L enseignement, lieu de rencontre entre historiens et sociologues - article ; n°1 ; vol.1, pg 7-45
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L'enseignement, lieu de rencontre entre historiens et sociologues - article ; n°1 ; vol.1, pg 7-45

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Sociétés contemporaines - Année 1990 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 7-45
JEAN-CLAUDE PASSERON AND ANTOINE PROST For Antoine Prost, history in France enjoys a specific status : it is a central element in the making of the national identity. French society grasps and analyses itself through its history, and this induces a specific type of knowledge.In Raymond Aron's opposition between explanation and understanding, history is on the side of understanding. Sociology deals more with explanation, i.e. looking for causes. Durkheim, in the Suicide, is the best representative of that trend. Jean-Claude Passeron argues that the two disciplines are in fact on the same ground, and that there is no epistemological reason to differentiate them. They are sociologically different because of the way each of the academic communities plays its own game moving back and forth between experimental reasoning and setting up the plot of historical narration. Sociologists prefer the moments of experimental reasoning but cannot develop them to their end. Historians, particularly when dealing with past times for which present words do not mean much, can do little more than suggest. The two disciplines are therefore in such a situation that they cannot avoid dialogue on the same terrain, and should thus enrich each other.
Résumé : Pour Antoine Prost, l'histoire en France jouit d'un statut particulier : elle centrale dans la constitution de l'identité nationale. La société française se saisit s'analyse elle-même à travers son histoire et ceci induit un certain type de connaissance. Dans l'opposition que fait Raymond Aron entre explication compréhension, l'histoire est du côté de la compréhension. La sociologie vise plus expliquer, c'est-à-dire à rechercher des causes. C'est le Durkheim du Suicide qui représente le mieux. Jean-Claude Passeron pense que les deux disciplines sont en fait sur le terrain et qu'elles sont épistémologiquement indiscernables. Elles se sociologiquement par la façon dont chacune des deux communauté joue du va vient entre raisonnement expérimental et mise en intrigue dans le récit historique. Les sociologues préfèrent les moments de raisonnement expérimental qu'ils peuvent pas toutefois pousser à leur terme, les historiens tout particulièrement ils traitent de périodes très anciennes pour lesquelles les mots d'aujourd'hui n'ont de sens, en sont réduits à suggérer. Les deux disciplines sont sans doute destinées à dialoguer sur le même terrain à se féconder mutuellement.
39 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Jean-Claude Passeron
Monsieur Antoine Prost
L'enseignement, lieu de rencontre entre historiens et
sociologues
In: Sociétés contemporaines N°1, Mars 1990. pp. 7-45.
Citer ce document / Cite this document :
Passeron Jean-Claude, Prost Antoine. L'enseignement, lieu de rencontre entre historiens et sociologues. In: Sociétés
contemporaines N°1, Mars 1990. pp. 7-45.
doi : 10.3406/socco.1990.940
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/socco_1150-1944_1990_num_1_1_940Abstract
JEAN-CLAUDE PASSERON AND ANTOINE PROST For Antoine Prost, history in France enjoys a
specific status : it is a central element in the making of the national identity. French society grasps and
analyses itself through its history, and this induces a specific type of knowledge.In Raymond Aron's
opposition between explanation and understanding, history is on the side of understanding. Sociology
deals more with explanation, i.e. looking for causes. Durkheim, in the Suicide, is the best representative
of that trend. Jean-Claude Passeron argues that the two disciplines are in fact on the same ground, and
that there is no epistemological reason to differentiate them. They are sociologically different because of
the way each of the academic communities plays its own game moving back and forth between
experimental reasoning and setting up the plot of historical narration. Sociologists prefer the moments of but cannot develop them to their end. Historians, particularly when dealing with
past times for which present words do not mean much, can do little more than suggest. The two
disciplines are therefore in such a situation that they cannot avoid dialogue on the same terrain, and
should thus enrich each other.
Résumé : Pour Antoine Prost, l'histoire en France jouit d'un statut particulier : elle centrale dans la
constitution de l'identité nationale. La société française se saisit s'analyse elle-même à travers son
histoire et ceci induit un certain type de connaissance. Dans l'opposition que fait Raymond Aron entre
explication compréhension, l'histoire est du côté de la compréhension. La sociologie vise plus expliquer,
c'est-à-dire à rechercher des causes. C'est le Durkheim du Suicide qui représente le mieux. Jean-
Claude Passeron pense que les deux disciplines sont en fait sur le terrain et qu'elles sont
épistémologiquement indiscernables. Elles se sociologiquement par la façon dont chacune des deux
communauté joue du va vient entre raisonnement expérimental et mise en intrigue dans le récit
historique. Les sociologues préfèrent les moments de raisonnement expérimental qu'ils peuvent pas
toutefois pousser à leur terme, les historiens tout particulièrement ils traitent de périodes très anciennes
pour lesquelles les mots d'aujourd'hui n'ont de sens, en sont réduits à suggérer. Les deux disciplines
sont sans doute destinées à dialoguer sur le même terrain à se féconder mutuellement.♦♦♦♦♦♦ JEAN-CLAUDE PASSERON ♦♦♦♦♦♦♦ ♦
ANTOINE PROST
L'ENSEIGNEMENT, LIEU DE RENCONTRE
ENTRE HISTORIENS ET SOCIOLOGUES
Antoine prost : Le premier point que je voudrais développer, c'est ce que
j'appellerai le droit d'aînesse de l'histoire en France. Historiquement, c'est par
l'histoire que la société française s'est représentée à elle-même sa propre existence et
qu'elle s'est analysée. Il n'en va pas de même dans tous les pays. Par exemple,
l'analyse que la société anglaise a faite d'elle-même au XIXème siècle, elle l'a faite à
travers l'économie politique, à travers Smith, Ricardo et ce n'est par hasard si Marx
est allé s'installer en Angleterre. D'où le prestige universitaire et social de
l'économie en Angleterre. On comprend alors que des hommes comme Keynes
deviennent des personnalités à la fois universitaires et politiques de tout premier
plan. En France, l'équivalent c'est Guizot, c'est Thiers, c'est même Taine car c'est par
l'histoire que la société française s'est saisie elle même et s'est analysée.
Dès le départ, cette histoire est très sociale ; si vous lisez le Cours d'histoire
moderne de Guizot, vous avez des acteurs collectifs qui sont des classes sociales, le
terme est utilisé par Guizot et l'histoire est présentée comme le résultat d'une lutte
des classes. J'avais coutume, quand j'enseignais à des étudiants de deuxième année
l'historiographie, de commencer un cours en lisant de très larges extraits d'une des
leçons du cours d'histoire moderne de Guizot et, ayant fini ma lecture de leur poser
la question : "Est-ce que cet auteur est marxiste ?" Leur réponse était généralement
oui. Si vous prenez les Considérations sur la révolution française de Barnave, c'est
aussi une analyse en termes de classes sociales, c'est-à-dire en termes d'acteurs
collectifs, définis économiquement, ce que Marx confirme dans une lettre célèbre de
1852 où il dit : "je n'ai pas inventé les classes sociales, les historiens bourgeois
l'avaient fait avant moi, je n'ai pas inventé le fondement économique des classes
sociales, les économistes bourgeois l'avaient fait avant moi". Cette ancienneté de
l'histoire et d'une histoire un peu sociologique dans la tradition culturelle française
me paraît un fait historique très important dont les historiens actuels sont les
bénéficiaires car leur "standing" dans la collectivité universitaire française me paraît
très supérieur à celui de leurs homologues anglo-saxons. Ils bénéficient en quelque
sorte d'une rente de situation et ils ont d'ailleurs tendance à s'endormir sur leurs
lauriers en criant urbi et orbi qu'il n'y a rien au dessus de l'école des Annales, ce
phare extraordinaire qui illumine la planète entière de ses lumières.
Sociétés Contemporaines (1990) n' l J.-C. PASSERON ET A. PROST ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
La sociologie s'est développée aux confins de l'histoire et de la philosophie en
France et pas du tout des méthodes quantitatives qui ont été une greffe importée des
Etats-Unis à la seule exception de Durkheim, sur laquelle je reviendrai tout à l'heure.
Si l'on prend la sociologie actuelle, elle s'est développée à partir du Centre d'Etudes
Sociologiques, premier laboratoire propre du CNRS dans nos disciplines et qui au
lendemain de la deuxième guerre mondiale a été conçu délibérément comme un lieu
de transfert de méthodes scientifiques. Il s'agissait de transférer dans le champ
culturel français les de la sociologie américaine, pour le dire de manière
un peu brutale et un peu cavalière. Certes, il y avait eu des précurseurs comme
Stoetzel (mais on va le retrouver directeur du CES) ou comme Sauvy qui se rattache
à une tradition beaucoup plus française. Au début du siècle, la tentative
durkheimienne d'acclimater dans le champ universitaire français une sociologie qui
soit une vraie science du social expérimentale a échoué. La sociologie n'a pas pris
dans le champ universitaire, elle n'a pas réussi à conquérir des postes et elle s'est
institutionnalisée en dehors de l'université notamment aux Hautes Etudes ; les
disciples de Durkheim ont beaucoup de peine à trouver des positions académiques et
ceux qui ont eu le plus grand succès ont basculé vers l'histoire. Je pense à François
Simiand. L'histoire a été en quelque sorte le refuge de certains sociologues
durkheimiens en mal de nidification dans l'université française.
Pour revenir à notre sujet, qui est méthodologique, et qui est la façon dont les
historiens et les sociologues peuvent se retrouver ou diverger sur des objectifs
historiques, j'ai tendance à opposer très fortement deux modes de raisonnement qui
sont celui des et celui des historiens. Ce que j'appelle sociologue, c'est
le Durkheim du Suicide ; ma définition du raisonnement sociologique est donc très
restrictive. Pour moi, le raisonnement sociologique type, c'est celui que Durkheim
met en oeuvre dans Le Suicide, livre que j'ai lu il y a quatre ou cinq ans avec
éblouissement, et enthousiasme, en me disant à la fin de chaque chapitre que j'étais
durkheimien et que je ne le savais pas ! C'est fondamentalement une procédure
d'administration de la preuve dans les sciences sociales, c'est-à-dire que les
affirmations peuvent être soumises à une validation critique ; on peut les dire

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