des Nations Unies, plus d’un Africain sur 2 vivra en Ville en 2020. Le Caire a augmenté de 7 millions d’habitants de 1950 à 1990 (11,2%), Kinshasa est passée de 165.000 habitants à 3,6 millions; des villes comme Abidjan ou Dakar représentent plus de 25% de la population totale du pays (…) La croissance contemporaine de l'Afrique est 3 fois plus forte que celle de l'Europe à l'époque de la révolution industrielle ; par contre, on peut la rapprocher de celle des États-Unis d’Amérique à l'époque des grandes vagues d'immigration (…).  Pour l'ensemble de l'Afrique, on dénombrait 3 villes millionnaires en 1950, 25 en 1990, 30 en 1995 et 42 en l'an 2000 ; ces dernières représentent 32 % de la population citadine africaine en 1995. De 1950 à 1990, la population urbaine a été multipliée par 10 en 2 Afrique sub-saharienne, tandis que la population totale triplait » . Le P. F. Banga poursuit en observant que « si cette projection de l’évolution de la population citadine est réelle, alors nous pouvons d’ores et déjà estimer que les populations à évangéliser en Afrique de demain seront principalement en ville. Il faudra apporter la lumière de l’Évangile à des gens accablés de problèmes de toutes sortes : logements indécents, environnement insalubre, encombrement des routes, trafic dense aux heures de pointe, insécurité alimentaire, inadaptation culturelle, difficultés d’évacuation » des ordures ménagères, etc. Des villes africaines, il estime qu’il y en a de plusieurs sortes : elles sont précoloniales, coloniales ou postcoloniales, ayant chacune ses charmes, mais aussi ses problèmes liés le plus souvent à son contexte de naissance ou de son développement ultérieur. « Parmi les villes précoloniales, il y a en Afrique arabo-musulmane, la ville de Medina, au Maroc, édifiée sur un site de défense et qui s’est organisée autour de la mosquée, entourée de ruelles très étroites et populeuses. Dans les villes coloniales, par contre, on constate entre autres la différenciation entre les quartiers européens et la ville indigène, telle que la ville de Dakar. Enfin, les villes postcoloniales, sont visiblement le reflet d’une société avec ses disfonctionnements et ses contrastes, ou on peut distinguer la ville que d’aucuns qualifient de ‟légale” et celle qualifiée d’‟illégale”. La légale est celle ‟qui relève des normes occidentales” et qui comprend le centre politique, administratif et les services marchands de la finance et de l’import-export”. Tandis que la ville illégale est l’ensemble de quartiers d’habitats populaires, s’étendant sur des terrains mal parcellisés, avec des logis précaires, voire de véritables bidonvilles, sales, avec des égouts à découvert, etc. » . Il souligne que les villes sont des agglomérations importantes dans lesquelles vivent un grand nombre de personnes, provenant de cultures très variées, et vivant le plus souvent dans des conditions de vie fort différentes. On y trouve des facilités, entre autres, la présence de nombreux média qui jouent un rôle éventuellement intégrateur et font, à la longue, émerger une culture commune 3 .
2 . Dominique Moro, Les grandes villes d’Afrique, sur le site Web : http://histoire.geo.free.fr/Partenaire/moro/dm1talegvillesafrique.html  (consulté le 21-08-2010) .
3 Cf. Ferdinand BANGA (Abbé), article cité.
3
Dans un tel contexte d’exode rural, il est tout évident que nous assistions à un passage progressif d’une culture ruro-traditionnelle à une culture urbano-moderne. Des mutations socioculturelles se produisent, et les traditions ethniques se trouvent modifiées. Il naît alors ce qu’on pourrait appeler une inter-culture qui, dans son déploiement, génère un métissage culturel.
Les sociétés négro-africaines des temps actuels sont constituées de trois (03) stratifications : une communauté demeurée rurale, une communauté semi-urbaine et une communauté urbaine.
 La communauté rurale : -L’habitat y est globalement de type traditionnel. On peut constater qu’il y a encore une forte solidarité familiale et ethnique. La famille y est encore élargie ; il y a communautarisation de la famille. La polygamie y est vécue sans trop de difficulté. L’éducation des enfants se fait selon la tradition héritée des anciens et des ancêtres ; elle est familiale et ethnique. L’enfant continue à hériter du métier du père ou de la mère : essentiellement l’agriculture et l’artisanat. L’activité professionnelle est donc peu diversifiée.
-La communauté semi-urbaine : Nous sommes ici, généralement dans des quartiers péri-urbains ou des banlieues. Nous y trouvons beaucoup de maisons de modeste standing à côté desquelles s’élèvent des habitations de standing assez élevé. Puis, dans les voisinages, s’étendent de véritables bidonvilles. Nous pouvons trouver des gens qui, bien que résidant en milieu vraiment urbain soit de culture semi-rurale ou semi-urbaine. Le comportement est généralement un fort mélange de rural et d’urbain.
- La communauté urbaine : La plupart des maisons y sont de standing assez élevé, mais elles sont côtoyées par quelques habitats plutôt précaires. On y rencontre des « habitations à loyer modéré » (HLM) : ce sont des immeubles à appartements occupés par des locataires vivants seuls ou en famille. On peut y trouver une certaine convivialité comme on peut y assister à des isolements ou à un individualisme exacerbé. Les jeunes y forment facilement des bandes à comportement souvent peu recommandable. Société semi-technologique  (semi-moderne) tendant vers une société hyper-technologique (moderne). En effet, dans leur état actuel, les sociétés urbaines en milieu négro-africain ne sont pas entièrement dans une culture technologique, mais nous constatons que les mutations socioculturelles vont dans le sens de la modernité à l’Occidentale (même si celle-ci n’est pas la référence idéale).
4
Les comportements y sont plus ou moins hybrides ou très hybrides. Il y a un fort mélange culturel avec tendance vers une « culture nouvelle ». Les familles y deviennent de plus en plus nucléaires; nous assistons à une sorte de privatisation de la famille. Y pratiquer la polygamie est plus difficile qu’en contexte rural, alors que le concubinage y est plus facile et y prend une certaine ampleur. La croissance démographique et les besoins qu’elle induit y prennent de vitesse les infrastructures et les services disponibles ou requis. L’offre des services administratifs est en retard sur la demande galopante de services et de biens de la part des populations L’anonymat urbain rend les relations interpersonnelles tout autant anonymes, et l’individualisme y est de plus en plus exacerbé. Ce qui pourrait, bien sûr, favoriser des comportements incivils et inciviques. Dans la langue Fon du Bénin, on dépeindrait un tel comportement par une expression imagée qui dirait que le « alo de wê non klo alo de »  (les mains deux se lavent réciproquement) » disparait au profit du « gbade ce jên na bi »  (il n’y a que mon maïs à moi qui doit cuire au feu) » : en un mot, l’altruisme cède la place à l’égoïsme. L’éducation est plus scolaire ; elle se voit plus confinée dans le cercle de la famille nucléaire ; en dehors de l’école et de la famille, elle est plutôt informelle. Les métiers qu’on y pratique sont très diversifiés et sont de plus en plus complexes et technologiques.
II. La famille et ses déconstructions Sur le plan familial, nous observons un désinvestissement émotionnel des familles vis-à-vis des enfants et vice versa. C’est là une modalité frappante du fonctionnement de nombreuses familles en Afrique Noire contemporaine. Ces nouvelles formes familiales, générées par les mutations socioculturelles, contrastent avec la famille traditionnelle, reconnue comme solidaire et fonctionnant sur le modèle communautaire. Ces familles, surtout en contexte d’urbanité, sont dans un état de mal-être (souffrance) psychologique, du fait surtout de leur emprise sous une « double contrainte » (exigences contradictoires venant à la fois de la tradition et du modernisme). En raison de quoi elles sont entrainées dans un processus de « déconstruction »  (changement) impliquant en leur sein des transactions  dysfonctionnelles. Ce phénomène engendre la fugue de certains enfants dans la rue et des comportements délinquants chez des jeunes. Tout cela ne peut être que la traduction ou la métaphore de cette déconstruction familiale. Voilà qui met à rude épreuve les affirmations sans nuance qu’il nous est bien souvent arrivé, nous les intellectuels africains de faire, à savoir que l’Afrique est le continent par excellence de la solidarité et de l’esprit de communauté. Le sens de la « gratuité »  pour ne pas dire de la générosité – est en train de disparaître  de notre société ! La vertu de solidarité est un idéal à conquérir en permanence, si nous voulons encore en sauver quelque chose.
