Écrit démonifuge et territorialité de la mort en Chine. Étude anthropologique du lien - article ; n°137 ; vol.36, pg 61-86
27 pages
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Écrit démonifuge et territorialité de la mort en Chine. Étude anthropologique du lien - article ; n°137 ; vol.36, pg 61-86

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Description

L'Homme - Année 1996 - Volume 36 - Numéro 137 - Pages 61-86
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 104
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Sandrine Chenivesse
Écrit démonifuge et territorialité de la mort en Chine. Étude
anthropologique du lien
In: L'Homme, 1996, tome 36 n°137. pp. 61-86.
Citer ce document / Cite this document :
Chenivesse Sandrine. Écrit démonifuge et territorialité de la mort en Chine. Étude anthropologique du lien. In: L'Homme, 1996,
tome 36 n°137. pp. 61-86.
doi : 10.3406/hom.1996.370036
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1996_num_36_137_370036Sandrine Chenivesse
Écrit démonifuge et territorialité
de la mort en Chine
Étude anthropologique du lien
Sandrine qui du l'époque un comment anthropologique démoniaques où lieu renouveau sources revendique réel, des Chenivesse, s'effectue de au Song, et des vie la le Sichuan, du monde et même traditions les lien. le de croisement géographies Écrit mort — tout où tentative Comment se démonifuge religieuses coexistent proche trouvent de cruciale mythiques des la s'ordonne métaphore de au juxtaposés vivants. et bord d'emprise cette territorialité du l'imaginaire d'incertaines Par même monde topographique un l'étude sur réservoir époque, des de le d'un la devant morts vide frontières mort frémissant il et rituel : s'incorporent s'agira l'écriture la d'un en mort^ d'écriture Chine. ? autre À d'analyser de en partir talisma- hordes champ Chine, Étude dans issu de
nique, ritualité du bord pour l'enjeu commun, entre morts et vifs, de la survie.
Un mythe très ancien, repris dans les récits ultérieurs des cosmogonies
taoïstes, raconte que le monde est né d'un cadavre, celui du démiurge
Pangu, l'Indifférencié, Souverain primordial du Centre, auquel le Sou
verain de la Mer du Nord et celui de la Mer du Sud percèrent avec les meil
leures intentions les sept orifices du corps. Il ne survécut pas à cette « chirur
gie mystique » et mourut le septième jour. À sa mort, Pangu transforma son
corps : de ses yeux emplis de larmes s'échappèrent les fleuves, son souffle
donna naissance aux vents, sa voix au tonnerre et la pupille de ses yeux à
l'éclair... l « Et la vermine qui dormait en lui, réveillée par les vents, prit forme
humaine »2.
Ce mythe inspirera la mystique taoïste dans sa réflexion sur le corps, pay
sage-microcosme peuplé de dieux, substitut de l'univers, ainsi que sur la mort,
1. Ren Fang, Shuyi ji («Récits Merveilleux»), 1 : la (éd. Han Wei congshu), ouvrage du vr siècle
dont il ne subsiste que quelques fragments. Cité in Maspero 1971 : 374.
2. « Yuanqi lun », tiré du Yunji qiqian 56.1a-b (in Daozang 677-702), passage cité et traduit par
J. Levi (1989 : 109). En outre, ce mythe existe sous plusieurs versions, dans l'œuvre de Zhuangzi
notamment, ainsi que dans les anciennes cosmogonies taoïstes où Pangu, associé au Vénérable
céleste du Commencement originel, apparaît comme la première des nombreuses hypostases de
Laozi décrit comme présent à l'origine du Grand Commencement, avant Ciel et Terre par la trans
formation desquels il s'incarnera en être humain ; cf. Seidel 1969 : 92-98.
L'Homme 137, janv.-mars 1996, pp. 61-86. 62 SANDRINE CHENIVESSE
vecteur de la transformation des choses dans le processus qui mène du non-être
vers l'être. Depuis les descriptions ésotériques de la circulation des souffles par
le Huangting jing, f|j| ¿fj£ Le Livre de la Cour jaune3, les techniques physiolo
giques taoïstes tendent à un même but : supprimer la cause de la décrépitude et
de la mort du corps matériel, obtenir la délivrance du cadavre en créant en soi
un embryon d'immortalité, corps subtil qui permet de retrouver la dynamique
régressive de la vie et de reconquérir l'origine céleste du corps. Mais outre
l'idée que toute naissance ressemble à une mort, nous retiendrons avant tout
pour notre propos le lien originel de l'homme au cadavre de la décomposition
