Histoire, passé et frustration en Afrique noire - article ; n°5 ; vol.17, pg 873-884
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1962 - Volume 17 - Numéro 5 - Pages 873-884
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1962
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Henri Brunschwig
Histoire, passé et frustration en Afrique noire
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 17e année, N. 5, 1962. pp. 873-884.
Citer ce document / Cite this document :
Brunschwig Henri. Histoire, passé et frustration en Afrique noire. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 17e année, N.
5, 1962. pp. 873-884.
doi : 10.3406/ahess.1962.420891
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1962_num_17_5_420891■
passé et frustration Histoire/
en Afrique noire
La thèse est ancienne. Frobenius l'a soutenue au début du siècle;
Burghardt Du Bois l'a reprise à partir de 1915; M. Cheikh. Anta Diop
a tenté de la fonder sur des arguments linguistiques dans Nations nègres
et culture, en 1955 : il y aurait donc une Histoire des Noirs que les Euro
péens auraient systématiquement négligée au xixe siècle.
« Depuis la genèse de l'empire du sucre et du royaume du coton,
écrit M. Burghardt Du Bois, il y eut un effort soutenu pour rendre rationnel
l'esclavage nègre, en excluant l'Afrique de l'Histoire mondiale. Il en résulte
qu'on admet presque universellement aujourd'hui que cette histoire peut
être véridiquement écrite sans référence à des peuples négroïdes. Je
considère cela comme scientifiquement erroné et aussi comme dangereux
pour les conclusions sociologiques qu'on peut en tirer. C'est pourquoi je
cherche à rappeler aux lecteurs..., combien décisif fut le rôle joué par
l'Afrique dans l'histoire de l'humanité et combien il est impossible, en
l'oubliant, d'expliquer correctement la condition présente de l'humanité 2. »
Les colonisateurs ont donc enseigné aux Africains : « Nos ancêtres,
les Gaulois... » et ceux-ci en ont conçu un sentiment de frustration qu'ils
expriment fréquemment. Ainsi M. Alioune Diop :
« Le Noir, lui, se sent mal à l'aise. Car ni les partis politiques européens,
ni les Églises, ni les classiques scolaires, ni les merveilleuses ressources
de la langue française ou anglaise — ni même l'ethnologie (toutes acti
vités, doctrines ou disciplines convaincues, de bonne foi, de leur valeur
universelle) — ne peuvent s'empêcher de lui laisser le sentiment d'être
frustré. Je me souviens de mon enfance où, passionnés d'histoire et
1. Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture. Paris, 1955, in-8°. Les travaux
récents sur cette question sont analysés par J. Leclant, « Egypte pharaonique et
Afrique noire », Revue historique, avril-juin 1962, p. 327-336.
2. W. E. Burghardt du Bois, The world and Africa. An inquiry into the part
which Africa has played in ivorld history, New York, 1947, in-8°, p. 7.
873 ANNALES
d'héroïsme, nous chantions avec des camarades blancs des chansons
anciennes, héritages des guerres de la Révolution ou de Napoléon. Mon
enthousiasme — j'eus la même sensation, plus tard, dans les auberges de
la Jeunesse — s'arrêtait net après les premières strophes à la pensée que
ces amis avec lesquels j'avais tant de liens et d'espoirs communs, je
n'avais pas les mêmes ancêtres qu'eux1. »
Ce sentiment de frustration apparaît à propos de l'histoire ou de la
culture, ou des ancêtres, ou de l'indépendance politique. Au lendemain
du Congrès des Écrivains et des Artistes noirs » au cours duquel, à la
Sorbonně, des délégués américains s'étaient élevés contre l'expression
de revendications politiques étrangères au programme du Congrès, l'édi-
torial de Présence africaine affirmait trois vérités fondamentales :
«Pas de peuple sans culture;
« Pas de culture sans ancêtres ;
« Pas de libération culturelle authentique sans une libération poli
tique préalable2 ».
Or, ce qu'il importe de voir clairement, c'est que le passé, les ancêtres,
la culture et l'indépendance sont une chose, et que l'histoire en est une
autre, dont l'existence n'est pas nécessairement liée aux précédentes.