5
- Les enfants et leur éducation  Induites par la « globalisation », les mutations économiques ont un fort impact sur les mutations socioculturelles, pour la simple raison que les habitants se plient aux exigences de la rigueur économique ainsi qu’aux changements de la nature des rapports dans la société urbaine. Cela étant, le tissu familial s’effiloche. Les parents, souvent absents ou trop occupés, ne sont plus disponibles pour l’encadrement des enfants, et ces derniers ont diverses autres références socioculturelles qui captent beaucoup plus leur attention que ce que proposeraient les parents. Sous l’influence de la société de consommation, et en vue de satisfaire des besoins nouveaux plus étendus, les jeunes des milieux ruraux, par eux-mêmes ou poussés par leurs propres parents, se lancent dans l’exode intra-national ou transfrontalier. Il existe des « trafiquants d’enfants » experts en matière de passage transfrontalier d’enfants mineurs. Beaucoup d’enfants sont envoyés des zones rurales vers les villes, où ils vivent auprès de proches parents, des amis de leurs parents, où même de personnes qui n’ont aucun lien avec leur famille. Ces enfants sont dits « placés sous tutelle » ou « enfants placés », tout court. En langue fon du Bénin, ils sont appelés « vidômêgon » (enfant qui est auprès d’une personne) . Traditionnellement cette formule d’entraide familiale et sociale est tout-à-fait reconnue et appréciée. C’était l’une des expressions de l’intégration dans la « famille élargie » et de la prise en charge solidaire de l’individu au sein de la communauté humaine. Mais dans le contexte socio-économique urbain, on assiste souvent à des cas graves de maltraitance infantile. Il y a des comportements antisociaux et illégaux d’exploitations d’enfants assimilables à de l’esclavage. Des filles adolescentes peuvent se trouver très facilement enrôlées par des proxénètes ou des cercles de prostitution. L’éducation humaine des enfants se trouve ainsi hypothéquée, biaisée et viciée. Le phénomène d’« enfants de la rue » ou d’« enfants dans la rue » est devenu courant dans nos villes négro-africaines.
-   Les jeunes   dans la cité  « Avec 44 % de la population âgée de moins de 15 ans en 2006, l’Afrique subsaharienne est incontestablement la plus jeune région du monde. En Asie, en Amérique Latine et aux Caraïbes, quelque 30 % de la population a moins de 15 ans, et en Europe, ce pourcentage atteint à peine 16 % » 4 . En Afrique subsaharienne, la population des jeunes croît plus vite que le nombre d’emplois disponibles. C’est ce que révèle le dernier rapport du Bureau International du Travail (BIT) intitulé « Tendances mondiales de l’emploi des jeunes »  (2006) . Entre 1995 et 2005, la main-d’œuvre des jeunes, entre 15 et 24 ans, a augmenté de 29,8% en Afrique subsaharienne, alors que le taux de chômage, lui, a augmenté de 34,2%. Pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, ces chiffres sont respectivement de 32,2 % et de 18,2 %. C’est aussi cette partie du monde qui enregistre le plus important taux de chômage des jeunes, soit 25,7%. Pour l’Afrique sub-saharienne, ce taux est de 18,1%.
