La culture comme fait social global ? Anthropologie et (post)modernité - article ; n°148 ; vol.38, pg 201-223
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Description

L'Homme - Année 1998 - Volume 38 - Numéro 148 - Pages 201-223
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jackie Assayag
La culture comme fait social global ? Anthropologie et
(post)modernité
In: L'Homme, 1998, tome 38 n°148. pp. 201-223.
Citer ce document / Cite this document :
Assayag Jackie. La culture comme fait social global ? Anthropologie et (post)modernité. In: L'Homme, 1998, tome 38 n°148. pp.
201-223.
doi : 10.3406/hom.1998.370584
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1998_num_38_148_370584La culture comme fait social global ?
Anthropologie et (post)modernité
Jackie Assayag
« Toute l'idée de la mer est dans une goutte d'eau. »
Spinoza
|V
L_ idée selon laquelle nous vivons dans un seul monde est aujourd'hui devenue
un cliché. L'exemplifie la publicité cocardière de cette boisson désormais planét
aire qui, par le truchement de jeunes consommateurs blonds comme les blés,
proclame : « We are the world ! » Les responsables de la richissime compagnie
ne sont cependant pas dupes de l'image de marque qu'ils diffusent lorsqu'ils
déclarent : « We are not a multi-national, we are a multi-local » (Morley 1991 :
15). De fait, leur service marketing a récemment recyclé un récit folklorique
fameux dans une publicité télévisée afin de « make Coke Russian in Russian
people's eyes » ; en soixante secondes, on y voit les rusés frères du fils du tsar et
le loup gris magique aider Ivan à retrouver les pommes d'or du souverain1. La
production et la consolidation de la différence et de la variété sur des marchés
segmentés — qualifiées parfois à ce titre de « glocalization »2 — sont ainsi deve
nues l'ingrédient essentiel du capitalisme contemporain ; ce pour quoi ses stra
tèges promeuvent à la fois l'homogénéité et l'hétérogénéité culturelles qui
conditionnent son succès.
Dans la proche banlieue de Bombay, à proximité du plus grand bidonville
d'Asie, s'élève désormais la nouvelle ville connue sous le nom de SCEEPZ —
Santa-Cruz Electronic Export Processing Zone — qui abrite, entre autres firmes
transnationales, les services informatiques de Swissair et de l'américain AT&T
dont les « softwares » sont écrits en langues hindi, tamoul et marathi. Ici comme
partout ailleurs dans le monde, on y trouve ces produits manufacturés portant la
À propos de Arjun Appadurai, Modernity at Large. Cultural Dimensions of Globalization,
Minneapolis-London, University of Minnesota Press, 1996, bibl., index, 229 p. (« Public Worlds Series » 1).
1. Rapporté dans un article du journal britannique The Observer, 15/03/98. Pour une périodisation de
la politique de conquête des marchés mondiaux de l'entreprise Coca-Cola, cf. Howes 1996 : 3-4.
2. La notion serait issue du terme japonais dochakuka (dérivé de dochaku, « vivre sur sa propre terre »)
qui fait référence à l'adaptation d'une technique agricole aux conditions locales ; il a été repris par les
hommes d'affaires nippons dans les années 80 (Robertson 1992 : 173 ; 1995 : 28).
L'HOMME 148/ 1998, pp. 201 à 224 mention suivante : « Made in one or more of the following countries : Korea,
Hong Kong, Malaysia, Taiwan, Mauritius, Thailand, Indonesia, Mexico,
202 Philippines. The exact country of origin is not known »3. Cette création d'une
ville informationnelle dans un non-lieu et la production de biens manufacturés
provenant de nulle part ne font pas qu'attester de cette recherche tous azimuts
des coûts les plus bas par une économie mondialement intégrée qui a succédé à
celle des blocs antagonistes de l'après-guerre froide. Elles montrent aussi qu'une
nouvelle économie informationnelle globale est apparue dans le dernier quart
du XXe siècle4.
Ces exemples seraient anecdotiques s'ils ne confirmaient que les choses
(bonnes ?) à boire, à consommer, à informatiser, peuvent donner à penser, y comp
ris aux anthropologues. Au demeurant, nombre d'entre eux s'y appliquent déjà.
C'est notamment le cas de Clifford Geertz (1983) dont le projet s'était pourtant
confondu avec la description intensive du « local ». Il défend aujourd'hui la
nécessité « d'élargir l'intelligibilité du discours entre des peuples fort différents les
uns des autres par leur intérêt, leur apparence, leur richesse, leur pouvoir, et vivant
désormais dans un monde qui les lie par une connexion sans fin », un monde dans
lequel « le spectre du mélange des différences est toujours plus large », où « ici » et
« là » sont « toujours moins insulaires, toujours moins bien définis, toujours moins
spectaculairement contrastés (quoique toujours profondément tels) ». Et de
conclure que « quelque chose de nouveau a émergé à la fois sur le "terrain" et dans
le milieu académique »5.
Pourtant, au regard de l'origine boasienne du concept ethnologique de
« culture » — avancé pour démonétiser celui, confus et déterministe, de race et
conférer autonomie et consistance (culturelle) au groupe dans son lieu —, on voit
mal à quoi pourrait correspondre une telle « méta-culture ». Cela signifierait-il
que les cultures hétérogènes sont progressivement incorporées et intégrées dans
une culture dominante qui couvrirait éventuellement le monde entier ? Ou qu'en
raison de la compression du temps les cultures sont façonnées par les mêmes év
énements et que celles qui se tenaient hier séparées entrent maintenant en contact
et se juxtaposent ? Que l'on assiste à une mise en connexion d'espaces et de temp
oralités antérieurement autonomes à travers la multiplication et l'accélération
de flux de vaste amplitude ? Ou encore que la « créolisation » ou 1'« hybrida
tion »6 des cultures sont telles qu'apparaît sous nos yeux, ou par la médiation
d'écrans, une culture pour tous inédite ?
Quelle que soit la diversité des réponses à ces questions, ou les disputes à pro
pos de leur formulation, un courant majeur des sciences sociales a d'ores et déjà
3. Sur ces zones urbaines « frontières » et ces produits de nulle part, cf. Barber 1995 : 18, 14. Pour une
autre acception de la notion de « non-lieu », cf. Marc Auge, Non-lieux. Introduction à une anthropologie
de la surmodernité, Paris, Le Seuil, 1992 (« La librairie du XXe siècle »).
4. C'est du moins la thèse de Michael Castells qui écrit fort prudemment : « I am not convinced that
the new infrastructure based on information technology does not introduce a qualitative social and eco
nomic change, by enabling global processes to operate in real time » (Castells 1 996b : 244, n. 4) .
5. Je traduis ici quelques extraits de son livre Works and Lives. The Anthropologist as Author (Geertz
1988 : 147-148).
6. Ces termes ont été respectivement estampillés par Ulf Hannerz (1987) et Homi Bhabha (1994).
Jackie Assayag aux spécialistes des sociétés de prendre acte du caractère mixte, créolisé, enjoint
hybride, fragmenté, déterritorialisé des cultures, voire d'étudier cette (contradic
tion dans les termes qu'est la) « culture mondiale », qu'elle soit virtuelle ou actuelle. 203
C'est à cette aune que les disciplines doivent être repensées, peut-on lire dans des
travaux toujours plus nombreux et de plus en plus agressifs d'auteurs majoritair
ement anglophones quoique largement inspirés de penseurs francophones.
Aujourd'hui, un spectre hante le monde et l'anthropologie (post) modernes7 : celui
de la « globalisation ».
Une anthropologie culturelle de la globalisation
La publication du dernier livre d'Arjun Appadurai est l'occasion d'ouvrir la
pensée à ces questions. Moins parce que cet auteur propose un état des lieux des
principaux travaux sur ce thème, particulièrement florissant dans les pays anglo
phones, que par son intention (explicite dans le sous-titre de l'ouvrage) d'étudier
les dimensions culturelles du phénomène. Penser l'anthropologie au-delà du
local, de la culture, de l'ethnie et de la nation, dans un monde en proie à la « glo
balisation », est en effet le but que s'assigne depuis plus d'une dizaine d'années
Arjun Appadurai, professeur d'anthropologie, des civilisations et des langues
d'Asie du Sud à l'Université de Chicago. Appréhender la modernité dans sa
dimension transnationale, c'est-&#

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