La critique de Dobroljubov : principes esthétiques et réalités sentimentales - article ; n°1 ; vol.29, pg 34-53
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Description

Revue des études slaves - Année 1952 - Volume 29 - Numéro 1 - Pages 34-53
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1952
Nombre de lectures 10
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Charles Corbet
La critique de Dobroljubov : principes esthétiques et réalités
sentimentales
In: Revue des études slaves, Tome 29, fascicule 1-4, 1952. pp. 34-53.
Citer ce document / Cite this document :
Corbet Charles. La critique de Dobroljubov : principes esthétiques et réalités sentimentales. In: Revue des études slaves, Tome
29, fascicule 1-4, 1952. pp. 34-53.
doi : 10.3406/slave.1952.1580
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1952_num_29_1_1580LA CRITIQUE DE DOBROLJUBOV
PRINCIPES ESTHÉTIQUES
ET RÉALITÉS SENTIMENTALES
PAR
CHARLES CORBET
Dans une étude publiée ici même en 10,48, nous avons tenté de
mettre en lumière quelques attitudes philosophiques fondamentales de
Cernysevskij et de dégager les caractères de son «esthétique». Nous avons
notamment montré comment cette esthétique, qui commence par se
placer sous les auspices d'une réalité en apparence strictement scientifique,
s'en évade presque aussitôt pour lui substituer un «sens vivant» de la
réalité, qui n'est pas autre chose au fond que l'ensemble des options poli
tiques et morales de l'ingénieux dialecticien^.
Nous allons maintenant souligner la réalité du même «salto mortale»
dans la pensée de Dobroljubov.
Dobroljubov, le disciple le plus direct et le plus brillant de Cernyševskij,
répète exactement la leçon apprise du maître. Il n'essaie même pas de
redémontrer les bases théoriques de la doctrine, se contentant de les
emprunter telles quelles, comme autant de vérités intangibles, aux
Rapports esthétiques de la réalité et de l'art. Par contre, vu les dimensions
de son œuvre critique, vu aussi le nombre et la variété des ouvrages qu'il
a soumis à son examen, il pousse plus lom que Cernysevskij ne l'avait
jamais fait l'application de l'esthétique du maître à la théorie de la litt
érature et de la critique. Aussi voit-on chez lui apparaître, plus nettement
encore que chez Cernysevskij lui-même, la contradiction foncière qui
mine invisiblement la pensée esthétique de ce dernier.
Chez Cernysevskij déjà se dessine un conflit virtuel entre l'idée de la
réalilé représentée comme la source de tout art légitime et la littérature
'' HHS, X4IV ( 1 9 4 S) p. 107-iyS : «G :rnyšívsk j esthéťcien et critique». CRITIQUE DE DOBROLJUBOV. 35 ЬА
de tendance dont il se fait le champion : l'esthétique de la réalité, même
élargie en esthétique de la «vie » , ne peut, à rester sur un terrain purement
scientifique, autoriser les conclusions pratiques dont Cernysevskij
a besoin. La même incompatibilité interne se retrouve naturellement chez
Dobroljubov, mais elle éclate chez lui avec plus d'évidence externe que
chez Cernysevskij, parce que Dobroljubov, de qui l'œuvre critique est
incomparablement plus étendue, et qui possédait un tempérament
moins réservé, a davantage multiplié les professions de principe, quitte
à s'empêtrer, ostensiblement cette fois, dans une contradiction dont il ne
semble d'ailleurs jamais avoir entrevu le nœud.
Cernysevskij ne se lassait pas de parler au nom de la science, mais
il n'était lui-même ш mathématicien, ni physicien, m chimiste, ni astr
onome, ni naturaliste, ni anthropologue, ni juriste, ni historien. C'est tout
juste s'il réussit a devenir un économiste distingué. Il était avant tout
journaliste, ce qui lui conférait le droit de parler de tout sans avoir
rien approfondi spécialement. Nous ne songeons certes pas à nier que
Cernysevskij ait été un homme su périeu rement instruit et au courant de
beaucoup des découvertes de la science de son temps. Mais chacun sait
quel abîme existe entre un homme cultivé et un savant qui fait progresser
sa spécialité. Qu'était donc la science pour Cernysevskij? Rien de plus
qu'un système de références destiné à fournir des confirmations scienti
fiques à ses préférences morales et politiques. C'est de la même manière
qu'un théologien se réfère d'aventure à la science pour donner une appa
rence de justification scientifique à des croyances toutes mystiques. Comme
pour tous les grands publicistes et agitateurs politiques de son pays, de
Belinskij à Lemn inclusivement, la science a été pour Cernyševskij une
servante complaisante qui ne marchande ni ses services ni ses faveurs.
De même, pour qui s'en tiendrait aux apparences, c'est sur une doctrine
esthétique systématique que Dobroljubov appuie ses jugements sur la
valeur des œuvres qu'il soumet à sa critique. Qu'est-ce que l'art? Quels
sont les rapports du sujet et de l'objcl, de l'esprit de i'aruste et de la
matière de son œuvre? Quels sont les rapports de l'art et de la morale?
De l'art et de la société? Autant de problèmes que Dobroljubov tranche
avec une gravité doctorale, en empruntant toutes ses solutions à la thèse
célèbre de Cernyse\ski|. Toutefois, en y regardant d'un peu près, on con
state que ses arrêts resteraient ce qu'ils sont si la philosophie esthétique
au nom de laquelle ils sont prononcés n'existait pas. On s'aperçoit en
d'autres termes que les jugements littéraires de Dobroljubov découlent
avant tout de ses axiomes moraux et politiques. C'est ainsi que ces adver
saires impénitents de l'art indépendant se posent en même temps en
esthéticiens consommés, alors qu'il n'y a plus d'esthétique, mais seulement '
1
CHARLES CORBET. 36
des collections de recettes pratiques, à partir du moment où l'on
a cessé de considérer l'art comme une valeur en soi.
C'est par l'exposé des principes esthétiques abstraits de Dobroljubov
que nous commencerions toute étude sur ses idées littéraires si, cédant
aux prestiges d'apparences habilement ménagées, nous pouvions admettre
que sa critique s'inspire effectivement de ces principes dans la déterminat
ion de ses jugements. Nous suivrons en réalité une méthode inverse, en
établissant en premier heu les rapports de ses jugements avec ses idées
morales et politiques, qui en sont les véritables inspiratrices, et en déga
geant ensuite seulement les principes esthétiques sur lesquels le critique
se donne l'air de fonder ses sentences.
Nous serons amenés de la sorte à constater qu'alors que ces dernières
découlent sans difficulté des idées morales de leur auteur, il existe au
contraire un important hiatus entre sa doctrine esthétique abstraite et
ses attitudes critiques concrètes. L'habit ne couvrant pas exactement le
corps auquel il est destiné, le tailleur a dû procéder au moment de l'essayage
à l'addition d'une bande d'étoffe supplémentaire. D'où la trace d'incon
testables points de suture qui trahissent les efforts du critique pour jus
tifier par les conséquences inéluctables d'un système esthétique d'appa
rence impartiale et objective des jugements qui, en réalité, découlent des
postulats moraux et politiques qui avaient la préférence personnelle de
leur auteur.
La démarche critique réelle.
«Pour la littérature, se mettre au service du progrès social est le plus
sacré des devoirs» (1). Jamais Dobroljubov n'a formulé son credo littéraire
avec plus de sincérité que le jour où, dans son article sur Croquis de pro
vince de Saltykov-Sčedrin, il a énoncé cet aphorisme qui ne comporte
aucune amphibologie pour quiconque connaît les idées politiques des
radicaux des années 60.
Ces idées sont admirablement résumées par Dobroljubov lui-même
dans les propos ci-dessous : «L'anéantissement des parasites et l'élévation
des travailleurs, voilà la tendance constante de l'histoire» (2) ; «si les
rapports sociaux existants sont en désaccord avec les exigences de la
justice supérieure, et ne satisfont pas les aspirations au bonheur dont vous
avez conscience, alors, seinble-t-il, il est clair qu'il faut changer radical
ement ces rapports. Il ne peut y avoir de doute en l'occurrence. Vous devez
' (Ai uvres, I; 18 A. Nous donnons nos références à Dobroljubov d'après le tome et la
paj't; de ľédihon pročum; ù Moscou par 1*. L. Lebedev-l'oljansk'j au cours d

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