4  Carl Haub, Fiche de données sur la population mondiale 2006 , Population Reference Bureau (Washington, DC : Population Reference Bureau, 2006). Cf. www.prb.org/pdf07/africasyouthpop_fr.pdf  (consulté, le 04 nov. 2010)
6
Ce chiffre qui ne semble pas alarmant cache une autre réalité ; celle de ces jeunes qui travaillent, mais vivent dans la pauvreté . Ils sont 57,7% en Afrique sub-saharienne à vivre avec moins d’un dollar par jour et 87,1%, avec moins de deux dollars. En d’autres termes, explique Dorothea Schmidt, économiste au BIT et co-auteur du rapport, « un seul jeune sur dix gagne assez pour s’élever au-dessus du seuil de 2 dollars par jour » . Alors qu’entre 1995 et 2005, le nombre de ces jeunes « travailleurs pauvres » est passé de 60 millions à 45 millions en Asie du Sud, où cette tendance était plus importante, il est passé, en Afrique subsaharienne, de 36 à 45,4 millions. Souvent issus d’une famille pauvre, ces jeunes partagent leurs revenus avec leurs proches ou sont eux-mêmes, notamment à cause du sida, chefs de famille. Donc, quand ils ne sont pas au chômage, les jeunes négro-africains sont des travailleurs pauvres. « Ils travaillent, mais sont pauvres » . Le chômage des jeunes sur le continent, comme déjà dit, serait, quant à lui, dû au décalage entre la croissance du marché de l’emploi et la croissance de la population de ces jeunes 5 . La situation que nous venons de décrire ne peut que favoriser, dans les villes, la délinquance juvénile, avec son corollaire de toxicomanie et de comportements sexuels dépravés. Une course passionnée et prématurée vers l’avoir des biens de consommation conduit un certain nombre au banditisme et au gangstérisme. On a posé la question à des filles dans un lycée d’Abidjan de savoir ce qu’elles voudraient être demain : la plupart ont dit qu’elles voulaient être « maîtresses ». Ne vous y trompez pas ! Il n’est pas question ici d’être maîtresse d’école, mais d’être « maîtresse » des messieurs : c’est un « métier », en somme, et de plus, apparemment très rentable, celui de « maîtresse/amante » ! A la faveur de l’anonymat urbain, beaucoup adoptent des comportements incivils et inciviques. Le stress urbain aidant, le taux d’adrénaline monte, les nerfs sont à fleur de peau et élève le niveau d’agressivité dans le trafic routier. Ainsi, la circulation sur les routes devient tout simplement un jeu selon les humeurs acrobatiques de chacun, plutôt qu’une responsabilité sociale vis-à-vis de soi-même et des autres : on assiste à des conduites suicidaires et meurtrières. Insouciance, imprudence et intolérance sont devenues monnaies courantes. On s’insulte facilement et allègrement. Le respect de l’autre devient denrée rare, car l’on a de moins en moins du respect pour soi-même. Il y a perte du respect de la personne, de sa vie et de ses biens.  Le milieu scolaire, comme le milieu médical se révèlent de plus en plus comme des milieux en déliquescence morale.
- Les femmes   dans la cité     Elles sont beaucoup plus conscientes de leurs droits et ont parfois des cercles de revendication. Beaucoup d’entre elles se retrouvent en situation de concubines. Elles sont les « 2 ème  bureau » d’hommes mariés, selon l’expression trivialement à la mode de nos jours dans nos sociétés subsahariennes contemporaines. Les familles monoparentales se multiplient, et ce sont, dans la plupart des cas, les femmes qui 5 . Cf. www.afrik.com/article10620.html (consulté, le 04 nov. 2010) .
7
se retrouvent seules à s’occuper des enfants. Dans mon ministère pastoral en paroisse, c’est avec beaucoup de surprise et de peine que j’ai constaté qu’un grand nombre de femmes sont abandonnées d’hommes qui leur ont fait un ou plusieurs enfants. Les activités commerciales sont surtout entre les mains des femmes. Le milieu urbain favorise et alimente l’adoption par plusieurs d’entre elles de la prostitution comme activité génératrice de revenus.  -  Les hommes dans la cité Ils sont pris dans le tourbillon de l’existence agitée de la communauté citadine. Ils sont peu présents à la maison, et négligent les devoirs familiaux. Les exigences des principes moraux sont quelque peu battues en brèche. Le sens de responsabilité familiale est relâché. La polygamie officielle que nous connaissons dans la pratique en contexte rural se rencontre moins en ville, et laisse place au concubinage. Les «2 ème bureau » se multiplient donc ; et il doit en avoir pas mal qui en sont déjà au « 3 ème bureau » ! La tendance générale est l’adoption d’un mode de vie plutôt hédoniste.
III. Autres faits de société
1. Les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC)
« Les villes africaines sont aussi les lieux où il y a une grande concentration des médias et un accès massif et relativement facile aux moyens de communication sociale, dont la radio, la télévision, la presse écrite et audiovisuelle, l’Internet, le téléphone mobile, etc., ces médias qui, comme on le sait bien, influencent énormément la pensée et le comportement des personnes, au point de faire émerger une nouvelle culture, celle communément appelée la culture médiatique. Ces médias sont, par ailleurs, les lieux d’expression d’un large pluralisme religieux, parce que les pasteurs des sectes et ceux des Eglises de réveil se disputent à titre égal l’audience avec les responsables de grandes religions traditionnelles, dont le christianisme, l’Islam, la religion traditionnelle africaine, etc. » 6 . Face à une telle réalité, il nous faut reconnaître l’introduction de trois (03) outils de télécommunication et d’informatique qui ont littéralement révolutionné le mode de vie des négro-africains, comme, assurément, celui du monde entier. Ces outils modernes de communication ont imprimé une prodigieuse révolution dans la vie familiale et éducationnelle des hommes de ce temps en général, et dans le monde négro-africain en particulier. Ces trois outils sont la télévision , le micro-ordinateur  et le téléphone portable 7 . Nous devons nous féliciter des services sans prix que ces outils rendent à
6 .  Ferdinand BANGA (Abbé), Ibid. 7 .   iPhone, iPad, Smartphone, et autres tablettes en sont les prolongements.
