Deux drames écrits en exil ayant la patrie pour sujet - article ; n°1 ; vol.53, pg 133-145
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Description

Revue des études slaves - Année 1981 - Volume 53 - Numéro 1 - Pages 133-145
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Attila Fáj
Monsieur Gérard Abensour
Deux drames écrits en exil ayant la patrie pour sujet
In: Revue des études slaves, Tome 53, fascicule 1, 1981. Nicolas Evreinov : l'apôtre russe de la thêâtralité. pp. 133-
145.
Citer ce document / Cite this document :
Fáj Attila, Abensour Gérard. Deux drames écrits en exil ayant la patrie pour sujet. In: Revue des études slaves, Tome 53,
fascicule 1, 1981. Nicolas Evreinov : l'apôtre russe de la thêâtralité. pp. 133-145.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1981_num_53_1_5129/ » "' ' 7 f'
DEUX DRAMES ÉCRITS EN EXIL
AYANT LA PATRIE POUR SUJET
PAR
ATTILA FÁJ
Dans l'Antiquité, l'écrivain contraint de vivre loin de son pays natal, était la
plupart du temps dans l'impossibilité de refléter la réalité contemporaine de son
pays. Les raisons de cette impossibilité étaient à la fois de caractère technique et
psychologique. Nous allons l'illustrer en prenant le cas d'Ovide.
En exil à Tomi, il pensait pouvoir continuer à mettre en vers l'origine mythique
du cycle des fêtes qui réglaient la vie entière de son pays, thème poétique dont il
avait déjà réalisé la première partie à Rome. Mais bientôt il dut se rendre à l'év
idence qu'il ne pouvait tirer tous ses matériaux de ses propres souvenirs et que dans
l'environnement barbare il ne trouvait pas les sources indispensables à son travail.
Il fit alors la tentative d'aborder d'autres thèmes proches de son cœur et qui faisaient
partie de sa culture, à savoir les histoires d'amour. Mais aux difficultés techniques
s'ajoutèrent alors des obstacles d'ordre psychologique. Bien qu'il fût sensible à
l'austère beauté des paysages de sa nouvelle résidence, Ovide ne trouvait pas en eux
le stimulant capable de lui faire retrouver ses expériences passées. Impossible pour
lui de relier et de synthétiser des souvenirs d'Italie avec ses impressions actuelles.
L'actualité exclut, rejette en quelque sorte son passé. La mer Noire glacée signifie
qu'il serait ici impossible d'imaginer l'histoire douce-amère de Léandre qui périt
alors qu'il veut rejoindre celle qu'il aime à la nage. A Tomi pas de pommiers.
Inconvénient pour les histoires d'amour dans ce coin perdu de l'Empire, Acanthe
ne pourrait faire sa déclaration en la gravant à la surface d'une pomme.
Avec le développement vertigineux des moyens de communication de masse et
le nombre croissant des bibliothèques et services d'information, les difficultés
techniques rencontrées par Ovide ont aujourd'hui à peu près disparu. Néanmoins,
l'écrivain qui vit en permanence à l'étranger rencontre souvent des
dans son travail lorsqu'il traite de sujets inhérents à son propre pays car il lui
manque l'atmosphère dont il est éloigné. Il perd la stabilité de la terre ferme sous
ses pieds, il devient un destierro (sans terre), nom qui désigne l'émigré en espagnol.
De plus, il est privé du temps vécu par les autres dans son pays d'origine et devient
un destiempo. Dans la plupart des cas, et à mesure que le temps passe, ces facteurs
conduisent l'écrivain à renoncer à certains thèmes, épuisent la volonté de création,
minent sa confiance en lui-même. Une conviction s'impose à lui, celle que ce qui
Rev. Ètud. slaves, Paris, LIII/1, 1981, p. 133-145. 134 A. FÁJ
était facile chez lui, est lourd comme du plomb lorsqu'il est à l'étranger1 . Anna
Dostoevskij raconte dans ses Souvenirs que, vers la fin de son long séjour en Occi
dent, son mari était presque désespéré. Il était tourmenté par la crainte de s'être
définitivement détaché du cours de la vie russe, d'avoir tari sa veine créatrice et
d'être perdu en tant qu'écrivain. Nous pouvons certes rappeler que, quel qu'ait été
par ailleurs le désespoir qui l'étreignait, Dostoevskij, à la même période, avait écrit
des chefs-d'œuvre comme l'Idiot ou les Démons et que d'autres écrivains, avant et
après Dostoevskij, au cours de leur absence longue ou même définitive de la terre
natale sont arrivés à créer des œuvres exceptionnelles situées dans leur patrie.
