L orange d Islande : Stendhal et le mythe du Nord - article ; n°17 ; vol.7, pg 203-227
25 pages
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Description

Romantisme - Année 1977 - Volume 7 - Numéro 17 - Pages 203-227
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

M. Philippe Berthier
L'orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord
In: Romantisme, 1977, n°17-18. pp. 203-227.
Citer ce document / Cite this document :
Berthier Philippe. L'orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord. In: Romantisme, 1977, n°17-18. pp. 203-227.
doi : 10.3406/roman.1977.5137
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1977_num_7_17_5137Deux études stendhaliennes Philippe BERTHIER
L'orange d'Islande :
Stendhal et le mythe du Nord,
Peter Baiïrle, der mir als erster die Pforten
zum Norden Geoffnet hat-in bruderlicher
Freundschaft gewidmet.
« Souvent au milieu des superbes jardins
des princes allemands l'on place des harpes
éoliennes près des grottes entourées de fleurs,
afin que le vent transporte dans les airs des
sons et des parfums tout ensemble. L'imagi
nation des habitants du nord tâche ainsi de
se composer une nature d'Italie ; et pendant
les jours brillants d'un été rapide l'on
parvient quelquefois à s'y tromper » (1).
Madame de Staël.
Une simple récompense scolaire peut avoir une grande influence.
Lorsque, pour féliciter le jeune Henri Beyle de son ardeur à la "bosse",
M. Jay, professeur de dessin à l'Ecole Centrale de Grenoble, lui décerna
un prix, qui lui échut sous la forme de l'ouvrage de l'abbé Du Bos
Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, sans doute espérait-
il le confirmer dans son goût pour les arts, mais pouvait-il se douter
des conséquences lointaines, et ainsi dire définitives, de la lecture
qu'il lui offrait ainsi ? Ce livre, nous dit Henry Brulard, "je [le] lus
avec le plus vif plaisir. [Il] répondait aux sentiments de mon âme,
sentiments inconnus à moi-même"2. Ainsi se déposèrent obscurément
quelques germes d'une pensée qui devait s'épanouir bien plus tard,
dans l'Histoire de la Peinture en Italie ou Racine et Shakespeare, et
transmettre à d'autres, à son tour 3, la conviction que le beau n'est pas
immuable, et que les temps et les lieux modifiant les besoins de l'human
ité, modifient aussi le langage des formes. Le XVIIF" siècle avait mis
en valeur la notion de relativité et la théorie des climats. Du Bos lui-
même4 avait montré que du sol, de la chaleur ou du froid dépendait
en partie l'expression esthétique ; et l'on sait de reste que Stendhal
a lu Montesquieu. Ainsi se rassemblaient les éléments de ce qui devait
être porté par Mme de Staël à la dimension d'un système.
Il n'entre pas dans notre propos d'étudier méthodiquement la dette
stendhalienne envers Mme de Staël5. Nous voudrions seulement tenter
de voir en quoi celle-ci propose, du Nord et du Midi, une image cultur
elle, héritière des Lumières pour une part, et fixant pour longtemps
un mythe dont Stendhal, qu'il l'ait ou non voulu, a été marqué comme
tous ses contemporains, et dont nous aimerions étudier la manière
qu'il a eue, pour son propre compte, de le vivre, et singulièrement à Philippe Berthier 206
l'occasion de son expérience germanique. Fixons-en donc rapidement les
principaux traits, avant d'aborder les variations stendhaliennes sur ce
thème du Nord et du Midi que Mme de Staël devait imposer, durant des
décennies, comme un paradigme obligé de la pensée et de l'imagination
européennes.
De la littérature... (1800) annonçait sans ambages vers quel horizons
s'orientait spontanément Mme de Staël : vers les régions de "l'imagina
tion du nord", qu'elle caractérise en des termes où l'on reconnaît aussi
tôt la couleur du barde de Morven :
« ...celle qui se plaît sur le bord de la mer, au bruit des vents, dans
les bruyères sauvages ; celle enfin qui porte vers l'avenir, vers un autre
monde, l'âme fatiguée de sa destinée. L'imagination des hommes du nord
s'élance au-delà de cette terre dont ils habitaient les confins ; elle s'élance
à travers les nuages qui bordent leur horizon, et semblent représenter
l'obscur passage de la vie à l'éternité6. »
Le nord, pourrait-on dire, est naturellement métaphysique. C'est un
univers réflexif, qu'aucune impression extérieure trop brillante ne vient
distraire d'une méditation sans rivages, dont l'austérité le dispute à la
profondeur :
« Les peuples du nord sont moins occupés des plaisirs que de la dou
leur ; et leur imagination n'en est que plus féconde. Le spectacle de la nature
agit fortement sur eux ; elle agit, comme elle se montre dans leurs climats,
toujours sombre et nébuleuse ?. »
Le midi, au contraire, c'est la séduction, l'espace du dehors, avec
ses irrésistibles blandices, mais aussi sa superficialité :
« Cette nature si vive qui les environne excite en eux plus de mouve
ments que de pensées 7. »
La diversité des objets y charme, mais l'esprit ne s'y fixe pas
intensément :
« La poésie voluptueuse exclut presque entièrement les idées d'un certain
ordre8. »
Ce monde du plaisir est celui des saveurs de l'instant, il ignore les
puissances du dedans, les suspensions rêveuses, les mirages spéculatifs ;
le Nord songe quand le Midi jouit.
Corinne (1807) porte un sous-titre, l'Italie, qui indique bien la
volonté quasi démonstrative d'étudier le deuxième volet du diptyque,
de poursuivre la confrontation, et peut-être de rendre justice à un Sud
dont on célèbre les pouvoirs même lorsqu'on en saisit les limites. Le
Nord est bien toujours senti comme le domaine élu de l'intériorité,
mais contre un Midi dont l'improvisatrice capitoline célèbre, dans ses
chants, l'indéfinie capacité d'émerveiller et d'apaiser par les beautés
de la nature et de l'art :
« Ici les sensations se confondent avec les idées, la vie se puise tout
entière à la même source 9... »
On dirait que Mme de Staël, avec Corinne, a découvert le bonheur
de la méridionalité. A l'expansion vague de l'esprit dans les brumes du
septentrion, répond à présent l'accablement heureux de l'âme sous la L'orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 207
lumineuse profusion du donné. Au Nord, l'on se console du trop peu
du monde en se perdant au sein de sphères invisibles, insituables ; au
Midi, on s'abandonne aux mille tentations d'un trop-plein qui nous
attache à la splendeur de la réalité :
« La nature, dans les pays chauds, met en relation avec les objets exté
rieurs, et les sentiments s'y répandent doucement au dehors. Ce n'est pas que
le Midi n'ait aussi sa mélancolie : dans quels lieux la destinée de l'homme
ne produit-elle pas cette impression ? Mais il n'y a dans cette mélancolie ni
mécontentement, ni anxiété, ni regret. Ailleurs, c'est la vie qui, telle qu'elle
est, ne suffit pas aux facultés de l'âme ; ici, ce sont les facilités de l'âme
qu ine suffisent pas à la vie ; et la surabondance des sensations inspire une
rêveuse indolence, dont on se rend à peine compte en l'éprouvant 10. »
La malheureuse Corinne souffre en Angleterre tous les maux de
l'éclipsé ; sa chaleur vitale est occultée, elle expérimente le Nord comme
la figure même, existentielle et photographique, du négatif ; le Nord
n'est plus que l'image exactement inversée du Sud, l'Angleterre l'em
preinte en creux de l'Italie, un vide appelant cruellement la plénitude
absente qui le comblerait :
« Chaque jour j'errais dans la campagne, où j'avais coutume d'entendre,
le soir, en Italie, des airs harmonieux chantés avec des voix si justes ; et
les cris des corbeaux retentissaient seuls dans les nuages. Le soleil si beau,
l'air si suave de mon pays était remplacé par les brouillards ; les fruits
mûrissaient à peine, je ne voyais point de vignes, les fleurs croissaient lan-
guissamment, à long intervalle l'une de l'autre ; les sapins couvraient les
montagnes toute l'année, comme un noir vêtement : un édifice antique, un
tableau seulement, un beau tableau aurait relevé mon âme ; mais je l'aurais
vainement cherché à trente milles à la ronde. Tout était terne, tout était
morne autour de moi; et ce qu'il y avait d'habitations et d'habitants servait
seulement à priver l

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