8 l’humanité. Nous assistons cependant à la planétarisation d’images, quelle qu’en soit la nature et la qualité. Des messages éthiquement discutables transmis par le micro-ordinateur et la téléphonie cellulaire. Avec la communication facile, étendue et à peu de frais, la vertu de discrétion n’est plus de mise. Le « savoir parler » ou le « tout n’est pas bon à dire » n’a apparemment plus de sens. Sans une formation adéquate pour une utilisation avisée, enfants, jeunes, adultes de tout âge se trouvent confrontés à la manipulation sans discernement de l’outil numérique. La révolution numérique  a gagné tous les coins et recoins de la vie des négro-africains, pour leur bonheur, certes, dans leurs relations interpersonnelles, mais malheureusement aussi, pour leur malheur, dans bien des cas.
2. Le règne de « Mammon » dans les cœurs et sur les esprits
 Les sociétés négro-africaines contemporaines  deviennent, comme la plupart des sociétés de ce temps, des sociétés de consommation. De façon inexorable le consumérisme gagne toutes les couches de la société. Le mode de vie dans les pays européens et américains est regardé comme la référence à atteindre, et le modèle à reproduire. Nous assistons à une avidité déconcertante par rapport à l’avoir, spécialement par rapport à l’argent. Un véritable culte est voué au « dieu- argent » qui exercice sur les cœurs et les esprits un pouvoir tel que le respect de Dieu et de l’homme passe au second plan. L’argent est recherché à tout prix et à n’importe quel prix, même au prix de la vie du prochain. La pratique de la corruption se généralise, et devient un fait banal : il y a comme un phénomène de réaction de cause à effet, car toutes les couches de la société, même les plus insoupçonnées, sont touchées. Des produits impropres à la consommation sont délibérément vendus. Dans des magasins hyper ou super marchés, dans des pharmacies ou autres services, vous pouvez acheter sans que l’on ne vous donne un reçu ; chez certains, il y a un manque chronique de petites monnaies à remettre comme reliquats aux clients : ceux-ci sont ainsi exploités, « à petites doses » et de façon apparemment inoffensive certes, mais bien réellement cependant. Quand nous portons le regard sur la stratification des activités économiques, nous constatons un secteur primaire assez important mais avec des méthodes encore archaïques pour une démographie galopante. Un secteur secondaire très embryonnaire et rudimentaire, alors que sans le travail de transformation des matières premières, il n’y a pas de développement moderne. Un secteur tertiaire qui s’hypertrophie, alors qu’il est caractérisé plus par la consommation que par la production sans laquelle il ne peut donner toute sa mesure.