Qu'il suffise de mentionner Pan Tadeusz de Mickiewicz, Peer Gynt d'Ibsen, les
gens de Hemsô de Strindberg, Ulysse de Joyce, le Docteur Faustus de Thomas
Mann, et en dernier lieu deux drames non moins importants d'Evreinov, les Pas de
Némésis et Ce qui n 'a pas de nom2 .
Chacun de ces écrivains a élaboré un certain nombre de techniques destinées à
contourner l'obstacle lié à la condition de destierro et de destiempo. Les écrivains
les plus conscients des procédés techniques de leur art se sont particulièrement
attachés à mettre au point des moyens extrêmement raffinés. C'est dans cet esprit
que nous estimons qu'il est important de procéder à un examen comparé des mé
thodes utilisées par Evreinov dans les deux drames mentionnés ci-dessus. Quels
sont les procédés qu'il a employés pour refléter la réalité russe des années trente ?
Y a-t-il un rapport entre ces procédés et sa théorie de la théâtralité ? D'autres
écrivains russes ont-ils utilisé les mêmes méthodes et pourraient-elles être utilisées
valablement par de nouveaux écrivains dissidents qui songent en Occident à traiter
de sujets portant sur leur patrie ? Nous chercherons à répondre à ces diverses
questions en procédant à une analyse de ces deux pièces : les Pas de Némésis
et Ce qui n 'a pas de nom 3 .
La première de ces pièces a été écrite peu avant le déclenchement de la Deuxième
Guerre mondiale. Evreinov précise qu'il s'agit d'une « chronique dramatique en six
tableaux sur la vie du parti en Union soviétique (1936-1938)». On sait que la
période indiquée est celle des grandes purges et des procès publics contre Zinov'ev,
Kamenev,Buxarin, Jagoda et Radek. Ce fut une époque où Evreinov, qui se trouvait
à Paris, était littéralement obsédé et angoissé par le destin de son pays. Il dévorait
aussi bien le compte rendu officiel des procès publié à Moscou en un volume de
700 pages sous le titre de : Minutes du de l'activité antisoviétique du bloc
des trotskystes de droite, que les journaux qui donnaient des informations sur les
coulisses de ces spectacles, sur les accusations fausses et les procédés sadiques
utilisés pour obtenir des « confessions spontanées » de la part des accusés. En proie
au stress psychologique provenant de ces lectures et des informations de première
ou de deuxième main, il se sentait en quelque sorte contraint de rédiger un compte
rendu personnel, de s'adresser à la «cour suprême » de sa propre conscience afin de
pouvoir, par le moyen d'un théâtre pour soi, se libérer de cette tension insupport
able. Cette hypothèse sur l'atmosphère qui a présidé à la naissance de cette « chro
nique dramatique » est confirmée par le témoignage de Madame Anne Evreinov qui,
dans l'introduction qu'elle a donnée au texte de cette œuvre, explique que son mari
1. Cf. P. Tábori, The Anatomy o f exile, London, 1972, p. 32.
2. A ce propos, voir A. Fáj, « Hazai tárgyú irodalmi alkotások az emigrációban » [Le
thème du pays natal dans les œuvres littéraires de l'émigration] in Nyugati magyar irodalom
[Littérature hongroise en Occident] , Amsterdam, 1976, p. 77-103.
3. N. Evreinov : Шаги Немезиды, Paris, 1956 et N. Evreinov, Чему нет имени {Бедной
девочке снилось), Paris, 1965. THÈME DE LA PATRIE 135 LE
avait voulu ainsi se débarrasser de sa propre obsession maladive liée pour lui à une
réalité tragique à la fois proche et lointaine1 . En bref, le dramaturge voulait se créer
sa propre catharsis.
Conscient de ses devoirs à l'égard de lui-même, Evreinov ne pouvait pas se
contenter d'une modeste « chronique dramatique » avec des personnages inventés
ou réels de troisième ordre. Sa chronique se devait d'attaquer de front l'histoire
publiquement livrée à la contemplation, histoire officielle de « l'

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