Du bon usage de la bouse et des femmes en Inde du Nord - article ; n°131 ; vol.34, pg 57-75
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Description

L'Homme - Année 1994 - Volume 34 - Numéro 131 - Pages 57-75
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 94
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Marie-Claude Mahias
Du bon usage de la bouse et des femmes en Inde du Nord
In: L'Homme, 1994, tome 34 n°131. pp. 57-75.
Citer ce document / Cite this document :
Mahias Marie-Claude. Du bon usage de la bouse et des femmes en Inde du Nord. In: L'Homme, 1994, tome 34 n°131. pp. 57-
75.
doi : 10.3406/hom.1994.369777
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1994_num_34_131_369777r
Marie-Claude Mahias
Du bon usage de la bouse et des femmes
en Inde du Nord
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nines. La description de chaque opération montre comment s'imbriquent des dimens
ions matérielles, le jeu des rapports sociaux, des savoirs et des représentations. L'exis
tence de variantes techniques — des bousats de taille différente — permet de mettre en
évidence des rapports de compatibilité et d'exclusion entre la manière de stocker la
bouse, la forme des foyers, le régime alimentaire et les préférences gustatives.
L% étude des productions animales a toujours été et demeure très sélec
tive. Alors que la production de lait ou de viande est quantifiée, pro
grammée, encadrée dans toutes sortes de statistiques, l'idée que
celle de bouse pourrait également être étudiée, comptabilisée, ne paraît vra
iment pas sérieuse. Même Jean-Pierre Digard, par ailleurs si attentif à la divers
ité des rapports entre l'homme et l'animal, néglige presque complètement la
production d'excrément, la plaçant après celle de travail, de lait, de viande, de
cuir et même de corne (1990 : 184, 187).
Il y a quelques années déjà, André-Georges Haudricourt (1977) avait
cependant appelé l'attention sur le rôle des excreta dans les rapports de
l'homme et de l'animal, opposant un Extrême-Orient où les excréments
humains auraient conduit certains animaux — chien et porc — à s'autodomesti-
quer, à un Occident où, écrit-il en pensant d'abord au lait, « c'est l'homme qui
est attiré par l'excrétion de l'animal ». Plus récemment, François Sigaut pré
conisait d'adopter le point de vue de l' animal-fournisseur pour identifier et
classer les produits du monde animal, car « rien ne nous autorise à décider a
priori que [certaines] utilisations sont plus anecdotiques, moins importantes
que d'autres » (1980 : 21). Nulle raison alors de minorer les excréments. Pourt
ant, lorsqu'il s'interroge sur les causes possibles de la domestication animale et
L'Homme 131, juil.-sept 1994, XXXIV (3), pp. 57-75. 58 MARIE-CLAUDE MAHIAS
sur les produits qui peuvent être obtenus d'animaux à l'état sauvage, à
rencontre du lait ou du travail qui exigent des animaux déjà domestiqués, lui-
même omet de mentionner les excréments parmi les produits fournis par l'an
imal vivant {ibid. : 26). Or la bouse, non plus que les poils ou les plumes, n'eut
à être inventée. Est-ce parce que dans ce cas le point de vue de l' animal-four
nisseur ne débouche pas sur celui de F homme-producteur et ne constitue pas un
enjeu économique ? Imagine-t-on en effet un laboratoire zootechnicien demand
er des crédits en vue de sélectionner une race pour ses performances bou-
sières ? Ou bien parce que, dans la recherche des origines de la domestication
qui est son propos, il est difficile d'accorder un rôle moteur à l'utilisation des
excréments ? Mais que sait-on au juste de ces utilisations ? Peu de choses en
vérité puisque même les chercheurs les mieux intentionnés n'échappent pas à
l'aveuglement général.
Pourtant, le rôle des excréments animaux comme fumier, dégraissant des
argiles, enduit ou combustible est un fait d'observation commune. L'utilisation
de bouse séchée comme combustible est attestée de la Perse (Tavernier 1981,
II : 284 ; Digard 1981 : 72) à la Bretagne et à la Vendée (Le Quellec 1988), en
passant par le Yémen (Champault 1978) et la Hongrie (Fél & Hofer 1988 : 30).
Et il ne s'agit pas uniquement de coutumes exotiques ou archaïques. Tout
récemment encore, en Ile-de-France, des briquettes faites de tourbe, de bouse et
de paille constituaient un combustible si important qu'elles ont même alimenté
des locomotives à vapeur. La bouse de vache entrait également dans la compos
ition du torchis et servait de liant dans la construction des murs en pierre. Mais
si ces pratiques ne sont pas archaïques, elles étaient à coup sûr paysannes,
populaires, et vouées à un oubli rapide. L'usage de la bouse, pour nous limiter à
l'excrément bovin, n'est donc pas si extraordinaire que notre ignorance délibé
rée1. Sa généralité et son extension géographique ne nous disent toutefois rien
des pratiques réelles en chaque lieu.
La bouse en Inde
Quiconque est tant soit peu familier du paysage nord-indien ne peut si ais
ément oublier la bouse, qu'il considère le cadre matériel villageois — elle
occupe véritablement le paysage — , le nombre de personnes concernées par les
activités qu'elle entraîne, la quantité de travail qu'elle exige, sa place dans de
nombreuses chaînes opératoires. De plus, dans une société où la consommation
de viande est idéologiquement limitée, le travail des peaux dévalorisé et assigné
à certaines basses castes, la production de lait négligeable, du moins jusqu'à
l'extension de l'élevage de bufflesses et la « révolution blanche », l'importance
de la bouse dans l'ensemble des produits animaux saute aux yeux. Plusieurs
chercheurs de terrain ont noté que la bouse semblait être le produit principal
1. À l'exception de R. Gandilhon (1978) dont je n'ai eu connaissance qu'après avoir remis cet article
à la rédaction de L'Homme. bouse et les femmes 59 La
des troupeaux bovins (Chambard 1980 : 30). L'image d'une femme occupée à
malaxer la bouse et aplatir des bousats2 est tellement emblématique de la vie
villageoise indienne qu'elle figure dans le générique d'un magazine culturel
télévisuel, au même titre que d'illustres monuments, suscitant tout à la fois rire
et reconnaissance immédiate de la part des téléspectateurs.
Les fonctions de la bouse sont nombreuses et diverses. Pierre Poivre notait
déjà en 1747 à propos des bovins de Pondichéry : « II n'y a pas jusqu'à la fiente
de cet animal qui ne soit mise à profit, non pour l'engrais des terres comme en
Europe, mais pour le blanchissage des toiles, pour faire du feu, pour enduire les
maisons bâties de clayes et mille autres usages, car ils l'emploient presque à
tout» (1968 :93).
Les utilisations domestiques semblent devancer largement le rôle de la
bouse dans la fumure des champs. Rappelons seulement l'usage de tapisser les
murs et le sol des maisons en terre et parfois aussi le sol des maisons en briques
d'un enduit de bouse et d'une argile appelée « terre jaune », délayé dans suff
isamment d'eau pour être liquide. Cela se fait régulièrement pour la propreté des
lieux ainsi plus faciles à balayer, de même que pour la pureté requise en cer
taines circonstances, comme toute cérémonie rituelle ou le repas quotidien des
hommes de certaines hautes castes. Récemment encore, on enduisait aussi de
bouse les sacs de grains pour en éloigner les rats (Lewis 1958 : 38). Mais c'est
comme combustible qu'est principalement utilisée la bouse séchée3. Le pro
blème du est aigu en Inde. Le charbon étant trop cher pour la
majorité de la population et le bois rare, tout est récupéré et brûlé : cartons, épis
de maïs égrenés, tiges de mil et de sorgho, vieux papiers, etc. Le petit bois est
collecté pour faire des flambées rapides.
Cette fonction de combustible est certainement ancienne. Un des premiers
voyageurs à la signaler est peut-être Athanase Nikitine qui, parcourant le Dec-
can dans la seconde moitié du xve siècle, écrivait que les Indiens « se servent de
la bouse pour faire cuire le pain et les autres aliments » (1982 : 42). La defores
tation était-elle déjà si importante

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