La construction de l objet en anthropologie. L indianisme et le comparatisme de Louis Dumont - article ; n°146 ; vol.38, pg 165-189
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La construction de l'objet en anthropologie. L'indianisme et le comparatisme de Louis Dumont - article ; n°146 ; vol.38, pg 165-189

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Description

L'Homme - Année 1998 - Volume 38 - Numéro 146 - Pages 165-189
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jackie Assayag
La construction de l'objet en anthropologie. L'indianisme et le
comparatisme de Louis Dumont
In: L'Homme, 1998, tome 38 n°146. pp. 165-189.
Citer ce document / Cite this document :
Assayag Jackie. La construction de l'objet en anthropologie. L'indianisme et le comparatisme de Louis Dumont. In: L'Homme,
1998, tome 38 n°146. pp. 165-189.
doi : 10.3406/hom.1998.370460
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1998_num_38_146_370460La construction de Vobjet
en anthropologie
L'indianisme et le comparatisme de Louis Dumont
Jackie Assayag
Quand on cherche l'origine d'un mythe on trouve un autre mythe.
Ludwig Wittgenstein
epuis le XIXe siècle, la théorie anthropologique a eu partie liée avec la pratique
d'aller ailleurs, c'est-à-dire en un point géographiquement, moralement, social
ement distant de chez soi, un chez soi entendu à la fois au sens culturel et théo
rique*. Engrangeant ses données dans la foulée de l'expansion coloniale
européenne, la science de X Autre fut par définition « exote ». Et plus le voyage était
long, rude, épuisant, plus ces autres ressemblaient à des échantillons d'humanité
préservés du monde extérieur, soit autant de formes d'altérités prisonnières de ter
rains dont l'interface culturelle fut considérée à l'instar d'une iron cage — à charge
pour l'ethnologue dialoguant patiemment avec ses « sauvages » d'en fournir la clef.
Louée fut donc l'immersion prolongée dans ces sociétés plus petites, plus
simples, vraiment élémentaires. L'ethnologue y gagnait, une fois surmontés l'a
pprentissage linguistique, les mirages des tropiques ou du désert, et non sans
d'éventuels maux physiques redoublés des tourments que provoquent l'exil ou
le vertige ébloui du dépaysement, la certitude héroïque de découvrir des traits
culturels eux aussi élémentaires. Évidence qui fit oublier que « les faits sont
imprégnés de théorie » comme les théories le sont de faits1, alors même que
l'écriture, au retour, invitait l'ethnologue à circonscrire son territoire d'étude tout
aussi bien qu'à réfléchir aux procédures à la fois narratives et théoriques qui
donneraient forme à ces matériaux régionaux.
* Ce texte a d'abord été destiné aux journées de l'Association pour la recherche en anthropologie sociale ^
(APRAS), sur le thème « Anthropologie régionale et régionalisation de l'anthropologie », qui se sont ^^
tenues en 1992-1993 à Paris. Il a ensuite été publié sous forme ronéotée, sous le titre : « L'indianisme : Z¿
savoir social total ou anthropologie tous terrains ? Essai sur la construction anthropologique chez Louis I"""
Dumont », dans le rapport remis au Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche par î^
M. Izard & G. Lenclud, eds., Les régimes de scientificité de l'anthropologie en France, 2, Documents à ^^
l'appui, Paris (1995 : 97-128). Une traduction anglaise a également circulé sous la forme d'un working äk
paper (in Assayag, Lardinois & Vidal 1997 : 55-81) précédé d'une introduction {ibid. : 5-1 1). ^^
1 . Sur cette expression et la remise en cause de la distinction entre observation et théorie, fait et valeur, ^£
on se reportera à la discussion de Putnam (1984 : 223 sq.). LU
L'HOMME 146 / 1998, pp. 165 à 189 un courant dominant de l'anthropologie a restreint l'exploration Aujourd'hui,
des différentes modalités de l'altérité à la seule région narcissique : celle,
1 66 reflexive, de 1'« être-là » de l'observateur observé. Occasion de se livrer à une orgie
introspective, en dévoilant les postures et les styles qu'affectent les ethnologues
sur le terrain. Bien qu'initialement décapant, ce type d' (auto-) analyse s'appuie
compiaisamment sur le mythe contemporain de l'intériorité et de la textualité
qui obscurcit au bout du compte la hiérarchie : la (mise en) scène de l'arrivée de
Malinowski sur son île du Pacifique, certes conradienne, a-t-elle autant d'impor
tance que l'analyse du cycle économique de la kula ? Et le sujet-ethnographe
croit-il devenir, plus que son « objet » ou la théorie et l'épistémologie, le seul
objet de l'ethnologie (Fardon 1990 : 20) ?
De l'anthropologue on escomptait pourtant qu'il fasse avant tout état de cet
autre culturel témoignant de la diversité de l'humaine condition, qu'il explique
la singularité de cette extériorité rencontrée, qu'il expose ce qu'est là-bas la
parenté, le don, la caste, l'État, en précisant, selon les cas, que la première y est
classificatoire, le second question d'honneur ou de honte, la troisième liée à la
hiérarchie, tandis que le dernier s'apparente à la piété filiale. Au demeurant,
aucun anthropologue ne traite directement de toutes ces questions puisqu'il s'agit
aussi de se faire un nom en l'associant à une aire géographique ou à une ethnie
confondue dès lors à une problématique : Evans-Pritchard avec ses Nuer et leur
structure sociale segmentaire.
Chaque lieu ou objet de l'enquête est ainsi susceptible de devenir un topos
exemplaire. Certes, une telle procédure garantit le débat critique interne. Mais
son caractère systématique tend à réifier les (dites) aires culturelles dans l'e
space planétaire. Interprétées à l'aune de l'évolutionnisme du XIXe siècle, cette
représentation donne une vision de l'humanité distribuée en couches hiérar
chisées. De fait, cette taxonomie a été souvent assimilée à une banque de
données et utilisée comme une boîte d'outils conceptuels dans laquelle tout
anthropologue pourrait puiser. Dans le même temps, quelques realia locaux
(hau, varna, tabu, mana...) — décontextualisés et généralisés à la faveur de
« ressemblances de famille » — ont été sublimés en notions caractérisant les
sous-ensembles théoriques de la discipline : théorie de l'échange, des castes,
de l'interdit et de la magie.
Anthropologie et indianisme
Évidemment les choses ne sont pas si simples. Et ce pour plusieurs raisons qui
tiennent simultanément à la nature du métier et à la spécialisation régionale.
En premier lieu, parce que, contrairement à la geste héroïque et au profil
bas méthodologique autrefois dispensés, le terrain est un assortiment d'accidents
et de nécessités rétrospectivement transformés en assemblage. À l'attente précé
dant le voyage succède, en effet, l'accommodation sur place de l'allogène que
réaménage le groupe d'accueil. Creuset où se problématisent, mais sur un mode
contingent, les rapports entre le savoir local et les théories métropolitaines ou
Jackie Assayag auxquels l'anthropologue doit aussi bien sa formation intellectuelle nationales2,
que le choix de sa destination.
En deuxième lieu, parce que l'autorité de l'anthropologue se mesure sans doute ' 67
moins à ses scrupuleuses qualités d'investigation in situ qu'à sa faculté spéculative
d'y échapper, sa capacité notamment d'élargir son audience auprès de collègues qui
ne partagent pas la même aire culturelle. Ainsi, par exemple, une fois montrée la
singulière complexité des castes indiennes, et par là démontrée l'expertise que son
étude requiert, toute tentative d'exporter la notion hors de ce champ se voit-elle
par avance disqualifiée3. Dans le même temps, on se réserve le droit, légitimé au
moyen d'une simple opération d'inversion, d'en faire le miroir hiérarchique de
l'égalitarisme occidental. Quoique fondée sur une pétition de principe, cette théo-
risation est à fort rendement : elle conforte l'expertise dans et par les deux champs.
Si d'aventure le « terrain » est déjà occupé — pensons aux sociétés dites comp
lexes ou aux grandes civilisations lettrées —, l'anthropologue fait face au
dilemme de l'absorption ou de l'exclusion. Arrivant en Inde à la suite des « intel
lectuels » locaux déjà installés, missionnaires, administrateurs et orien

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