L’Affaire Dreyfus
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L’Affaire DreyfusOctave Mirbeau1991Sous le titre de L’Affaire Dreyfus ont été recueillis, en 1991, tous les textesd’Octave Mirbeau relatifs à l'affaire Dreyfus et publiés au cours de l’Affaire, denovembre 1897 à septembre 1899. La plupart d’entre eux ont paru dans L’Aurore.Chez l’Illustre écrivain.Interview.Pétition adressée au Président de la Chambre.Adresse à Émile Zola.Lettre à Georges Bans.Réponse à une enquête sur les tribunaux militaires.Lettre à Eugène Azémar.Lettre à Fernand Xau.Un matin chez Émile Zola.Trop tard.À un prolétaire.Cavaignac dreyfusard.Souvenirs !.Après dîner.Le Cadavre récalcitrant.Le coup de bistouri.À Henri Brisson.Inquiétudes.Les voix de la rue.Triolet.Que vos chapeauxSoyons rassurés !.Aux hommes libres.Expertise !.Vainqueur de son ombre.Idées générales.Palinodies.Le festin des sauvages.En attendant.La tache de sang.Nocturne.Lettre à Adrien Hébrard.Le rasoir et la croix.Un mot personnel.Le guet-apens de Toulouse.Les cris de l’année.À cheval, Messieurs !.Révélations.À M. Lucien Millevoye.Le compagnon Charles Dupuy.L’Iniquité.Une soirée de trahison.Derrière un grillage.Apologie pour Arthur Meyer.Mon ami Dupuy.Une face de Méline.Notre loi.Encore mon ami Dupuy.Paroles dans la nuit.Dans les ruines.Au bagne.Apologie pour Vacher.Chez Mazeau.L’expiation en marche.Pour le Roy !.Tout va bien.Psychologie militaire.Vers la Guyane.En province.À Alfred Dreyfus.L’Affaire Dreyfus : Chez ...

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Langue Français
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L’Affaire Dreyfus Octave Mirbeau 1991
Sous le titre de L’Affaire Dreyfus  ont été recueillis, en 1991, tous les textes d’Octave Mirbeau relatifs à l'affaire Dreyfus et publiés au cours de l’Affaire, de novembre 1897 à septembre 1899. La plupart d’entre eux ont paru dans L’Aurore .
Chez l’Illustre écrivain. Interview. Pétition adressée au Président de la Chambre. Adresse à Émile Zola. Lettre à Georges Bans. Réponse à une enquête sur les tribunaux militaires. Lettre à Eugène Azémar. Lettre à Fernand Xau. Un matin chez Émile Zola. Trop tard. À un prolétaire. Cavaignac dreyfusard. Souvenirs !. Après dîner. Le Cadavre récalcitrant. Le coup de bistouri. À Henri Brisson. Inquiétudes. Les voix de la rue. Triolet. Que vos chapeaux Soyons rassurés !. Aux hommes libres. Expertise !. Vainqueur de son ombre. Idées générales. Palinodies. Le festin des sauvages. En attendant. La tache de sang. Nocturne. Lettre à Adrien Hébrard. Le rasoir et la croix. Un mot personnel. Le guet-apens de Toulouse. Les cris de l’année. À cheval, Messieurs !. Révélations. À M. Lucien Millevoye. Le compagnon Charles Dupuy. L’Ini uité.
Une soirée de trahison. Derrière un grillage. Apologie pour Arthur Meyer. Mon ami Dupuy. Une face de Méline. Notre loi. Encore mon ami Dupuy. Paroles dans la nuit. Dans les ruines. Au bagne. Apologie pour Vacher. Chez Mazeau. L’expiation en marche. Pour le Roy !. Tout va bien. Psychologie militaire. Vers la Guyane. En province. À Alfred Dreyfus. L’Affaire Dreyfus : Chez l’Illustre écrivain                         CHEZ L’ILLUSTRE ÉCRIVAIN
Paul Bourget, modèle de l'Illustre Écrivain Hier, nous étions quelques-uns, réunis à dîner chez l’Illustre Écrivain, Le sujet de la conversation, vous l’imaginez. On ne parla que de l’affaire Dreyfus, car comment parler d’autre chose en ce moment ? Et quel drame dépasse celui-là, en angoisse et en terreur ?... Il n’y avait là que des gens plus ou moins célèbres, et qui font profession de penser : des intellectuels, comme on dit. Aussi, toutes les sottises, toutes les monstrueuses sottises qui furent récitées, je renonce à les raconter. En quelques minutes d’exaltation patriotique, elles eurent vite atteint à la parfaite, à l’inexprimable beauté où, chaque jour, nous les voyons s’élever dans la presse. J’ignore quel sera le résultat de cette tragique et obsédante affaire. Il en est un, pourtant, qui me semble, dès maintenant, acquis : c’est que le journal n’a plus rien à envier à la loge du concierge. Le journaliste a fait tellement sien le potin stupide, venimeux et délateur, qu’il en a, à tout jamais, découronné la face symbolique, la face spécialiste du concierge, gardien de notre porte, et aussi de notre honneur !... Et il n’a pas fallu moins que le grand cri de conscience de M. Émile Zola, il n’a pas fallu moins que sa noble et forte parole pour que, dans le flot d’imbécile boue qui nous submerge, nous nous reprenions à ne pas complètement désespérer de l’utilité et de la générosité de notre profession. Or, hier, chez l’Illustre Écrivain, la conversation, d’abord éparpillée parmi tous les convives, qui avaient hâte d’étaler leur bêtise irréductible et de vomir sur la table ce qu’ils avaient mangé le matin, dans les journaux, se fixa bientôt dans un dialogue entre notre hôte et un jeune poète, qui n’avait pas encore dit un seul mot et qui semblait regarder tous ces gens, autour de lui, avec l’étonnement pitoyable que l’on a devant une assemblée de fous. — Et vous, dit l’Illustre Écrivain, en s’adressant au jeune homme, vous n’avez encore exprimé aucune opinion ?.. Comme tout le monde, vous devez avoir un sentiment... et même une conviction ferme sur ce drame ?... Voyons, que pensez-vous de Dreyfus ? — Je le crois innocent !... répondit le poète avec une douceur simple. Il y eut des cris, des protestations indignées. Quand ils furent calmés, un essayiste, normalien, académicien, fort répandu dans les milieux élégants, demanda, non sans ironie : — Vous avez des tuyaux ? Non, j’ai deux impressions... Et elles me suffisent ! Des impressions ! s’écria l’Illustre Écrivain... Est-ce qu’on a le droit d’avoir des impressions dans une telle affaire ?... Il faut des certitudes ! — Quoi d’autre que des impressions avez-vous donc, vous, pour le croire coupable ? — Une sentence ! prononça l’Illustre Écrivain, sur un ton de mélodrame.
Une sentence !... Elle a été rendue par des hommes ! — Non par des soldats !  , — Ce sont deux fois des hommes !... Une colère monta au visage de l’Illustre Écrivain. Et il dit : Allez-vous donc suspecter le jugement d’un conseil de guerre , — Dieu m’en garde !... Mais les juges peuvent s’être trompés... Qu’ils portent une robe rouge ou un dolman, il arrive, hélas !... il est arrivé que des juges se soient trompés !... — C’est antinational, ce que vous dites là !... C’est monstrueux !... Même ici vous n’avez pas le droit d’exprimer cette opinion !... — Pourquoi n’aurais-je pas le droit d’exprimer ce qui est dans mon esprit et dans mon cœur ? — Parce que... parce que... la justice est au-dessus de tout ! —Ai-je jamais dit le contraire... puisque je pense que la justice est même au-dessus des juges !... Le silence se fit aussitôt sur cette phrase, prononcée d’une voix triste et profonde. Ce fut l’Illustre Écrivain qui le rompit le premier : — Enfin, ces deux impressions... dites-les-nous, poète ! Et il mit, dans ce mot : poète, tout le mépris qu’un psychologue peut avoir contre un imaginatif et un sensible. — Voici !... accepta le poète... Et, pourtant, je me rends bien compte que vous allez rire de moi... mais ma conscience est au-dessus de vos rires... — Comme la justice est au-dessus des juges, n’est-ce pas ? — Si vous voulez !... Simplement, le poète conta :
Dégradation du capitaine Dreyfus, 13 janvier 1895 — Quelques jours après la dégradation de celui que vous appelez le traître Dreyfus, je passais la soirée dans une maison où se trouvait un personnage qui avait joué un rôle considérable dans cette affaire. C’était, vous le pensez bien, le héros de cette soirée... On l’entourait beaucoup... Lui, parlait avec complaisance, et se grisait peu à peu de son succès... À ce moment-là, j’étais, comme tout le monde, absolument convaincu de la culpabilité du capitaine Dreyfus... Eh bien, à mesure que le personnage parlait, cette conviction, peu à peu, s’ébranlait. Un doute possible naissait, grandissait dans mon âme. Il ne disait pourtant rien qui pût changer cette conviction qui était en moi... Ce qu’il racontait, c’étaient plutôt, à tout prendre, des banalités... des choses dites, mille fois redites... Mais comment vous décrire cela ?... À l’expression de son visage, de sa bouche, de ses yeux, au son de ses paroles, qui tintaient faux... cette autre conviction, absolue, de l’innocence de Dreyfus, succédait à celle que, dix minutes auparavant, j’avais de sa culpabilité... Et, quand le personnage eut fini de parler j’allai dans le salon voisin où, rencontrant une dame de mes amies, je lui dis passionnément ! « Je viens d’apprendre une chose horrible ! horrible ! — Et laquelle ?... Vous êtes tout bouleversé. — Je viens d’apprendre que Dreyfus est innocent ! — Oh ! mon Dieu ! Qui vous a dit cela ? Personne. — Mais d’où vous vient cette idée ? — De rien ! Mais je vous jure qu’il est innocent. — Vous êtes fou, mon cher... » Et mon amie éclata de rire... comme vous !... En effet, les rires firent explosion, autour de la table de l’Illustre Écrivain... Suivant l’expression de l’essayiste normalien, académicien, et fort répandu dans les milieux élégants, « on se tordit ». Joseph lui-même, qui, à cet instant précis, présentait à son maître d’incomparable truffes au champagne, lui murmura très bas à l’oreille : « Quels daims que ces poètes ! » Mais le jeune poète gardait, au milieu de ces rires, une physionomie calme et sereine. Il n’en sentait ni l’insulte, ni le ridicule... La tempête passée, l’Illustre Écrivain demanda, avec une politesse ironique : Et votre seconde impression ? Ah ! mon cher, je vous en prie, ne nous en privez pas !...
Le jeune poète répondit : — À vrai dire, cette seconde impression n’est pas une impression... C’est quelque chose de plus. C’est une certitude, cette fois, une certitude humaine... bien que rien ne puisse me donner une certitude plus profond, plus absolue, dans son mystère, que l’impression que je viens de vous confier... Ceci donc s’adresse surtout aux âmes rétives à la vérité intérieure, comme les vôtres... Personne ne se récria. On se disposa même à une joie nouvelle... Il y avat, dans tous les regards, l’attente, la curiosité d’une extravagance. Les yeux étaient fixés sur lui comme sur un pitre qui vient d’entrer en scène, et de qui on espère des tours, des grimaces que l’on ne connaît pas encore. — Allons, parlez ! Nous vous écoutons ! — Comment voulez-vous ? dit le poète avec plus de chaleur dans la voix, qu’un homme comme M. Scheurer-Kestner, un homme de sa grade pureté de vie, de sa valeur morale, de sa situation sociale, un homme de son intelligence, de son héroïsme réfléchi, se soit dévoué à une telle cause, s'il n’avait pas, non seulement la certitude, mais encore les preuves — les preuves, vous entendez — de l’innocence de l’un et de l’infamie de l’autre ? Que peuvent tous les jugements et toutes les sentences d’un conseil de guerre contre cette impression mystérieuse et révélatrice qui me pousse à crier : « Il est innocent ! Il est innocent ! », et contre l’absolue, l’impeccable sécurité que me donne cette chose sacrée : « La conscience d’un honnête homme ! » Cette fois, ce ne furent plus des rires qui couvrirent ces paroles, mais des huées et des hurlements. L’Illustre Écrivain écumait. Il imposa le silence : — Et quand même Dreyfus serait innocent ? vociféra-t-il... il faudrait qu’il fût coupable quand même... il faudrait qu’il expiât toujours... même le crime d’un autre... C’est une question de vie ou de mort pour la société et pour les admirables institutions qui nous régissent ! La société ne peut pas se tromper... les conseils de guerre ne peuvent pas se tromper... L’innocence de Dreyfus serait la fin de tout ! Alors le poète se leva, et il dit : — Je vous parle justice !... Et vous me répondez politique !... Vous êtes de pauvres petits imbéciles !... Et il s’en alla... Octave Mirbeau, Le Journal , 28 novembre 1897. L’Affaire Dreyfus : Interview                                      INTERVIEW Xau est mon directeur, et je l’aime beaucoup. Mais en raison de mon amitié même, j’ai le droit — et je ne m’en suis pas caché — de dire qu’il a commis envers Zola un acte d’inconvenance. Je ne lui reproche pas d’avoir des idées autres que celles de Zola. Je lui reproche seulement de les avoir exprimées sur un ton qui ne convenait pas. Il était tenu à la déférence envers un homme qu’il connaît assez pour savoir que Zola est un grand honnête homme et qu’il ne commet pas « une vilaine action ». Et puis son génie, voilà tout, n’est pas celui de Xau. Octave Mirbeau, L’Aurore , 15 janvier 1898.
L’Affaire Dreyfus : Pétition adressée au Président de la Chambre Les soussignés, frappés des irrégularités commises dans le procès Dreyfus de 1894, et du mystère qui entoure le procès du commandant Esterhazy, persuadés d’autre part que la nation tout entière est intéressée au maintien des garanties légales, seule protection des citoyens dans un pays libre, étonnés des perquisitions faites chez le lieutenant-colonel Picquart et des perquisitions non moins illégales attribuées à ce dernier officier, émus des procédés d’information judiciaire employés par l’autorité militaire, demandent à la Chambre de maintenir les garanties légales des citoyens contre l’arbitraire. Octave Mirbeau et alii , L'Aurore , 16 janvier 1898 L’Affaire Dreyfus : Adresse à Émile Zola                            ADRESSE À ÉMILE ZOLA Les soussignés , appartenant au monde des arts, des sciences et des lettres, félicitent Émile Zola de la noble attitude militante qu’il a prise dans cette ténébreuse affaire Dreyfus, qui dissimule, sinon une iniquité, tout au moins des illégalités, et que le récent jugement du conseil de guerre vient d’enténébrer plus encore. Ils se solidarisent pleinement avec lui, au nom de la justice et de la vérité.
Octave Mirbeau et alii , L’Aurore , 2 février 1898. L’Affaire Dreyfus : Lettre à Georges Bans                                 À Georges Bans Je trouve l’attitude de M. Zola admirable. Et je l’admire sans réserves.
Henry de Groux, Zola aux outrages Remonter le courant des passions déchaînées ; réclamer, seul, contre toute une foule hurlante, la vérité et la justice, voilà, je pense, l’acte de courage le plus rare, et le plus beau qu'il soit donné à un homme d’accomplir. J’ai lu aujourd'hui dans un journal que, à l'instigation de M. Alfred Duquet, la Société des Gens de Lettres, se préparait à expulser Zola « de son sein ». Zola était à peu près le seul écrivain par qui cette bande de mauvais cordonniers se rattachait à la littérature. Ce serait vraiment trop merveilleux, et je n'ose croire à cette bonne nouvelle. Octave Mirbeau, La Critique , 5 février 1898. L’Affaire Dreyfus : Réponse à une enquête sur les tribunaux militaires J'ai toujours retenu cette phrase de Tolstoï : « Quand je songe qu'il existe des hommes qui osent juger des hommes, je suis épouvanté et un grand frisson me prend. »
Or, pensez à ce que doit être le frisson du grand écrivain quand ces hommes – qui osent juger des hommes – sont, par surcroît, des militaires ! J'ai connu ce frisson, moi aussi. Je ne conçois donc qu'une réforme à apporter dans le fonctionnement des tribunaux militaires : leur suppression. Vous voyez que c'est une réforme radicale. Et, dans mon désir d'absolu, j'en dirais bien autant de tous les autres tribunaux. Car, le jour où il n'y aura plus de juges – militaires ou civils – rien ne s'opposera désormais à ce que la justice descende, enfin sur la terre. Octave Mirbeau, L'Aurore , 8 février 1898. L’Affaire Dreyfus : Lettre à Eugène Azémar
Émile Zola Vous avez donné un bel exemple de fraternité littéraire . Il était juste d'ailleurs que toute la jeunesse littéraire envoyât à M. Émile Zola l'hommage de son admiration et de son enthousiasme, puisque c'est M. Émile Zola qui est aujourd'hui notre conscience et notre honneur. Octave Mirbeau, L'Essor , mars 1898. L’Affaire Dreyfus : Lettre à Fernand Xau
Émile Zola, J'accuse , 13 janvier 1898 Mon cher Xau, Vous le savez, puisque je me suis plusieurs fois clairement exprimé avec vous : j'ai pour Émile Zola la plus ardente amitié ; pour son œuvre, la plus ardente admiration ; pour son acte de vérité et de justice, la plus ardente foi. Mais je n'ai pas signé cette protestation dont parle M. Ajalbert. Octave Mirbeau, Le Journal , 5 mars 1898 L’Affaire Dreyfus : Trop tard                                     TROP TARD ! Il n’y a plus de doute. La lumière qui, chaque jour jaillit par les fentes du boisseau les affole. Et les voici acculés à l’aveu ou à la violence. Il faut qu’ils choisissent.Pas d’autre alternative, désormais — car ils ne comptent plus, j’imagine, nous imposer le silence — que celle-ci : ou confesser leur crime, ou bien frapper. La confession publique d’un mâle suppose de la noblesse, de l’héroïsme, de la grandeur d’âme. Ils frapperont donc. C’est plus facile et cela convient mieux à leur genre de beauté morale. D’ailleurs, tout les y pousse. Le meurtre est dans l’air. Voilà huit mois qu’on prêche l’assassinat, au nom de la Patrie, qu’on l’exalte, qu’on le glorifie au nom de Dieu ! Le soldat l’appelle et le moine le bénit. Il a conquis la rue ; il domine les prétoires de justice et les temples de religion, hurlé dans la presse, protégé par toutes les puissances gouvernementales, sociales et divines. Et les bandes sont là, prêtes à se ruer sur quiconque osera encore affirmer un idéal, opposer la vérité au mensonge, le droit au crime, crier la justice !
Ce n’est pas un cauchemar ; c’est bien la réalité. L’autre jour, à Versailles, j’entendais les généraux causer entre eux. On ne peut pas dire qu’ils conspiraient et que je les espionnais. Ils parlaient très haut, car à quoi bon se gêner, à quoi bon dissimuler des sentiments avoués, devenus publics et que tout encourage ! — Il faut cogner, disait l’un. — Tant qu’on n’aura pas cogné, nous en serons toujours au même point, disait l’autre. — Oh ! si l’on avait cogné il y a six mois !... regrettait un troisième. Et le quatrième – car ils étaient quatre – s’impatientant : — Quand donc cognera-t-on, à la fin ? Dans les tribunes, deux officiers se montraient le général Billot, assis au banc des témoins. Et telle fut – ô respect de l’armée ! – leur conversation : C’est ce misérable qui est la cause de tout ! — Un traître ! — Un bandit ! — Un vendu ! — Il faudrait le pendre ! — Le fusiller ! S’il était venu déclarer à la tribune : « Eh bien oi, Dreyfus a été illégalement, mais justement condamné !... C’est par ordre et je m’en  vante !... Maintenant, qu’on nous fiche la paix ! ... Et le premier intellectuel qui bouge, nous cognons dessus !... » Il n’y aurait plus rien ! — Parbleu ! on aurait cogné... Et tout serait fini aujourd’hui ! — Enfin, qu’attend-on pour cogner ? — Il faudra bien finir par cogner ! Cogner !... Cogner !... Cogner !... On n’entendait que ce mot bref, héroïque et fraternel... C’était, je vous assure, d’une grande beauté humaine. Et ils cognèrent.. Qui donc les arrêterait de cogner ?
Félix Faure, Président de la République Est-ce M. Félix Faure qui, dans sa vanité imbécile de cercleux parvenu, ne veut pas comprendre qu’il sera la première victime de la révolution militariste, et qu’on le chassera, à coups de sabre, de cet Élysée où il croit pouvoir e maintenir par la force du mensonge et de l’iniquité ? Est-ce M. Brisson qui a tout abandonné, tout renié, tout trahi, tout livré, et qui, de concession en concession, de recul en recul, de chute en chute, en arrivera fatalement à mettre de la proscription, de l’exil et du sang sur sa honte ? Est-ce M. Bourgeois qu, sous le règne du démocrate Cavaignac, non content de chasser la justice de ses actes, en veut rayer le mot du langage de France et qui, sans hésitation, avec cette élégance si moderne qu’on lui connaît, sacrifie à la haine insatiable des prédicateurs de meurtre, les plus nobles parmi les hommes de notre pays ? Est-ce la Chambre, qui a donné toute la mesure de son aplatissement... la Chambre, réunion d’esclaves trembleurs et de pâles affranchis, qui, du premier jour, s’est vouée au mépris unanime comme ses votes, au mépris de ceux-là mêmes aux pieds de qui elle apporta sa soumission... la Chambre qui a marqué, elle-même, la place où viendra l’atteindre le coup de botte du dictateur triomphant ? Est-ce le peuple, troupeau aveugle, indolent bétail, à qui les larges saignées n’ont rien appris et qui, roulé de Boulange en Cavagne, de pitres en bourreaux, machine à bulletin, chair à menaces, se laisse mener, ô Pellieux, à ta boucherie, comme toujours ? Est-ce la loi ?... Il n’y a plus de loi !... Est-ce le juge ?... Il n’y a plus de juge !... Qui donc les arrêterait ? Ils sont les maîtres, et l’heure est venue... Et Le Gaulois  qui, parmi les excitateurs de révolte et les conseilleurs d’assassinat, se montra le plus cynique et le plus violent l’a proclamé : « Il faut que cela finisse dans la rue. » Traduisez : « Il faut proscrire, assommer, mitrailler ceux qui pourraient nous gêner dans l’exercice de nos petits talents de société. » Ils sont les maîtres, et ils e croient couverts par la France, car la France, pour eux c’est cette bande salariée de deux mille coupe-, jarrets et camelots qui la terrorisent de leurs hurlements sauvages et de leurs cris de mort... Soldats en casquette des Drumont et des Meyer, porte-litière des Rochefort et des Déroulède, sacristains des Du Lac et des Didon, ils ne crient que parce que nous nous taisons, ils ne sont forts que de notre silence. Est-ce que vraiment nous allons nous laisser fermer la bouche et tordre le cou par ces mercenaires du crime, auxquels se joignent, par ordre, les ordinaires policiers préparateurs de guerre civile, amorceurs de coups d’État ? Est-ce qu’il ne va pas se lever, enfin, du fond des consciences indignées, un cri immense de protestation ? Est-ce que, de tous les coins de la France, professeurs, philosophes, savants, écrivains, artistes, tous ceux en qui est la vérité, ne vont pas, enfin, libérer leur âme du poids affreux qui l’opprime ? Est-ce qu’ils peuvent continuer à vivre dans cette angoisse perpétuelle, dans ce remords, dans ce cauchemar de n’oser pas crier leur certitude et confesser leur foi ?... Et devant ces coups quotidiens portés à leur génie, à leur humanité, à leur esprit de justice, à leur courage, ne vont-ils pas, enfin, comprendre qu’ils ont un grand devoir... celui de défendre le patrimoine d’idées, de science, de découvertes glorieuses, de beauté, dont ils ont enrichi le pays, dont ils ont la garde et dont ils savent pourtant bien ce qu’il en reste quand les hordes barbares ont passé quelque part !... Les dragons de Bonaparte, entrant au couvent des grâces, souillent du crottin de leurs chevaux, puis crèvent et détruisent à coups de brique et à coups de sabre la grand fresque de Léonard de Vinci, La Cène . On frappe les Andrade, les Grimaux, les Stapfer, parce que leurs protestations sont isolées et qu’on espère ainsi, par la terreur, arrêter l’élan des autres. Mais que, de toutes parts, les consciences libres, les âmes généreuses se lèvent et qu’elles parlent, hardiment... et ni les Brisson, ni les Bourgeois, ni les Cavaignac n’oseront passer outre à ces grandes voix enfin écoutées... Et vous verrez le cheval noir de la guerre civile broncher, comme un vieux cheval de fiacre, au seuil du temple, où vous aurez rallumé la lampe sacrée... — J’entends bien !... me disait un brave homme qui était venu me conter ses angoisses... mais rien ne nous presse... Il faut attendre encore... Plus tard !... Trop tard !...
Octave Mirbeau, L’Aurore , 2 août 1898
L’Affaire Dreyfus : À un prolétaire On t’a dit : — Cette affaire Dreyfus ne te regarde pas et tu n’as rien à y voir. Que t’importe l’injustice dont Dreyfus est victime ? Que t’importe qu’il agonise de douleur et de rage, là-bas, dans son île ? S’il n’a pas commis le crime dont on l’accusa et pour lequel il fut condamné à la plus atroce des tortures, tant pis... Il en a commis d’autres envers toi, et de plus impardonnables... ceux d’être un riche, un officier, un éternel ennemi, par conséquent. Il expie tout cela, aujourd’hui. Cette injustice, par rapport à lui, devient une justice par rapport à toi... Tout est bien... Passe ton chemin, prolétaire, et si le cœur t’en dit, passe en chantant.
Jules Guesde C’est M. Guesde qui t’apporte ce généreux conseil, et M. Guesde s’y connaît. C’est un logicien implacable, à ce qu’on prétend et il a une belle barbe. À toutes les indignités sociales qui vouent Dreyfus, sinon à ta haine – car on te permet de ne pas le haïr –, du moins à ton indifférence, M. Guesde, pour un peu, eût ajouté celle-ci, que, étant juif par surcroît, Dreyfus ne saurait mériter ta pitié . Ne sondons pas trop avant les raisons de M. Guesde, elles ne sont peut-être pas très pures. M. Guesde te dit encore, ou à peu près, ceci : — Mais considère tous ces gens qui défendent Dreyfus... Il y a Trarieux, sous le ministère de qui furent votées ces fameuses lois scélérates qui vous reléguaient un homme aux marais putrides de la Guyane, en un rien de temps... Il y a Reinach qui, jadis, ne parlait, lui aussi, que de proscrire, fusiller, guillotiner... Il y a Scheurer-Kestner, un patron d’usines !... Et les autres ?... Il y a bien Zola, qui est révolutionnaire, sans doute, mais pas selon l’Évangile de Karl Marx, en qui règne la vérité unique, et que je représente !... Ce qu’ils défendent en Dreyfus, ce n’est même pas Dreyfus innocent, c’est, les uns, une caste sociale, dont tu n’es pas, les autres, une race qui n’est pas la tienne... ceux-là, enfin, un méprisable idéal de littérateur où tu ne comptes pour rien, où tu n’es qu’un décor illusoire. Est-ce qu’ils te défendent, toi ?... Est-ce qu’ils te connaissent seulement ? Quand, misérable et anonyme soldat, tu pourrissais dans les silos d’Afrique, quand, pour un mot, pour un geste, pour rien, on te traînait devant les conseils de guerre, et qu’on te ligotait au poteau, est-ce qu’ils ont protesté ?... Quand on te pourchassait et qu’on te tuait à Montceau-les-Mines et à Fourmies , où étaient-ils donc ?... Ils t’ignorent... Fais comme eux... Ignore-les aussi... Et passe ton chemin. Et tu n’as pas songé en toi-même : — Les hommes sont des hommes après tout... Et c’est toujours la même histoire... Au pouvoir, leur œuvre est mauvaise, contre le pouvoir, elle est souvent admirable... Profitons-en... Que m’importe d’où vient la parole de justice, si elle vient, et si elle retentit, en moi, et dans les autres, pour le bien de l’humanité ?... Est-ce que je vais demander ses papiers à qui me console et me réconforte ? Non, tu n’as songé à rien de tout cela, et, comme le voulait M. Guesde, tu as passé ton chemin, sans écouter aucune de ces voix qui te parlaient, pourtant, un langage noble, fier et humain, et comme tu n’en entendis jamais sortir de la bouche de M. Guesde. Indifférent, d’abord, tu répondais à ceux qui s’inquiétaient, cette leçon apprise : « Moquons-nous de ce qu’ils font et disent... Ce sont des bourgeois qui se battent entre eux. Ce n’est pas notre affaire. » Puis, ton atavisme de servitudes reprenant le dessus, je t’ai  entendu, hier, qui proclamais « Oui, faut pas être un homme ! Faut être un fameux lâche pour crier : Vive Zola.... Tas de gourdes ! » Et, demain, peut-être, au nom de la belle logique de M. Guesde, tu feras cortège à Judet, digne acolyte d’Esterhazy. Eh bien, tu commets un véritable crime, toi aussi, non seulement envers un malheureux qui souffre, mais envers toi-même, car vous êtes solidaires l’un de l’autre. L’injustice qui frappe un être vivant – fût-il ton ennemi – te frappe du même coup. Par elle, l’Humanité est lésée en vous deux. Tu dois en poursuivre la réparation, sans relâche, l’imposer par ta volonté, et, si on te la refuse, l’arracher par la force, au besoin. En le défendant, celui qu’oppriment toutes les forces brutales, toutes les passions d’une société déclinante, c’est toi que tu défends en lui, ce sont les tiens, c’est ton droit à la liberté, et à la vie, si précairement conquis, au prix de combien de sang ! Il n’est donc pas bon que tu te désintéresses d’un abominable conflit où c’est la Justice, où c’est la Liberté, où c’est la Vie qui sont en jeu et qu’on égorge ignominieusement, dans un autre. Demain, c’est en toi qu’on les égorgera une fois de plus...
Et puis, regarde où cette affaire Dreyfus nous a amenés les uns et les autres. Aujourd’hui, elle surpasse le malheur effroyable d’un innocent. En se généralisant, et par tout ce que nous avons découvert de mensonges accumulés sur des infamies, elle est devenue une question de vie ou de mort pour tout un peuple. C’est de l’histoire, et ton histoire qui se fait en ce moment. Grâce à elle, nous sentons que l’armée est mortellement atteinte – non dans son principe de défense nationale, où nous ne pouvons que la fortifier –, mais dans les antiques et tyranniques formes de sa constitution, qui ne cadrent plus avec nos libertés modernes, avec les nouvelles expansions de nos mœurs publiques. Non seulement l’armée, telle qu’elle est restée, n’est plus une sauvegarde, elle est un péril... Qui donc l’acclame aujourd’hui ? Les césariens, qui ne rêvent que d’émeutes sanglantes. Sur qui s’appuie-t-elle ? Sur les antisémites, qui ne rêvent que de pillage. Lorsque quelqu’un, en ces jours de folie furieuse, hurle « Vive l’armée ! », il hurle en même temps « Mort à quelque chose ! » Ces deux cris sont, désormais, associés dans les mêmes bouches. Ils ne font qu’un. Ouvertement, admirativement, ceux qui applaudissent l’armée nous la représentent prête au massacre, impatiente de tueries . Elle est devenue le point de ralliement de toutes les haines sauvages, de tous les appétits barbares, de toutes les violences insurgées. Volontairement ? Je ne veux pas le dire... Totalement ? Certes. Et c’est encore au nom de l’armée, que, dans les rues de Nantes, où semble renaître l’ombre du hideux et sanguinaire Carrier , de déshonorantes brutes outragent, poursuivent, lapident, menacent de mort, un grand et admirable savant, gloire de la France et de l’humanité ... Que penses-tu de cela, toi, Sully-Prudhomme ?... Et ne trouves-tu pas que la Justice ait suffisamment étendu son ressort, en attendant que la guillotine détende le sien, sur ta nuque ? Nous en sommes arrivés à ce moment décisif où il faut que ce soit l’armée – je dis l’armée, puisqu’il est convenu que l’armée se résume exclusivement en ses grands chefs – qui subisse la loi d’adaptation au milieu nouveau dans lequel nous évoluons , ou que ce soit nous qui nous soumettions à la domination factieuse de l’armée. Eh bien, nous ne nous soumettrons pas, ça, je le dis ! La résistance sera longue, peut-être ; peut-être se produira-t-il de terribles convulsions sociales, comme il se produit de grands remous sur la mer, alors que sombre un transatlantique désemparé ; peut-être, aussi, en coûtera-t-il à beaucoup d’entre nous leur liberté , et au train dont vont les choses, leur vie. Il n’importe... Dès à présent, la vieille armée des mercenaires est vaincue... Place à l’armée nationale Et vois encore combien tu es injuste et mal-prévoyant.
Jean Jaurès Grâce à l’affaire Dreyfus, dont M. Guesde te supplie de te désintéresser, on s’occupe de toi davantage, on t’aime un peu plus. Certes, dans le tumulte des intérêts et des passions, tu étais toujours oublié. Tu étais si petit, si petit, qu’on n’apercevait pas souvent, dans la mêlée, ta face de douleur et de misère... Aujourd’hui, elle apparaît mieux, sur la face lointaine de l’autre... Les cris du pauvre damné font mieux entendre les tiens... De tous côtés, on dénonce les abus de pouvoir, les injustices, les férocités, les crimes, dont tu es, sans cesse, la victime... Et, en quelques mots, voici, arrachés au poteau des conseils de guerre, quatre de tes frères, qui eussent subi l’infâme supplice... C’est au martyre de Dreyfus qu’ils doivent de vivre encore... Tout cela n’est pas beaucoup, soit... Il ne tient qu’à ton courage, à ta ténacité, à ton intelligence d’avoir davantage... Ne passe plus ton chemin, prolétaire... Arrête-toi... Tends l’oreille aux voix douloureuses, aux voix enfermées, aux voix suppliciées, qui te viennent, à travers la mer, du fond de la vérité en deuil et de la justice en exil ! Tu sentiras ton cœur se gonfler d’une pitié fraternelle. Et la pitié est féconde ! Et écoute Jaurès... C’est un grand logicien, lui aussi, et c’est un grand poète, un grand apôtre, une grande Parole, et une grande Âme de Justice !... Il te dira pourquoi tu peux, pourquoi tu dois crier ardemment et sans remords : — Vive Zola !... Octave Mirbeau, L’Aurore , 8 août 1898 L’Affaire Dreyfus : Après dîner
                                   APRÈS DÎNER
Paul Bourget, l'Illustre Écrivain Quelques amis se trouvaient, un soir, réunis chez un de nos plus célèbres écrivains. Ayant copieusement dîné, ils disputaient sur le meurtre, à propos de je ne sais plus quoi, à propos de rien, sans doute. Il n'y avait là que des hommes, des moralistes, des poètes, des philosophes, des médecins, tous gens pouvant causer librement, au gré de leur fantaisie, de leurs manies, de leurs paradoxes, sans crainte de voir, tout d'un coup, apparaître ces effarements et ces terreurs que la moindre idée un peu hardie amène sur le visage bouleversé des notaires – je dis notaires comme je pourrais dire journalistes ou portiers, non pas par dédain, certes, mais pour préciser un état moyen de la mentalité française. Avec un calme d'âme aussi parfait que s'il se fût agi d'exprimer une opinion sur les mérites du cigare qu'il fumait, un membre de l'Académie des sciences morales et politiques dit : – Ma foi !... je crois bien que le meurtre est la plus grande préoccupation humaine, et que tous nos actes dérivent de lui. On s'attendait à une longue théorie ; il se tut. – Évidemment, prononça un savant darwinien... Et vous émettez là, mon cher, une de ces vérités éternelles, comme en découvrait tous les jours le légendaire M. de La Palisse... puisque le meurtre est la base même de nos institutions sociales, par conséquent la nécessité la plus impérieuse de la vie civilisée... S'il n'y avait plus de meurtre, il n'y aurait plus de gouvernements d'aucune sorte, par ce fait admirable que le crime en général, et le meurtre en particulier sont, non seulement leur excuse, mais leur unique raison d'être. Nous vivrions alors sans code, sans tribunaux, sans gendarmes, en pleine anarchie, ce qui ne peut se concevoir... Aussi, loin de chercher à détruire le meurtre, est-il indispensable de le cultiver avec intelligence et persévérance... Et je ne connais pas de meilleur moyen de culture que les lois. Un médecin répliqua : – Le meurtre se cultive suffisamment de soi-même... et je ne crois pas qu’il y ait lieu de le traiter par des moyens intensifs. À proprement dire, il n'est pas le résultat de telle ou telle passion, ni la forme pathologique de la dégénérescence. C'est un instinct vital qui est en nous, qui est dans tous les êtres organisés et les domine, comme l'instinct génésique... Et c'est tellement vrai que, la plupart du temps, ces deux instincts se combinent si bien l'un par l'autre, se confondent si totalement l'un dans l'autre, qu'ils ne font, en quelque sorte, qu'un seul et même instinct, et qu'on ne sait plus lequel des deux nous pousse à donner la vie et lequel à la reprendre, lequel est le meurtre et lequel est l'amour. J'ai reçu les confidences d'un horrible assassin qui tuait les femmes. Son sport était que le spasme de plaisir de l'un concordât exactement avec le spasme de mort de l'autre : « Dans ces moments-là, me disait-il, je me figurais que j'étais un Dieu et que je créais le monde ! » – Ah ! s'écria le célèbre écrivain... Si vous allez chercher vos exemples chez les professionnels de l'assassinat ! Il n’est pas possible que vous appliquiez les mêmes observations aux esprits cultivés, aux natures policées, aux individualités mondaines, dont chaque heure de leur existence se compte par des victoires sur l’instinct originel, et sur les persistances sauvages de l’atavisme. À quoi notre médecin répondit : Permettez... Quels sont les habitudes, les plaisirs préférés de ceux-là que vous appelez mon cher, « des esprits cultivés et des natures policées » ?... L'escrime, le duel, les sports violents, l'abominable tir aux pigeons, les courses de taureaux, les exercices variés du patriotisme, l’antisémitisme, la chasse... toutes choses qui ne sont, en réalité, que des régressions vers l'époque des barbaries primitives où l'homme – si l'on peut dire – était, en culture morale, pareil aux grands fauves qu'il poursuivait... Il ne faut pas se plaindre, d'ailleurs, que la chasse ait survécu à tout l'appareil de ces mœurs ancestrales... C'est un dérivatif puissant, par où les « esprits cultivés et les natures policées » écoulent, sans trop de dommages pour nous, ce qui subsiste toujours en elles d'énergies destructives et de passions sanglantes. Sans quoi, au lieu de courre le cerf, de servir le sanglier, de massacrer d'innocents volatiles dans les luzernes, soyez assuré que c'est à nos trousses que les « esprits cultivés » lanceraient leurs meutes, que c'est nous que les « natures policées » abattraient joyeusement, à coups de fusil, ce qu'elles ne manquent pas de faire, quand elles ont le pouvoir, d'une façon ou d'une autre, avec plus de décision et, reconnaissons, avec moins d'hypocrisie que les brutes... Oh ! ne souhaitons jamais la disparition du gibier de nos plaines et de nos forêts !... Il est notre sauvegarde et, en quelque sorte, notre rançon... Le jour où il disparaîtrait tout d'un coup, nous aurions vite fait de le remplacer, pour le délicat plaisir des « esprits cultivés »... L'affaire Zola nous en est un exemple admirable... Jamais, je crois, la passion du meurtre et la joie barbare de la chasse à l'homme, ne s'étaient manifestées aussi complètement et avec tant de cynisme... Parmi les incidents extraordinaires et les faits monstrueux, auxquels, quotidiennement, depuis une année, elle donna lieu, celui de la poursuite de M Grimaux, dans les rues de Nantes, reste le plus caractéristique, tout à l'honneur des « esprits cultivés » et des « natures policées », qui firent couvrir d'outrages et de menaces de mort, ce grand savant à qui la France doit les plus beaux travaux sur la chimie... Il faudra toujours se souvenir de ceci que le maire de Clisson, « esprit cultivé », dans une lettre rendue publique, refusa l'entrée de sa bonne ville à M. Grimaux, et regretta que les lois modernes ne lui permissent point de « le pendre haut et court », comme il advenait des savants, aux glorieuses époques des anciennes monarchies !... De quoi, cet excellent maire, « esprit cultivé », fut fort approuvé par tout ce que le nationalisme compte de « natures policées », et de ces « individualités mondaines », si exquises, lesquelles, au dire de notre hôte, remportent, chaque jour, d'éclatantes victoires sur l'instinct ori inel et les ersistances sauva es de leur atavisme... Remar uez en outre ue c'est chez ces
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