L'Histoire, telle qu'elle apparaît dans le monde méditerranéen et telle
que l'Europe l'a constituée en science au cours du xrxe siècle, se fonde
essentiellement sur la chronologie. Elle distingue chaque ancêtre, le
range soigneusement au long d'une continuité, au sein de laquelle il
ne se confond avec aucun autre, et que de nombreux événements
jalonnent avec précision.
Avant l'Histoire, ou autour de ce vigoureux courant de temps canalisé
par la chronologie, des légendes, des croyances, des cultures et des civil
isations s'épanouissent. L'Histoire puise à toutes ces sources qui viennent
enrichir ses eaux. L'historien, à partir du temps canalisé, s'efforce de
dériver des rigoles pour irriguer les terres lointaines encore privées de
chronologie. Sous son influence, le passé se réveille, se diversifie, s'enrichit
de faits, s'appauvrit de légendes, s'analyse en éléments datés qui s'in
scrivent dans la chronologie. Et c'est la vie même de l'Histoire que cette
collaboration et cette lutte entre l'érudit, étroitement attaché aux indivi
dus, aux événements, aux catégories de l'espace et du temps, et le pionnier,
désireux de faire entrer dans les annales tout l'humain, tout ce qui a été
vécu par l'esprit, par la foi, par les sens, par l'imagination. L'Histoire
propose à tous les peuples une construction rationnelle et critique, sati
sfaisante à partir du moment où la continuité de la chronologie est assurée;
un cadre commun à tous, uniforme et universel, mais évidemment
1. Alioune Diop, « Le Congrès des Hommes de culture noire », Le Monde,
11 octobre 1956, « Libres opinions ».
2. Présence africaine, n° 11, décembre 1956, 4 janvier 1957, p. 3.
874 AFRIQUE NOIRE
artificiel et spécifiquement lié à certaines formes de la pensée occidentale.
Son idéal serait d'inclure tout ce qui est humain. Mais l'humain la débor
dera toujours largement,, comme la vie déborde l'esprit et comme la pensée
déborde la raison.
Il est donc évident que cette Histoire n'a pas toujours existé, que l'on
peut se targuer d'un passé riche de cultures originales, bruyant d'ancêtres
valeureux, d'un passé dense, épais, informe, mystérieux et prometteur,
qu'aucune chronologie n'a jamais ratissé. M. Senghor oppose le Noir au
Blanc en remarquant que le premier est « émotion », le second « raison ».
Le Noir a longtemps vécu en communion intime avec le Monde, avec les
morts autant qu'avec les vivants, avec les choses autant qu'avec les
êtres. Ses ancêtres étaient aussi présents pour lui que ses contemporains
et les plus proches n'étaient pas forcément les plus récents; et rien ne
s'opposait à ce qu'ils fussent au même moment en divers lieux. Ses dieux
n'avaient pas de place dans une chronologie.
Ce passé, ces cultures, il est vrai que les Noirs en ont été frustrés. La
soudaineté de la conquête impérialiste fait qu'ils ne s'en sont pas éloignés
progressivement, comme nous, qui, cependant, éprouvons parfois le
besoin de ressusciter sous forme de folklore les émotions évanouies,
qu'aucun filtre chronologique n'a retenues. On leur a brutalement arraché
leur passé, on les en a dépouillé pour les revêtir de l'Histoire des Occiden
taux. Qu'ils aient la nostalgie de ce passé aux sortilèges envoûtants, qu'ils
se retournent vers lui quand les recettes des Blancs ne leur accordent pas
la paix de l'âme, qu'ils regrettent, invoquent, ressuscitent les ancêtres et
qu'ils nous reprochent de les en avoir frustrés, il serait naïf de s'en étonner.
Mais, de grâce, ne mêlons pas l'Histoire à cette querelle ! En échange de
ce passé, nous avons offert aux Noirs notre présent. A eux de l'accepter,
de le rejeter ou d'y choisir ce qui leur convient pour tenter d'en faire une
synthèse originale avec ce qui subsiste de leur passé. A eux de retrouver
l'équilibre troublé par ce sentiment de frustation; le voudrions-nous, que
nous ne pourrions pas les y aider sans attenter à leur dignité; il n'est
d'ailleurs pas sûr que l'intérêt éveill&

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