La dramaturgie des débats télévisés des élections présidentielles françaises
69 pages
Français

La dramaturgie des débats télévisés des élections présidentielles françaises

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
69 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

La dramaturgie des débats télévisés des élections présidentielles françaises Il est maintenant établi que la visibilité politique passe prioritairement par la médiation télévisuelle. Cette rencontre entre le principal média de masse et les acteurs politiques en quête du public le plus large n’a rien de surprenant en démocratie où l’élection est pragmatiquement une lutte pour obtenir la majorité des voix. Etre présent à la télévision constitue la première étape nécessaire dans l’itinéraire canonique de l’homme politique contemporain. Pour autant, l’effet vitrine n’est pas suffisant, il ne traduit que le droit d’entrée dans la sphère du débat public et de la compétition pour gravir les postes à responsabilité. A la furtivité de l’apparition doit répondre son inscription dans les séquences du temps politique national. La seconde étape de ce parcours initiatique a pour objectif la figuration durable dans l’agenda médiatique. D’où la lutte âpre pour être invité ou être cité au journal télévisé, devenu le dispositif majeur pour sélectionner les acteurs, faire émerger les thèmes de campagne et scander les temps forts des échanges. De ces formes obligées de l’examen de passage à la télévision, seuls quelques « ténors » émergent. Forts de leur notoriété, ils sont tôt mobilisés en vue de la compétition ultime que représente l’élection présidentielle au suffrage universel. Dernière étape de cette séquence politique à la télévision, le débat ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 157
Langue Français