3. Le service politique et administratif
9
La relative jeunesse de nos Etats subsahariens ne fait pas encore d’eux des Etats-nations avec une vision patriotique mobilisant l’ensemble des citoyens. Beaucoup d’entre eux n’ayant pas eu à conquérir leur indépendance de haute lutte nationaliste de l’ensemble des fils du pays, n’en finissent pas aujourd’hui de la conquérir par le difficile apprentissage du vivre-ensemble et de la recherche d’une forme adéquate de démocratie.  S’agissant de démocratie en Afrique Noire, la question fait l’objet de chauds débats de nos jours. Personnellement, je pense qu’il n’y a pas lieu d’être polarisé par une formule standard de démocratie. L’idéal démocratique, en tant que vision d’implication de tous les citoyens à la gestion de la chose publique, est fondamental et incontournable, mais la forme ou la formule d’expression de la démocratie peut être plurielle, dans la mesure où, bien entendu, sont garantis la liberté d’opinion, le respect et la sécurité des personnes et des biens, la prise et l’application de lois justes. Les dimensions naturelles, surnaturelles ou métaphysiques, psychologiques et symboliques du pouvoir et de l’institution du chef sont encore tributaires de la conception des royautés et des chefferies, selon les configurations sociales (raciales, ethniques et religieuses). La mentalité de chef de village, de chef de collectivité ou de chef ethnique est appliquée à l’Etat, alors que ce dernier est plutôt une entité multi-ethnique et appelée à s’ouvrir à des relations internationales. On assiste à la manipulation des populations par l’instrumentalisation des sentiments régionalistes et ethnocentriques, à des fins électoralistes. Patrimonialisme (gestion familiale et clanique de la chose publique), clientélisme politique, népotisme et corruption alimentée par l’élite politique, militaire et administrative sont autant de manifestations de l’archaïsme politique du continent noir 8 . La démocratisation n’est que de façade, avec des fautes graves de gestion et des crimes économiques. Tout cela ayant pour nom « mauvaise gouvernance ». Les citoyens, eux, sont encore dans une mentalité d’Etat providence, et les gouvernants eux-mêmes installent paresseusement les pays dans une économie de rente. La gouvernance peu fiable et l’insécurité politique ne sécurisent guère les investissements en vue de la promotion des activités économiques. Sans autonomie stratégique et politique et sans transparence dans la gestion de la vie publique, il est illusoire d’espérer que l’Afrique Noire sorte de son cycle de violences et de conflits, ou qu’elle sorte de son sous-développement économique. Pour les postulants au service de la chose publique, le pouvoir politique est plutôt conçu comme l’expression de leur propre émancipation. Libre cours est alors donné à l’affairisme politique. Les conflits politiques se trouvent ainsi exacerbés. Beaucoup d’hommes d’affaires, forts de leur puissance économique, viennent en politique pour faire prospérer leurs affaires. Après « le soleil des indépendances »  (cf. Ahmadou KOUROUMA), celui des coups d’Etats et push, et celui des révolutions éphémères, voici le soleil des ploutocrates, acteurs d’une démocratie qui peine à se faire crédible ou digne de respect ! A voir ce qui se passe, il ne serait pas trop sévère de qualifier cette
8 . Cf. V. GODIDEC (P.F.), « Esquisse d’une typologie des régimes politiques africains », in Pouvoirs , n° 25, Paris, PUF, 1985, pp. 63-87.
10
tragi-comédie de délinquance politique. L’esprit des citoyens est pris en otage par des hommes politiques beaucoup plus préoccupés de leur propre intérêt ou survie, plutôt que du bien-être de leurs compatriotes. Les citoyens sont exploités et saignés à blanc à des fins électoralistes. Ce qu’on pourrait appeler phénomène du « monstre doux » plane sur la tête de plusieurs peuples : ce sont des idéologies totalitaires inoculées en douceur et de façon imperceptible dans les esprits. Un phénomène nouveau se fait jour dans la gestion de la chose publique dans nos pays : ce sont les lobbies religieux en politique. Cela est, de nos jours, très manifeste, sous la mouvance des Eglises dites « évangélistes ». Une forme d’intégrisme ou de fondamentalisme chrétien s’invite dans les rangs des politiciens : les discours politiques sont de plus en plus truffés d’expressions religieuses chrétiennes ou de citations de l’Ecriture, alors que les attitudes politiques vont magistralement à l’encontre de l’éthique chrétienne. Dans la gestion administrative, on constate comme un optimisme béat qui, en réalité, trouverait plutôt place dans le registre de l’inconscience et de la banalisation des choses sérieuses. Je me refuse de croire à une tare ou à un atavisme. Mais il y a une attitude qui semble prendre les choses comme allant de soi ; on se comporte comme si nos diverses entreprises ou initiatives pouvaient réussir sans que nous n’ayons à faire l’effort d’investissement de nous-mêmes dans la réflexion, l’organisation