Herméneutiques sauvages de deux rites réputés chrétiens (Les Andes, La Mancha) - article ; n°142 ; vol.37, pg 7-32
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Description

L'Homme - Année 1997 - Volume 37 - Numéro 142 - Pages 7-32
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Antoinette Molinié
Herméneutiques sauvages de deux rites réputés chrétiens (Les
Andes, La Mancha)
In: L'Homme, 1997, tome 37 n°142. pp. 7-32.
Citer ce document / Cite this document :
Molinié Antoinette. Herméneutiques sauvages de deux rites réputés chrétiens (Les Andes, La Mancha). In: L'Homme, 1997,
tome 37 n°142. pp. 7-32.
doi : 10.3406/hom.1997.370245
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1997_num_37_142_370245-f
Antoinette Molinie
Herméneutiques sauvages
de deux rites réputés chrétiens
(Les Andes, La Mancha)
Mancha). Andes Antoinette du sud — Molinié, Deux (Pérou), rituels Herméneutiques font de l'objet la Fête-Dieu, d'une sauvages comparaison l'un de dans deux La portant rites Mancha réputés sur (Espagne), les chrétiens dualismes l'autre (Les qui Andes, dans caracté les La
risent chacune de leurs structures, la nature de la médiation entre leurs moitiés cérémonielles,
et enfin leurs exégèses indigènes. Si les versions des deux moitiés andines sont complémenta
ires, celles des moitiés espagnoles sont incompatibles. Ce contraste entre les rapports qu'un
rituel entretient avec ses interprétations indigènes fait l'objet d'une analyse. Il permet final
ement de dégager des conceptions différentes de l'altérité.
À Gabriel Romero, « Péché » de Camuñas.
À Faustino Cusi, « Sauvage » du Qoyllurit'i.
Malgré leur intérêt les comparaisons entre les cultures américaines et
espagnoles ne sont point exploitées. Pourtant, au delà des études
d'ethnogenèse qu'il peut inspirer, ce laboratoire transatlantique offre
des conditions propices pour mettre en œuvre le projet anthropologique. Par
l'étude des variantes de thèmes partagés, notamment celle des croyances et des
cultes d'origine catholique, il donne du sens à la diversité sociale et culturelle et
permet de dégager des dénominateurs communs1. Dans ce cadre comparatif le
rituel constitue un poste d'observation privilégié, puisque sur ses champs de
bataille nous pouvons encore non seulement compter les morts amérindiens
grâce à quelques documents, mais observer les gestes et entendre les paroles des
vainqueurs et des vaincus de chaque côté de l'Atlantique. C'est de cet observat
oire comparatif que nous allons explorer deux célébrations de la Fête-Dieu,
l'une sur la steppe glacée de la cordillère andine, l'autre sur les terres à moulins
quichotesques du désert de La Mancha.
1. Pour une explicitation de ce projet comparatif, je me permets de renvoyer à Molinié-Fioravanti
1992.
L'Homme 142, avril-juin 1997, pp. 7-32. 8 ANTOINETTE MOLINIE
La Fête-Dieu apparaît au début du xne siècle et se trouve officialisée par
l'Église en 1264. Au centre du monde catholique et de ses symboles, elle célèbre
l'Eucharistie au printemps, le jeudi de l'octave de la Pentecôte. Elle proclame la
transsubstantiation du pain en chair du Christ par les paroles d'un prêtre, elle invite
à la consommation de ce corps divin par chacun des membres de sa communauté
mystique, elle exhibe la nature divine du Christ et exalte la rédemption des hommes
par son corps meurtri. Au delà de sa fascinante démesure, cette fête intéresse l'a
nthropologue pour l'accueil favorable qu'elle a réservé à l'hétérodoxie. Elle renvoie
d'abord à de vieux démons qui ont hanté l'histoire du christianisme : au mythe de
l'exécution d'un dieu vivant, à son abominable sacrifice sanglant, aux paroles
incantatoires de l'alchimie de la messe, aux débordements du cannibalisme rituel et
aux prodiges magiques d'une substance divine qui peut devenir philtre d'amour ou
cataplasme eucharistique. En terre conquise par la chrétienté, la Fête-Dieu prend
des accents victorieux et, paradoxalement, fait preuve d'une singulière créativité en
se pliant avec souplesse aux particularismes, aux inventions et même aux idolât
ries. En effet, elle n'est liée à aucun épisode de la vie du Christ qu'une scéno
graphie devrait évoquer. De plus sa célébration officielle, une simple procession
autour de l'ostensoir instaurée par Thomas d'Aquin, présente peu de contraintes
liturgiques. Elle apparaît même comme un cadre relativement abstrait à remplir
selon les spécificités culturelles de chacun des groupes de la chrétienté et, pour
quoi pas, avec des bribes des anciennes divinités maintenant soumises à la splen
deur de l'hostie. Dans les Andes, les Fêtes-Dieu coloniales et contemporaines se
présentent comme de véritables poches d'idolâtries, où se réfugient d'anciens
rites calendaires, où des idoles se cachent dans un trône eucharistique, où res
suscitent les momies de corps eux aussi sacrifiés (Amaga 1968 [1621] : 213;
Cobo 1956 [1653] : 270-271 ; Polo de Ondegardo 1916 [1584] : 19-26 ; Taylor
1980 : 79-81 ; Zuidema 1996). La Fête-Dieu s'offre ainsi avec une grâce quelque
peu divine à une étude comparative. Nous en avons choisi deux célébrations,
l'une au cœur de la chrétienté espagnole, l'autre aux confins du monde andin.