Extrait

La dramaturgie des débats télévisés des élections
présidentielles françaises

Il est maintenant établi que la visibilité politique passe
prioritairement par la médiation télévisuelle. Cette
rencontre entre le principal média de masse et les
acteurs politiques en quête du public le plus large n’a
rien de surprenant en démocratie où l’élection est
pragmatiquement une lutte pour obtenir la majorité des
voix. Etre présent à la télévision constitue la première
étape nécessaire dans l’itinéraire canonique de
l’homme politique contemporain. Pour autant, l’effet
vitrine n’est pas suffisant, il ne traduit que le droit
d’entrée dans la sphère du débat public et de la
compétition pour gravir les postes à responsabilité. A
la furtivité de l’apparition doit répondre son inscription
dans les séquences du temps politique national. La
seconde étape de ce parcours initiatique a pour objectif
la figuration durable dans l’agenda médiatique. D’où la
lutte âpre pour être invité ou être cité au journal
télévisé, devenu le dispositif majeur pour sélectionner
les acteurs, faire émerger les thèmes de campagne et
scander les temps forts des échanges. De ces formes
obligées de l’examen de passage à la télévision, seuls
quelques « ténors » émergent. Forts de leur notoriété,
ils sont tôt mobilisés en vue de la compétition ultime
que représente l’élection présidentielle au suffrage
universel. Dernière étape de cette séquence politique à
la télévision, le débat d’avant-deuxième tour apparaît depuis un quart de siècle en France comme le point
d’orgue de la campagne : à grand événement, grande
dramaturgie.
La généalogie du débat « à la française »
Comme genre, le débat politique est né aux Etats-Unis
avec l’affrontement célèbre entre Nixon et Kennedy.
L’histoire le fixe comme forme dramatique intense et à
portée décisive sur le choix final des électeurs : moins
bon dans le débat, Nixon aurait été battu dans le
scrutin. Toujours latente dans la classe politique, la
crainte des effets tout puissants des médias ne peut
empêcher la montée en puissance du genre et sa
systématisation. Après son abandon provisoire, sa
reprise aux Etats-Unis en fait un modèle exportable.
1974 : en France, les présidentielles seront l’occasion
de son intronisation sur proposition de Alain Duhamel.
Nouveau genre dans l’arène française, ses règles
commencent à être formulées. Les traditions nationales
fixent leur empreinte : deux gros chronomètres visibles
assurent le contrôle de l’égalité des temps de parole, et
par là sa crédibilité dans un pays qui ne connaît plus
l’alternance politique. L’arbitrage est assuré par deux
journalistes (Jacqueline Baudrier et Alain Duhamel)
qui distribuent la parole et veillent à la répartition
équilibrée des thèmes. Tenu au studio 101 de la
Maison de la radio, le débat met en présence les deux
candidats les mieux placés du premier tour. La position
assise et le face à face, de part et d’autre d’une table,
donnent au débat français sa particularité : comme à
2 l’école, on ne pense bien qu’assis sagement devant son
bureau. Ce premier débat apparaît comme une pièce
rapportée dans un système marqué encore par le poids
considérable de l’écrit. Deux indices, cependant, se
révèlent prémonitoires pour l’avenir du genre. Valéry
Giscard d’Estaing assoit d’emblée sa stratégie sur un
choix scénique où François Mitterrand est dans la
position de l’élève qui doit faire ses preuves (en
économie). Ainsi défini, le débat devient un jeu de
rôles, physique et mental. Le questionneur se montre
tour à tour hautain (la main au menton dans l’attente
d’une réponse), sensible (la fameuse répartie :
« Monsieur Mitterrand, vous n’avez pas le monopole
du cœur » ou sévère dans son jugement (« vous êtes un
homme du passé »). Grand moment de dramaturgie, le
débat-duel rejoint les grands combats d’homme à
homme de l’anthologie télévisuelle, au même titre que
les affrontements sportifs avec Anquetil et Poulidor
dans le cyclisme ou Borg et Mac Enroe au tennis. La
similitude de situation se traduit logiquement dans la
manière de filmer : le réalisateur du premier débat-
Lucien Gavinet- vient du sport et, plus tard en 1995, la
caméra qui suit Jacques Chirac dans sa voiture est celle
du tour de France.
1981 : le débat est inéluctable tant la montée
dramatique atteint son pic avec ce nouvel affrontement
des deux candidats déjà présents en 1974. L’occasion
de revanche est là. Mis sous pression, François
Mitterrand fait sienne la logique propre à la
3 communication audiovisuelle. Sous l’autorité (morale)
de Robert Badinter, une commission remodèle le
protocole existant et donne des règles pérennes au
genre, puisque reprises telles quelles en 1988 et en
1995. Deux d’entre elles sont à retenir, symboles d’une
évolution majeure par rapport au débat de 1974:
l’énoncé des arguments doit être intégré à une stratégie
énonciative. La manière de filmer l’illustre
concrètement. Si chaque candidat est assisté du
réalisateur de son choix- Ph.Herzog pour VGE,
S.Moatti pour F.Mitterrand, les options retenues dans
les deux camps diffèrent : d’un côté l’indifférence au
type de plan, de l’autre le choix pour l’alternance du
plan rapproché et du plan moyen. Serge Moatti
s’expliquera peu après dans « les Cahiers du cinéma »
(octobre 1981) : « lorsqu’on voit FM en plan moyen, il
a un côté ramassé, un peu vieux monsieur enfin
monsieur âgé. Il fallait le montrer tel qu’il
était…homme de passion et de foi, en gros plan ».
Affaire de confiance, l’adhésion passe par l’exhibition
des signes de « l’être vrai ». On le voit la syntaxe de
l’image détermine le sens, il en est de même avec la
gestion de l’espace. La forme frontale du face à face de
1974, qui imprime un tempo rapide et donc risqué pour
le débatteur, est remplacée par la figure triangulaire
(VGE , FM et les journalistes). Le candidat Mitterrand
peut ainsi jouer de l’alternance des adresses, tantôt à
son adversaire, tantôt aux journalistes (M.Cotta et
J.Boissonnat). Il en use en maître stratège se permettant
4 de réfuter le cadre d’analyse de son adversaire sans le
regarder (son regard est tourné vers les journalistes pris
en témoin) et en parlant de lui à la troisième
personne (« M.VGE, il…). La stratégie de
disqualification se fonde sur le pari gagnant d’une
combinatoire interactionnelle.
1988 : la situation de cohabitation renouvelle l’intérêt
du débat. La manière de filmer s’appuie sur le
protocole de 1981 et aucun des deux candidats ne
remet en cause l’abandon du plan cut. Le principe du
« on ne voit que celui qui parle et pas celui qui
écoute » (rappelé par les journalistes M.Cotta et
E.Vannier)frustre le téléspectateur tout autant qu’il
rassure les débatteurs ! L’écart entre la parole et
l’image n’a jamais été aussi grand que lors de la passe
d’armes autour de l’affaire Gordji (diplomate iranien
soupçonné de collusion terroriste et expulsé de
France): J.Chirac reste seul à l’écran au moment où il
demande à son adversaire de soutenir ce qu’il vient de
dire « yeux dans les yeux ». Quelques (longues)
secondes passent et F.Mitterrand , à son tour seul à
l’image, réplique avec malice « yeux dans les yeux, je
peux dire… ». L’absurdité est totale pour un échange
en face à face. La récurrence de marques formelles fait
donc sens. Au niveau verbal, ce jeu autour de la
répétition des signes est repris par François Mitterrand
qui désigne obstinément son adversaire « Monsieur le
premier Ministre ». Le ressort dramatique du débat se
nourrit de l’incertitude de statut de Jacques Chirac.
5 Restera-t-il le premier Ministre ou parviendra-t-il à se
hisser au niveau de sa prétention présidentielle ? La
rouerie de son adversaire ne lui laisse guère de chance
de s’en ti

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents