L'ayatollah ou la grande peur de l'occident - article ; n°1 ; vol.14, pg 43-64

Marie Claireviguier, Françoise Morin

Description

Langage et société - Année 1980 - Volume 14 - Numéro 1 - Pages 43-64
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: LANGAGE_ET_SOCIETE
• Publié le: 01 janvier 1980
• Nombre de lectures: 12
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Marie-Claire Viguier
Françoise Morin
L'ayatollah ou la grande peur de l'occident
In: Langage et société, n°14, 1980. pp. 43-64.
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Viguier Marie-Claire, Morin Françoise. L'ayatollah ou la grande peur de l'occident. In: Langage et société, n°14, 1980. pp. 43-64.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1980_num_14_1_1272Tu as brisé ma cruche de vin, mon Dieu !
Tu as fermé sur moi la porte de la joie, mon Dieu !
C'est moi qui bois, et c'est toi qui commet les désordres de 1 'ivresse
Oh! serais-tu ivre, mon Dieu ?
Omar KHAYYAM, lie siècle
L ' AYATOLLAH
ou
LA GRANDE PEUR DE L'OCCIDENT
Marie-Claire VIGUIER
Françoise MORIN
Au cours de l'année 1978 les Français apprenaient l'existence d'un
nouveau mot en découvrant la présence à Neauphle-le-Château d'un dignitaire
religieux iranien en exil, l'ayatollah Khomeiny.
Connu alors des seuls spécialistes de l'Islam, le terme ayatollah,
sous le poids des événements politiques et des media qui les véhiculaient,
est devenu en moins d'un an banalisé et associé bien souvent à certaines
formes idéologiques fascisantes, voire à tout comportement individuel quel
que peu intolérant.. On traite en effet d' "ayatollah" toute personne qui
se montre autoritaire.
Mais la dérision recouvre très souvent une peur latente motivée
par des risques de guerre ou de graves problèmes économiques dus notamment
au manque d'énergie. Le président Giscard d'Estaing offrant ses voeux aux
Français à l'entrée de 1980 objective dans son discours ces peurs et ris
ques latents : " .. dans ce monde dangereux, à un moment où l'on voit flam
ber le prix du pétrole et de l'or .. 1980 nous apportera-t-il la paix ou
la guerre ?.. Le danger de guerre existe. Nous vivons dans une de ces pé
riodes où l'équilibre du monde repose sur la capacité de sang-froid de - - 44
quelques hommes " ( le MONDE, 2.1.80 ). Parmi ces hommes responsables des
grandes tensions internationales, figure l'ayatollah Khomeiny .
Aussi était-il intéressant, à l'aide d'une enquête protective, de
recueillir les réactions sur ce personnage, de connaitre les images véhi
culées sur l'ayatollah, symbole de désordre mais aussi d'une culture, d'une
religion et d'une idéologie différentes .
CONDITIONS DT ENQUETE
En janvier 1980, 27 étudiants d'ethno-sociologie ( 1er cycle ) à
l'Université de Toulouse le Mi rail ont chacun posé à une vingtaine de
personnes la question suivante :
" Quand on vous dit AYATOLLAH à quoi pensez-vous ? "
tout en ayant soin de relever le sexe, l'âge, la nationalité et la profes
sion des sujets . 378 réponses ont été retenues . Les seuls quotas imposés
et fidèlement observés ont été le sexe ( 50 % d'hommes et de femmes ), et
pas plus de 10 % d'étudiants . L'enquête s'est déroulée à Toulouse et dans
son agglomération ( d'où la faible proportion de paysans ) et dans les
lieux publics ( d'où la large représentation de la classe moyenne au détri
ment de la classe ouvrière ) . L'âge médian se situe vers 40 ans .
Pour les étudiants qui expérimentaient dans certains cas pour la
première fois le terrain les difficultés ont été assez grandes . Beaucoup
de gens étaient surpris, déroutés par cette seule question . Ils réagissaient
sur trois modes .
1 . une attitude distanciée
Comme pour toute enquête d'opinion un certain nombre de sujets
jugent inutile de répondre . Je n'en ai jamais entendu parler, de toute
façon je ne m'occupe pas de politique . - C'est pas mon affaire, qu'ils
se débrouillent . - II y a beaucoup de choses plus urgentes à faire .
Ou bien ils se sentent démunis pour répondre : je ne connais pas bien
l'Islam . Les femmes en particulier éprouvent une certaine gêne et s'es
quivent parce que la politique n'est pas de leur compétence : mon mari
saura répondre . - - 45
La réponse est parfois teintée d'agressivité : tous les chefs
d'Etat de n' importe quel pays se valent . On devrait les entasser dans un
avion et en plein air les laisser tomber , ou d'ironie : je pense à Coca-
Cola, - à Gros-Minet, - à HAMBURGERS SANDWICHS, le film gui fait marrer
plus d'un ayatollah . Ce refus peut être la résistance à une intrusion .
2 . une attitude affective
La réaction affective combine la peur et l'agressivité. La peur est
liée au danger qui peut nous atteindre : il risque de créer un conflit ; je
crois que c'est un fanatique et je le crains .
Les plus agressifs ne se bornent pas à dire que l'Ayatollah doit
être placé hors d'état de nuire : mise à la retraite, enfermement dans un
asile , mais imaginent des supplices variés : le torturer, le fusiller, le
pendre, le brûler ( en souvenir de l'Inquisition ? ) . Un humoriste propose
de l'hiberner , car il devrait savoir qu'on n'est plus au Moyen-Age, mais
plutôt au XXe siècle . L'hibernation ayant pour but d'aller vers le futur,
il faudrait parler de machine à remonter le temps . Par un court-circuit
analogique, l'Ayatollah devient un hiberné venu du Moyen-Age .
Quelques réactions xénophobes : c'est un iranien qui est venu bouf
fer son pain en France pendant dix ans .
3 . une attitude rationnelle
Nombre d'enquêtes s'efforcent de paraître raisonnables, et remar
quent la difficulté de juger en tant qu'Européens , appartenant à une
autre culture . Il est difficile de trancher . Khomeiny est-il ce person
nage odieux que nous dépeignent souvent les journaux, ou le héros du peuple
iranien ? Ce genre de réponse peut masquer une angoisse refoulée, l'évoca
tion d'un danger suivant immédiatement le début neutre du discours : en tout
cas c'est un personnage assez dangereux dans ses réactions, qui ne connait
rien à la diplomatie et au droit international . - - 46
' AYATOLLAH QUATRE IMAGES DE L
A la lecture des réponses, et à l'examen des schémas dont nous par
lerons ensuite, se détachent quatre images de l'Ayatollah auxquelles corres
pondent quatre groupes tendanciels de sujets . En d'autres termes il s'agit
d'une typologie selon laquelle on peut répartir les répondants, chacun ayant
- en termes statistiques - une probabilité plus ou moins forte d'appartenir à
tel type . Ces images sont :
- le dictateur
- le fou
- le religieux au pouvoir
- 1' anti-impérialiste .
La peur de guerre est liée aux deux premiers types, la révolution
aux deux derniers .
1 . le DICTATEUR
Ce thème apparait 88 fois ( un quart environ ) . Il est le plus
clos sur lui-même . Evoquer Hitler ( 17 fois ), Franco ( 5 fois ), ou en
core Bokassa, Amin Dada, Staline ou Bonaparte, dispense d'entrer dans le
détail d'une analyse . C'est un véritable Hitler, fasciste - ça me fait
penser à Hitler : dominer, toujours dominer, pour une religion - Khomeiny,
c'est l'Hitler de l'Iran . Quelques nuances pourtant : un Hitler en puis
sance - ce n'est pas Hitler, disons qu'il est comme Franco .
La dictature s'explique par la religion gui n'engendre que des
dictatures/ par la volonté de puissance , un dictateur comme le précédent,
avide de pouvoir, par la folie, un dictateur, fou habile, par le double
jeu, un dictateur déguisé en libéral, par l'idéologie, c'est un fasciste
lui aussi ; Franco, Hitler, idéologies qui font payer cher 1 'humain . Est-
il à rapprocher de Bokassa : un fou sanguinaire ? La dictature engendre
le charisme : comme tous les tyrans, il a un immense pouvoir sur les faibles.
Quelques admirateurs imprévus : il a un côté attachant, il sait
faire régner l'ordre, dit une ouvrière de la confection, d'une entreprise
où se déroule une lutte contre le licenciement collectif de tout le personnel.
Et cet étonnant fantasme : il mène son peuple à la baguette, il est fort. - - 47
courageux, mais il me fait peur car je n'aime pas les barbus .
Pourtant les traits classiques de la dictature n'apparaissent pas
clairement en Iran et quelques enquêtes le remarquent : il ne contrôle
pas grand 'chose - il est complètement dépassé - il ne restera pas long
temps au pouvoir .
2 . le FOU
Le thème de la folie est li