des chairs duquel il naquit.
Si la coupure originelle accomplit efficacement son œuvre de différencia
tion par l'homicide involontaire du premier être, la violence qui lui est inhé
rente ne saurait dissiper l'angoisse de l'humanité devant les frontières incer
taines qui la séparent d'un monde caché. Par le mythe perdure la hantise de la
faille primordiale d'où surgit la violence mortifère. Celle-ci s'est déplacée par
un jeu de substitutions vers l'appréhension que génère la menace d'un corps
périssable et qu'accompagne le désir d'une différenciation bien distincte,
rejouée à l'infini dans les rituels funéraires et le culte des morts destinés avant
tout à « dé-corporer » le mort, à le couper, définitivement et jusque dans sa
chair, de ce monde. En d'autres termes, le survivant n'a de cesse de marquer,
dans le jeu ambigu de territorialités, son emprise sur un espace juxtaposé, sau
vage qui, à tout moment, peut se déverser dans le monde ici-bas. Les morts, en
Chine, accomplissent, dans un espace hérissé de jugements et de purifications,
un long parcours de transformations au cours duquel s'effectue le processus de
transmigration vers les paradis du ciel ou les geôles souterraines. Tous — ou
presque — accèdent, selon leur vertu, et grâce aux grands rituels collectifs de
salut pour l'obtention des mérites, au statut de bureaucrates célestes ou infer
naux, dans une représentation paroxystique du monde terrestre. Étonnant para
doxe qui nous amène à considérer l'éloignement d'une menace par la product
ion du même, ou plutôt du même inversé, de l'autre côté du miroir, lui-même
agent de la menace puisqu'il revendique le même objet que le vivant : la survie.
Ainsi s'esquisse une territorialité du mortifère entre le parcours effectué par le
mort, parfois récalcitrant, et ce que lui concède le survivant dans sa pensée
mythique et rituelle. Car la géographie de la mort, en Chine, n'a cessé de se
déplacer, révélant les diverses structures de pensée en fonction desquelles la
mort a circulé au cours d'époques différentes. En outre, ces géographies ont
toujours été explorées et, afin d'éviter au visiteur égarements et pas perdus, car-
tographiées, peintes sur rouleaux ou sur fresques4, formant l'objet d'une
3. Le Huangting jing est sans doute le premier ouvrage (ne-me siècle de notre ère) à décrire en détail
les diverses pratiques de la quête de l'Immortalité. Chez les taoïstes d'avant les Tang, la technique
de la circulation des souffles était la plus en vogue parmi les techniques physiologiques.
4. Cf. Chenivesse 1996, pour l'étude d'un paysage ésotérique mis en carte ; cf. aussi Teiser 1988a :
437 sq. Écrit démonifuge 63
magnifique tradition de voyages chamaniques dans l'au-delà qui prévaut encore
de nos jours.
Dans la haute antiquité, les Sources jaunes, lieu de repos des âmes après la
mort, sont imaginées toutes proches des habitations humaines. « Dès qu'on
creusait un peu de terre et qu'on découvrait l'eau, le monde des morts
s 'entr' ouvrait. Les esprits s'en échappaient aussitôt, surtout en hiver lorsque le
sol desséché se fendillait ; revenus sur terre, on les entendait gémir5. » Les géo
graphies imaginaires taoïstes des Six Dynasties localisent le monde des morts
sous le mont Fengdu jff^p , « La Cité de l'Abondance », en plein cœur de la
Mer du Nord, sur une île si lointaine que « même la trace de l'homme ne sau
rait y parvenir »6. Bien qu'éloignée, cette cité des morts semble, dans les des
criptions qui en sont faites, conforme au monde humain. Enfin se systématise
l'élaboration progressive, dès l'époque des Song, puis définitive sous les Ming,
d'un monde outre-tombe qui juxtapose son réservoir frémissant de hordes
démoniaques au monde contigu des vivants. D'inaccessible, le pas de l' outr
emonde se transforme en une simple colline située près des murailles d'un petit
village du Sichuan, sur la rive nord du fleuve Yangzi, monde caché mais tan
gible auquel on accorde un territoire réel et de dimension humaine, mais élargi
au dedans. Vie et mort sont rassemblées en un seul corps : celui de la mont
agne. Et deux montagnes se sont fondues en une... Mais le nom, Fengdu, reste
le même et c'est justement lui qui permet l

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