La communication en langue française - article ; n°1 ; vol.83, pg 15-37
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Description

Langage et société - Année 1998 - Volume 83 - Numéro 1 - Pages 15-37
En 1369, la création du mot français communication, tout en s'inscrivant dans une langue particulière selon des lois déterminées, et tout en y transmettant scrupuleusement les données d'une culture antérieure, a présenté une pensée neuve de valeur universelle parce qu'elle a librement disposé de l'écriture en son temps. Lorsqu'on situe le néologisme d'Oresme au sein de contextes où il a pris corps, on peut affirmer que les créations verbales, au-delà des affaires de lignées ou d'argent que suggèrent les métaphores de la parenté des langues et des emprunts, manifestent la transcendance du langage humain, capable de manifester conjointement plusieurs appartenances linguistiques, et responsable de l'économie des significations.
Balibar Renée - Communicadon in French.
In 1369, the creation of the French neologism communicadon albeit fitting into a specific language respectful of its rules and scrupulously transmitting the givens of a previous culture, presented a new way of thinking because it freely employed the writing style of its day. When one replaces Oresme's neologism in its original context, one can say that verbal creations, beyond the matters of ligneage or money suggested by the metaphors of family-trees and borrowings, manifest the transcendent quality of human language, capable of managing several linguistic affiliations at the same time and responsible for the economy of meanings.
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Renée Balibar
La communication en langue française
In: Langage et société, n°83-84, 1998. Colinguisme et lexicographie. pp. 15-37.
Résumé
En 1369, la création du mot français communication, tout en s'inscrivant dans une langue particulière selon des lois déterminées,
et tout en y transmettant scrupuleusement les données d'une culture antérieure, a présenté une pensée neuve de valeur
universelle parce qu'elle a librement disposé de l'écriture en son temps. Lorsqu'on situe le néologisme d'Oresme au sein de
contextes où il a pris corps, on peut affirmer que les créations verbales, au-delà des affaires de lignées ou d'argent que
suggèrent les métaphores de la "parenté" des langues et des "emprunts", manifestent la transcendance du langage humain,
capable de manifester conjointement plusieurs appartenances linguistiques, et responsable de l'économie des significations.
Abstract
Balibar Renée - Communicadon in French.
In 1369, the creation of the French neologism communicadon albeit fitting into a specific language respectful of its rules and
scrupulously transmitting the givens of a previous culture, presented a new way of thinking because it freely employed the writing
style of its day. When one replaces Oresme's neologism in its original context, one can say that verbal creations, beyond the
matters of ligneage or money suggested by the metaphors of "family-trees" and "borrowings", manifest the transcendent quality
of human language, capable of managing several linguistic affiliations at the same time and responsible for the economy of
meanings.
Citer ce document / Cite this document :
Balibar Renée. La communication en langue française. In: Langage et société, n°83-84, 1998. Colinguisme et lexicographie. pp.
15-37.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1998_num_83_1_2812communication en langue française* La
Renée Balibar
La communicacion en langue française
J'écris ici le mot communicacion comme il l'a été au moment de son
inscription en langue française : mot forgé par Nicole Oresme pour
la première version française, en 1369, d'un ouvrage d'Aristote : Le
Livre des Éthiques.
Un lecteur d'aujourd'hui, non prévenu, lirait là le mot espagnol
comunicaciôn. Mais instruit en philologie, il trouverait naturel que le
français et l'espagnol, deux langues romanes qu'il sait apparentées
issues du latin, aient présenté un jour la même graphie pour un mot
emprunté au latin communicatio. La lexicologie lui fournirait éven
tuellement la date de l'orthographe française actuelle communication
avec la chronologie des acceptions françaises du terme.
J'ajouterai à tout cela, de ma propre initiative, en tant que critique
littéraire, une réflexion de culture générale.
S'il est indispensable d'étudier la communicacion selon les diffé
rentes modalités de sa rédaction (l'étymologie de ce néologisme, la
phonétique et l'orthographe, la synchronie et la diachronie), il est en
Pour respecter le tapuscrit de Renée Balibar, la rédaction de Langage et société a laissé
les références bibliographiques en notes de bas de page.
© Langage et société n° 83 /84 - mars /juin 1998 16 RENÉE BALIBAR
outre obligatoire de comprendre la valeur singulière, transhistorique
et transnationale, de cette création en langues. La communication fran
çaise, tout en s'inscrivant en 1369 dans une langue particulière selon
des lois déterminées, et tout en y transmettant scrupuleusement les
données d'une culture antérieure, a présenté une pensée neuve de
valeur universelle parce qu'elle a librement disposé de l'écriture en
son temps. Qu'est-ce que la liberté d'écriture? C'est l'incarnation
d'une pensée dans un appareil de langues, dans des institutions, per
mettant à celui qui écrit de persuader d'autres hommes sans les
contraindre1. Lorsqu'on situe ce néologisme d'Oresme au sein des
contextes où il a pris corps, on peut affirmer que les créations ver
bales, au-delà des affaires de lignées ou d'argent que suggèrent les
métaphores de la "parenté" des langues et des "emprunts", manif
estent la transcendance du langage humain, capable de manifester
conjointement plusieurs appartenances linguistiques, et responsable
de l'économie des significations.
Le mot traducteur
Nicole Oresme, traducteur de trois grands ouvrages d'Aristote {l'Éc
onomie, l'Éthique, la Politique), est l'auteur original d'importants trai
tés de géométrie, d'astronomie, de théologie et d'une œuvre maj
eure sur la monnaie (origine, droit, mutations). Ayant appris à
lire-écrire dans le latin classique européen, il pensait et parlait (le
parlé de l'écrit) en latin, dans une langue qui véhiculait l'héritage
culturel du grec, il distinguait en latin les registres de la théologie
chrétienne, de la philosophie antique, du droit romain et contemp
orain, des domaines techniques, de l'art littéraire. Il parlait aussi,
écrivait et pensait selon tous les registres de la langue française que
sa formation latine le rendait capable de distinguer : français cléri
cal, français royal, français commun à la cour ou dans les contrées,
français des métiers, de l'art littéraire. L'invention délibé-
L' Article XI de la Déclaration de 1789 emploiera le terme conçu par Oresme afin de
définir un droit transcendantal : « La libre communication des pensées et des opi
nions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parl
er, écrire et imprimer librement ». Sur la coupure historique entre les deux
époques, voir plus loin. LA COMMUNICATION EN LANGUE FRANÇAISE 17
rée de la communication en langue française a surgi au croisement
fécond de ses compétences.
Ouvrons le Livre des Éthiques à la page où s'enchaînent deux cha
pitres décisifs, et mettons l'Aristote latin qui faisait autorité dans la
scolastique médiévale depuis Thomas d'Aquin en face du français
d'Oresme.
Apparet igitur societates omneiscivilis societatis membra. Quales autem
fuerint societas, taies amicitiae consequentur. Administrandae porro reipu-
blicae tria sunt genera, totidemque ab Mis sive degressiones sive declina-
tiones, quasi harum pestes, et interitus.
Et doriques toutes communicacions sont partie de communicacion poli
tique ; et par conséquent, queles sont les parties ou les communicacions po
litiques, telles sont les amitiéz.
De communicacion politiques sont trois espèces. Et les corrupcions ou
transgressions de elles sont en nombre equal.
Oresme traduit ici par un seul mot français, communication, non
pas communicatio, mais deux mots latins societas et respublica. C'est
qu'il attribue à son terme français une valeur générale réunissant les
acceptions de plusieurs mots latins. Aux chapitres suivants qui trai
tent des « communicacions yconomiques ou domestiques » et des « es
pèces d'amistié selon les communicacions dessus dites », on voit que
le néologisme français traduit encore amicitia, ou urbanitas :
II semble que selon chacune urbanité ou communicacion civile soit au
cune espèce de amistié en tant comme en chascune tele communicacion est
aucun juste ou aucune justice.
Mais nous avons besoin d'une version française récente : le fran
çais écrit en 1369 est sorti de l'usage. D'autre part et surtout, la tr
aduction de l'Éthique élaborée à notre époque à partir du grec, en ap
portant sa propre terminologie, ouvre l'observation sur la longue
durée du colinguisme.
Toutes ces communautés sont donc manifestement des fractions de la
communauté politique, et les espèces particulières d'amitiés correspondent
aux espèces particulières de communautés.
Il y a trois espèces de constitutions et aussi un nombre égal de déviations,
c'est-à-dire de corruptions auxquelles elles sont sujettes [...]. 18 RENÉE BALIBAR
Pour chaque forme de constitution on voit apparaître une amitié, laquelle
est coextensive aussi aux rapports de justice.
Ainsi Oresme traduit le latin societas, communitas, amicitia, etc.
en employant constamment le terme abstrait communicacion (on
peut compter jusqu'à huit occurrences dans une page), tantôt seul
tant&

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