et la rigueur gestionnelle. Des activités ou des actions à prendre au sérieux sont plutôt livrées à l’improvisation et à l’amateurisme. Le développement véritable ne saurait se faire par procuration ; il faudrait payer le prix de la bonne gestion et de l’excellence. Comme dans les rapports économiques entre les nations puissantes et les nations en voie de développement où l’économie est de prédation, nous faisons, dans nos sociétés actuelles en Afrique subsaharienne, le constat d’une politique de prédation, d’une administration de prédation, et même dans le monde religieux, d’une pastorale de prédation ! Le monde de la justice est bien souvent animé par des acteurs peu scrupuleux. On s’est déjà plaint, plus d’une fois, dans l’un ou l’autre de nos pays, de la corruption de magistrats et d’avocats. Corrupteurs et corrompus vicient le système judiciaire. Beaucoup de citoyens sont victimes de ces tripatouillages judiciaires. Il est à noter, par ailleurs, que beaucoup parmi nous semblent trop facilement disposés  l’achat des consciences aidant parfois  à s’accommoder de l’impunité en matière judiciaire. L’esprit, apparemment, n’est pas encore assez ouvert à assumer l’implacable froideur de la justice commutative et restaurative, ni de la peine réparatrice que les instances administratives seraient amenées à imposer dans l’accomplissement légitime et légal de leur fonction. Et que dire des Forces de défense ou de l’ordre de nos pays ? Le regard extérieur n’hésite certainement pas à les reconnaître comme des corps soumis à une discipline avérée. Cependant, à y regarder de près, le service militaire ne jouit pas de l’encadrement requis et adéquat pour faire des éléments des forces de défense et des forces de l’ordre des citoyens ayant le sens sacré du service de la patrie. Le civisme, la loyauté et les bonnes manières sensés être attachés à un tel service ne semblent pas intériorisés. N’étant pas toujours contents de leur salaire qu’ils trouvent dérisoire, les
11
militaires, gendarmes et policiers sont souvent tentés de se faire payer par eux-mêmes en recourant aux rackets. Des politiciens sans scrupule se servent de l’armée et de la police pour défendre leur pouvoir contre les aspirations légitimes des populations, oubliant que la mission des militaires ou des forces de l’ordre n’est pas de défendre les dirigeants contre leur peuple, mais de défendre la patrie et d’assurer la sécurité du peuple. L’instabilité politique dans leur pays inspire bien souvent aux militaires la redoutable idée de s’emparer du pouvoir politique par la force des armes. Ce qui, dans la plupart des cas, n’arrange pas les choses.
4. Le paramètre religieux
- De la religion naturelle traditionnelle aux religions révélées Les groupes musulmans, habituellement au nord des pays, parce que l’Islam est venu par la voie du désert du Sahara, ont déjà tellement intégré les us et coutumes adoptés sous les influences islamiques, qu’ils les ont inculturés et les considèrent comme leur tradition de toujours. Les groupes chrétiens ont eux, pour la plupart, reçu le christianisme plus tard et par la voie des océans, et cela par les européens qui étaient également colonisateurs de leur peuple. Nous avons surtout le catholicisme, le protestantisme de diverses obédiences ; viennent ensuite les nouveaux mouvements ecclésiaux : Eglises du réveil fondées par les négro-africains eux-mêmes, ou des Eglises à caractère « pentecôtiste », de référence américaine. Mais la très grande majorité des négro-africains vivent encore dans ou sous l’influence de la religion naturelle traditionnelle et ancestrale : sous des formes structurées et hiérarchisées (comme les Orisha, chez les Yoruba du Nigeria et du Bénin, et le Vodun au Bénin, Togo, Ghana), ou sous forme de culte simplement familial (avec le « parterfamilia » comme responsable de culte). La religion naturelle traditionnelle en Afrique est conventionnellement dite « religion traditionnelle africaine » (RTA) dans les milieux théologiens africains. Ces différentes religions et confessions vivent une cohabitation relativement pacifique, bien qu’il y ait quelques rares soubresauts conflictuels de temps en temps (le nord du Nigeria s’illustre souvent en cela).
- Angoisses de la vie et comportements religieux De toute évidence, les divers comportements socioculturels sont induits par les systèmes de croyance et les systèmes de représentation religieuse. La persistance de croyances primitives et de pratiques superstitieuses font qu’on pense être sous l’influence de forces mystérieuses qui interviennent constamment dans notre existence. Cette influence pourrait être positive en un certain sens, mais malheureusement elle est beaucoup plus souvent négative. Au Burundi, en Ouganda, au Kenya, par exemple, ou ailleurs, on assiste à une chasse acharnée aux Albinos, parce que, pense-t-on, ils seraient porte-bonheurs pour les uns ou porte-malheurs pour les autres. On vit dans une
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents