L échec de l occidentalisation - article ; n°100 ; vol.25, pg 881-892
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L'échec de l'occidentalisation - article ; n°100 ; vol.25, pg 881-892

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Description

Tiers-Monde - Année 1984 - Volume 25 - Numéro 100 - Pages 881-892
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 37
Langue Français

Extrait

Serge Latouche
L'échec de l'occidentalisation
In: Tiers-Monde. 1984, tome 25 n°100. pp. 881-892.
Citer ce document / Cite this document :
Latouche Serge. L'échec de l'occidentalisation. In: Tiers-Monde. 1984, tome 25 n°100. pp. 881-892.
doi : 10.3406/tiers.1984.4382
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1984_num_25_100_4382DE L'OCCIDENTALISATION L'ÉCHEC
DU MONDE
par Serge Latouche*
« La plus formidable machine à produite est
pour cela même la plus effrayante machine à dé
truire. Races, sociétés, individus, espace, nature,
forêt, sous-sol : tout doit être utile, tout doit être
utilisé, tout doit être productif, d'une product
ivité poussée à son régime maximum d'in
tensité. »
Pierre Clastres,
Recherches d'anthropologie politique,
Paris, 1980, Le Seuil.
Lorsque Ahmed le doré, sultan de Marrakech, tout fier de son nou
veau palais couvert de marbre et d'or, surnommé « El Bedi » (la merv
eille), le fit visiter à son bouffon et lui demanda ce qu'il en pensait, celui-ci
répondit : « Quand il sera démoli, il fera un gros tas de terre. » Moins
d'un siècle plus tard, la dynastie saadienne était remplacée par les
Alaouites, et Moulay Ismaïl réalisait la prédiction...
Si les princes de ce monde avaient gardé suffisamment d'humour
pour avoir des bouffons, ceux-ci pourraient être tentés de dire devant le
spectacle de l'industrialisation du Tiers Monde : « Ça fera un gros tas de
ferraille. »
L'occidentalisation n'est, ďune certaine façon, que « l'habillage »
culturel de l'industrialisation, mais l'occidentalisation du Tiers Monde
risque d'être une déculturation, c'est-à-dire une destruction pure et
simple des structures économiques, sociales et mentales traditionnelles,
pour n'être remplacée à terme que par un gros tas de ferraille destiné à la
rouille. L'interrogation porte donc sur le risque d'une double impasse :
l'impasse industrielle et l'impasse sociétale. Les deux échecs n'en feraient
d'ailleurs qu'un : le rejet de la greffe « occidentalisation ».
* Université de Lille II et iedes, Paris I.
Revue Tiers Monde t. XXV, n° 100, Octobre-Décembre 1984 тм — 30 882 SERGE LATOUCHE
La question soulevée est immense, complexe et surtout multiforme.
Les réponses qu'on peut y apporter nous semblent dépendre pour partie
des définitions conceptuelles que l'on donne aux termes clefs (tels :
culture, acculturation, déculturation, industrialisation, occidentalisation
et développement). Elles dépendent aussi et surtout des options implic
ites adoptées concernant les présupposés théoriques et philosophiques
qui commandent le système de définition. Ces alternatives nous paraissent
être les suivantes :
— le développement est-il une histoire ou un système ?
— la technique est-elle un instrument innocent d'efficience ou un
moyen de domination ?
— y a-t-il unité culturelle de l'humanité et une seule ligne d'évolution,
ou y a-t-il une diversité irréductible et un pluralisme nécessaire des
trajets possibles et de leurs aboutissements (si tant est qu'on puisse
parler d'aboutissement...) ?
On peut considérer comme acquis que : Premièrement, ces questions
sont bien celles qui commandent la réponse au problème dont on
débat ; Deuxièmement, ces questions ne sont pas du type de celles qu'une
expérience cruciale (experimentům crucis) pourrait trancher. La tâche du
savant n'étant pas d'imposer ses propres préférences, elle doit mettre
en lumière les significations et les enjeux de ces questions.
L'expérience, par contre, nous permet de constater que l'industria
lisation, quels que soient les jugements de valeur que l'on peut, par
ailleurs, porter sur elle, a un rôle extraordinairement destructeur face à
la société et la socialite traditionnelles. Le constat minimum qui peut
faire unanimité est qu'elle bouleverse les modes de vie et les façons de
penser.
A partir de là, le jugement qu'on portera sur elle dépendra des
réponses apportées aux questions précitées. Si l'on pense que l'industria
lisation n'est que l'intégration du progrès technique et que celui-ci n'est
qu'un moyen d'accroître la productivité du travail humain. Le dévelop
pement, sous la forme de l'industrialisation massive, est le « point de
passage obligatoire »x de toute société désireuse d'améliorer le sort de ses
membres. Les aspects positifs de ce développement-industrialisation
seront nécessairement supérieurs aux aspects négatifs. Les méfaits déplorés
par certains d'une inévitable déculturation seront largement compensés
i. G. Destanne de Bernis, De l'existence de points de passage obligatoires pour une
politique de développement Cahiers, de l'ISMEA, série F, n° 29. Y a-t-il un modèle obligé de
développement ? l'échec de l'occidentalisation 883
par les avantages matériels du développement économique. L'Algérie
officielle semble bien avoir fait clairement « le choix industriel ». L'indust
rialisation est définie dans une brochure du ministère de l'Information
comme : « Un ensemble de techniques modernes mettant en œuvre des
machines dont le résultat est de permettre l'accroissement de la product
ion et la baisse du coût humain ». D'autre part, selon la même brochure :
« On peut dire que l'industrialisation est la condition sine qua non du
développement »2. Les choix implicites présupposés par ces textes sont
clairs. La technique est posée comme un pur moyen, neutre, inscrit dans
les virtualités du donné naturel de l'homme et permettant une maîtrise
croissante de la nature. Le naturalisme et l'universalisme virtuels de la
technique ramènent le sous-développement au refus pervers de l'util
isation des moyens disponibles d'en sortir, dans un contexte fortement
évolutionniste.
Il est asse2 évident que quels que soient les doutes que l'on peut avoir
sur le bien-fondé d'une telle position, doutes renforcés par les limites,
impasses, échecs de la « stratégie industrielle », il est impossible de
l'ébranler sérieusement si l'on ne remet pas en cause les présupposés sur
lesquels elle repose.
Il est exclu, toutefois, d'examiner sérieusement tous ces points
dans le cadre volontairement restreint de cette note de travail3.
Nous nous limiterons ici à explorer deux aspects clefs de la question :
la signification de l'Occident comme culture et les enjeux de la
déculturation.
I. — UOccident est-il une culture ?
Le « choix industriel » repose sur l'espoir non seulement de bâtir
l'usine et de la faire tourner, mais encore qu'elle fonctionne comme
maison de la culture ! La déculturation inévitable, voire même nécess
aire, due aux transformations économiques ne laisserait pas derrière elle
un désert ; ou plutôt celui-ci serait immédiatement fécondé. L'accultura
tion serait cet accès à une nouvelle culture, une culture de l'industriali
sation et du développement, bref une culture du même type que celle qui
règne dans les autres lieux où l'industrialisation et le développement ont
triomphé. On se propose de gagner le pari d'une réussite de l'occidenta-
2. Le choix industriel de Г Algérie, Alger, Ed. sned, 1975, p. 2 et 3.
3. La plupart de ces points sont abordés par les divers articles de ce numéro et aussi
dans notre article « Le sous-développement comme forme de déculturation « (Tiers-Monde,
n° 97, janvier-mars 1984). La présente analyse est un prolongement de cet article. SERGE LATOUCHE 884
lisation de la société. Quelle que soit, en effet, l'importance des traits
spécifiques hérités du passé que l'on désire préserver, c'est bien de cela
qu'il s'agit, même si les moyens utilisés aujourd'hui différent de ceux
utilisés naguère par Pierre Le Grand ou Kemal Attaturk.
Ce pari, on le sent, repose sur l'idée que l'Occident est une culture
comparable aux autres, supérieure peut-être, mais de même nature. Si
l'on précise la signification des termes, l'éclairage modifie le sens du pari.
Dans la prati

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