La Bande dessinée du moi, un genre singulier - article ; n°1 ; vol.32, pg 155-182
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Description

Ebisu - Année 2004 - Volume 32 - Numéro 1 - Pages 155-182
La « bande dessinée du moi » est un genre narratif apparu à la fin des années 60. Après-guerre, le marché de la bande dessinée se concentrait sur le public des enfants mais à la fin des années 1950, un groupe de jeunes auteurs créaient une nouvelle forme, le gekiga, pour un lectorat plus mûr, que le magazine avant-gardiste Garo allait légitimer. La « bande dessinée du moi » naissait dans ce cadre. Elle allait être adoptée par la génération du baby-boom et louée par la critique. Au-delà des années 1970, l'expression disparaît du discours, et si les bandes dessinées du moi continuent d'être lues aujourd'hui, le genre lui, appartient désormais à l'histoire.
I-comics is a kind of narrative that appears at the end of the 60s. During the post-war period, the comics market focused on the readership of children but at the end of the 50s, a group of young authors created a new kind of comics, called gekiga, that appealed to older readers. The magazine Garo that was dedicated to the fostering of creativity, gave legitimacy to this new trend. I-comics appeared in this magazine, attracted the baby- boomers and positive critics. Beyond the 70s, the expression disappears from the comics discourse and if I-comics are still read today, as a genre they already belong to history.
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Béatrice Maréchal
La Bande dessinée du moi, un genre singulier
In: Ebisu, N. 32, 2004. pp. 155-182.
Résumé
La « bande dessinée du moi » est un genre narratif apparu à la fin des années 60. Après-guerre, le marché de la bande dessinée
se concentrait sur le public des enfants mais à la fin des années 1950, un groupe de jeunes auteurs créaient une nouvelle forme,
le gekiga, pour un lectorat plus mûr, que le magazine avant-gardiste Garo allait légitimer. La « bande dessinée du moi » naissait
dans ce cadre. Elle allait être adoptée par la génération du baby-boom et louée par la critique. Au-delà des années 1970,
l'expression disparaît du discours, et si les bandes dessinées du moi continuent d'être lues aujourd'hui, le genre lui, appartient
désormais à l'histoire.
Abstract
"I-comics" is a kind of narrative that appears at the end of the 60s. During the post-war period, the comics market focused on the
readership of children but at the end of the 50s, a group of young authors created a new kind of comics, called gekiga, that
appealed to older readers. The magazine Garo that was dedicated to the fostering of creativity, gave legitimacy to this new trend.
"I-comics" appeared in this magazine, attracted the baby- boomers and positive critics. Beyond the 70s, the expression
disappears from the "comics discourse" and if I-comics are still read today, as a genre they already belong to history.
Citer ce document / Cite this document :
Maréchal Béatrice. La Bande dessinée du moi, un genre singulier. In: Ebisu, N. 32, 2004. pp. 155-182.
doi : 10.3406/ebisu.2004.1384
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ebisu_1340-3656_2004_num_32_1_1384n° 32, Printemps-Été 2004 Ebisu
L A BANDE DESSINEE DU MOI, UN GENRE SINGULIER
Béatrice MARÉCHAL
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Le terme manga ~?>tf qui désigne en japonais la bande dessinée,
recouvre selon les définitions des dictionnaires actuels, trois idées
principales : « dessin comique », « histoire avec du texte et des images »,
« enchaînement visuel ». La première renvoie aux origines du média.
Elle s'avère restrictive puisqu'aujourd'hui toutes sortes de tons ou de
genres y sont exploités. Les deux autres, s'attachant à sa forme, englobent
l'ensemble des productions, à l'exception de ce que le japonais nomme
« bande dessinée d'une case » {hito koma manga -^ 3 ~? ~? y jf) et que le
français appelle plus généralement « caricature ». Nous nous intéresserons
ici à la bande dessinée comme art du trait au service d'une narration.
Nous proposons de reconstituer l'histoire d'un genre nommé watakushi
manga %~?y if que nous traduisons par « bande dessinée du moi », abrégé
en BDM. Apparu au milieu des années 1960, il qualifie les créations de
quatre auteurs majeurs : Tsuge Yoshiharu o tf îl# (1937-) dont les récits
s'inspirent de sa jeunesse, de ses voyages et de ses rêves ; Takita Yû ^E5
fy'l (1932-1990) qui s'intéressa d'abord à son enfance avant de revenir
sur sa vie d'adulte ; le cadet de Tsuge Yoshiharu, Tsuge Tadao olf
JEU (1941-) dont les récits sont en prise avec l'héritage de la guerre ;
enfin, Abe Shin.ichi ^rntffll^ (195O-) dont les publications reflètent de
près sa vie intime. Chacun à sa manière s'est appliqué à rendre compte
de son for intérieur à la fois avec une grande franchise - n'hésitant pas à
mettre en scène des situations très privées - et avec discrétion - évitant de
se nommer, de s'embellir, de s'apitoyer sur soi ou de juger ses pairs. Leur
sincérité réside dans leur choix d'être la matière première de leur texte, et
leur humilité dans la distance prise avec leur alter-ego dessiné.