Chacun de ces rituels mérite une étude à lui seul, et nous ne résoudrons ici
que quelques-unes de leurs nombreuses énigmes. Les facettes de la Fête-Dieu
andine sont trop nombreuses pour être éclairées ensemble à une lumière espa
gnole. La Fête-Dieu de Camuñas ne livrera point ici la clé de son sens véritable
qui fait référence à une histoire et une identité sans rapport avec les Amériques2.
C'est résolument à l'interface de ces deux célébrations et de leurs interprétations
indigènes que nous chercherons à définir la place de l'exégèse dans le rituel et
les relations entre celui-ci et la société qui le produit.
Nous avons retenu ces rituels non seulement parce qu'ils célèbrent tous
deux, en principe, le corps d'un dieu, mais aussi parce que leurs fonctionne
ments reposent sur une structure dualiste comparable. Or, les relations qu'entre
tiennent des moitiés livrent souvent des informations sur les conceptions de
l'altérité propres à leur culture. Nous avancerons ces dernières comme hypo-
2. Pour la signification du rituel de Camuñas, voir Molinie 1996b. Herméneutiques sauvages 9
thèses et, dans un prochain travail, nous dégagerons quelques « idées-valeurs »
(Dumont 1983) de la culture andine sur l'altérité.
Les deux fêtes3
Les Fêtes-Dieu de Camuñas et de Qoyllurit'i peuvent apparaître comme incomp
arables tant leurs contextes sociaux et leurs environnements culturels sont différents.
Le pèlerinage de Qoyllurit'i qui se tient toute la semaine du jeudi de la Fête-
Dieu est célébré au pied d'un glacier de la cordillère andine, à l'est de Cuzco
(Pérou). Généralement les processions du Corpus Christi suivent un parcours
intérieur à la ville, et elles mettent en scène la structure sociale urbaine avec ses
hiérarchies et ses contradictions. Le cadre du Qoyllurit'i est au contraire isolé et
extérieur. Le sanctuaire autour duquel se regroupent les pèlerins est situé à
environ 5 000 m d'altitude, et seul un sentier pentu y donne accès. Le culte se
déroule aux confins des terres hautes puisque les sommets majestueux et divi
nisés qui surplombent l'église plongent au loin dans la forêt tropicale.
Par ailleurs le Qoyllurit'i ne se présente pas comme une métaphore d'une
société locale à l'instar des Fêtes-Dieu villageoises ou urbaines. Comme elle ra
ssemble des dizaines de milliers de pèlerins, la célébration juxtapose des groupes
multiples, et c'est plutôt la société régionale qui est ici en représentation, les com
munautés dont l'habitat est traditionnellement dispersé y envoient des délégations
qui représentent ce que les pèlerins appellent des «nations». À l'époque colo
niale, ce terme désignait les différentes ethnies du vice-royaume. Aujourd'hui il
n'est plus utilisé qu'à l'occasion de certains pèlerinages : comme si les commun
autés, à travers la rencontre de leurs délégations respectives, se métamorphos
aient en ethnies, retrouvant ainsi, par le biais du rituel, de

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