Après avoir posé une définition du genre et donné une rapide
présentation des sources documentaires sur le sujet, nous examinerons les
conditions historiques qui ont précédé la naissance de la BDM, l'œuvre
de ses auteurs les plus représentatifs et les raisons de sa disparition1. Nous
insisterons notamment sur l'arrière-plan historique et social dans lequel
la presse bédéique s'est développée, important pour dégager l'espace des
1 « Disparition » est à prendre dans le sens d'un effacement sur l'horizon d'attente des
lecteurs, en non, bien évidemment, dans celui d'un acte de suppression. 156 Béatrice MARÉCHAL
possibles où les auteurs-dessinateurs se situent, s'expriment et s'engagent2
vers de nouvelles créations.
Pour une définition de la BDM
La BDM est un genre problématique. À l'origine, son nom provient
d'un transfert de l'expression « roman du moi » {watakushi shôsetsu IA/H&),
employée en littérature. D'abord utilisé par la critique comme qualificatif
(« œuvre de type roman du moi », watakushi shôsetsu-teki sakuhin fA'-M&Éft
f^pp), son dérivé « bande dessinée du moi » n'a jamais été repris à leur
compte par les auteurs de BDM eux-mêmes. S'ils l'acceptent, ils ne le
se sont pas appropriés, du moins ne se sont-ils pas revendiqués comme
tels de manière à fédérer un mouvement ou un groupe. De fait, cette
expression est toujours restée marquée par un certain flou. Comment
faire du « moi », ce terme clé mais si peu saisissable, l'ingrédient essentiel
de la composition ? On sait avec l'ouvrage de Suzuki Tomi, Narrating
the Self, que l'expression « roman du moi » « circule comme un puissant
signifié sans signifiant fixé et identifiable, générant un discours critique qui
informe la nature de la littérature et aussi les vues sur le "soi", la société et
la tradition japonaise ». Il en va de même, peut-on dire, de la BDM, jamais
définie par ses utilisateurs. Mais précisément, nullement obligés de suivre
les règles d'un genre, ses auteurs ont su véritablement le développer dans
une forme singulière dont les caractéristiques sont loin de toutes recouper
celles de son analogue littéraire. Le « flou » qui l'entoure aura été ici une
raison de son originalité.
Si la BDM échappe aux classifications d'usage, elle comporte cependant
un certain nombre de caractéristiques suffisamment fortes pour constituer
un genre, et un objet d'étude. Elle se définit comme étant un récit court,
porté par un personnage principal qui s'en fait l'unique médiateur, évoluant
dans un espace-temps quotidien, en proie à un malaise dans son rappport
à lui-même et avec son environnement. Ce qui l'affecte est exposé à travers
l'histoire dessinée plutôt qu'explicité par un texte, même si cela est parfois
relayé par un monologue intérieur placé dans un récitatiP. La BDM
s'ancre dans la réalité de celui qui la compose, mais son récit correspond à
une projection fictive réalisée à partir d'un vécu dont la matière première
est le « moi » en tant qu'il relève d'une dimension personnelle et privée,
difficilement avouable et toujours sombre, derrière laquelle le « je » de
l'auteur-personnage tend à s'effacer pour laisser son œuvre ouverte4 à
l'interprétation des lecteurs.
2 Soit les positions sociales, les dispositions et les prises de positions, concepts définis
par Pierre Bourdieu dans Raisons pratiques, Éd. du Seuil, 1994.
3 II s'agit d'un espace encadré compris dans la case, accueillant un texte généralement de
style écrit, accompagnant ce qui se déroule en images sans y être nécessairement assujéti.
4 Sur le concept d'œuvre ouverte, voir Umberto Eco, L 'Œuvre ouverte, Éd. du Seuil, 1965. La Bande dessinée du moi, un genre singulier 1 57
Bien que cette définition éveille des rapprochements avec d'autres genres
ou d'autres concepts, plusieurs caractéristiques de la BDM interdisent
de la confondre avec eux. La BDM s'écarte d'abord de l'autobiographie
au sens où « celle-ci suppose d'abord une identité assumée au niveau de
renonciation, et tout à fait secondairement, une ressemblance produite au
niveau de l'énoncé »\ Si en BDM, il y a bien entre l'auteur et
le personnage principal, leur assimilation reste aléat

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