La marginalité en religion - article ; n°59 ; vol.18, pg 31-40
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Description

Romantisme - Année 1988 - Volume 18 - Numéro 59 - Pages 31-40
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 12
Langue Français

Extrait

Frank Paul Bowman
La marginalité en religion
In: Romantisme, 1988, n°59. pp. 31-40.
Citer ce document / Cite this document :
Bowman Frank Paul. La marginalité en religion. In: Romantisme, 1988, n°59. pp. 31-40.
doi : 10.3406/roman.1988.5474
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1988_num_18_59_5474Frank Paul BOWMAN
La marginalité en religion
< A aucune époque, l'humanité n'eut plus de
sauveurs que de notre temps. Quelque part que
l'on marche, on met le pied sur un messie, cha
cun a une religion en poche, et entre les for
mules du parfait bonheur, on n'a que l'embarr
as du choix. Je ne choisis pas, car j'essayai
tout. »
(Louis Reybaud, Jérôme Paturot à la recher
che d'une position sociale, 1842.)
Je reprends ici un problème que j'ai traité sous divers aspects et à plu
sieurs reprises1 : Tefflorescence dans la première moitié du xixe siècle en
France de nouveaux cultes, nouveaux prophètes et messies, greffes margi
nales sur la tradition religieuse qui sont toutes plus ou moins politisées,
d'ordinaire à gauche, c'est-à-dire qu'elles épousent les thèses et théories du
socialisme « pré-marxiste » . Cette marginalité a été beaucoup discutée et
diversement analysée par ceux qui ont étudié les liens du romantisme et de
la religion, l'éventail allant de ceux qui y voient^es phénomènes proto-
fascistes à ceux qui y discernent une admirable expression de protestation
sociale et d'espérance. J.S. Talmon est un représentant typique de la pre
mière lecture, moi-même de la deuxième, avec entre nous Paul Bénichou,
Michel Nathan, Claude Lefort, Miguel Abensour, et d'autres2. Des margi
naux donc fort discutés et discutables, et c'est une discussion qui pose beau
coup de problèmes. Avant de les aborder, je précise d'emblée qu'à mon avis
le phénomène ne peut s'expliquer qu'à l'aide de trois techniques d'analyse :
celle d'Ernst Bloch, dérivée de Feuerbach, qui voit dans l'espace religieux
une reformulation évoluant historiquement du Principe Espérance 8 ; celle
de Michel Foucault et R.D. Laing, qui voient dans le discours social (et sa
pratique) sur la folie un instrument dominateur de préservation du statu quo,
et donc dans la folie religieuse une forme de protestation sociale que la
société refuse ; enfin, celle d'Henri Desroche 4, qui partage les présupposés
des deux premiers, mais se centre sur la variété des relations entre société
et marginalité religieuse, en laquelle il voit, comme Bloch, une forme d'uto-
pisme, et qui situe ces problèmes dans le domaine (et la discipline) de l'a
nthropologie des religions. L'optique de Desroche me semble particulièrement
utile parce que la marginalité est ici fort difficile à définir.
Peut-on définir la marginalité ?
Car comment définir ce qui est marginal en religion, surtout en France
post-révolutionnaire, après le culte de l'Etre suprême, après les théophilan
thropes, après la Petite Eglise ? Cheneau, qui dérivait de son nom la convie- 32 Frank Paul Bowman
tion qu'il était le chaînon entre la terre et le ciel, de son lieu de naissance
(Mennetou-sur-Cher) la certitude qu'il devait mener tous les hommes au
salut, de Vagnus dei l'obligation de distribuer du gigot et non du pain à la
messe, est parfaitement marginal, surtout quand on lit sa formule pour la
distribution du vin : « Buvez-en chacun un peu ; faites de manière qu'il
m'en reste » 5. Mais à partir de là se déploie un éventail où les démarquages
deviennent difficiles. La non-appartenance à l'Eglise catholique et aposto
lique ne peut guère définir une marge signifiante quand le protestantisme
acquiert droit de cité, s'embourgeoise, et sous Louis-Philippe monte au
pouvoir. Et le catholicisme même n'était guère monolithique : il y avait une
conscience accrue de l'existence d'une Eglise d'Orient et d'une Eglise angli
cane (celle-ci a d'ordinaire très mauvaise presse), pour ne pas parler des
survivances du jansénisme (la revue janséniste continue à se publier à tra
vers la Restauration, et Saint-Séverin reste longtemps aux mains des jansé
nistes — pour devenir cent cinquante ans plus tard centre du renouveau
liturgique ; surtout, il y avait Grégoire) et de l'existence de la Petite Eglise
de la Vendée qui, elle, se situe à droite, à ceci près qu'elle constituait à ses
origines, en partie, une protestation contre la conscription bonapartiste. Nier
la divinité du Jésus de l'histoire, son incarnation comme unique, ne vous
situe pas non plus en marge du discours religieux quand le Consistoire de
Genève et beaucoup de catholiques, dans leurs efforts pour redéfinir la
Trinité et surtout son deuxième membre, en font tout autant. Il y avait
d'autres Christs, et on ne devient pas fou en disant qu'on en est un : Enfant
in accepta la comparaison, Balzac l'applique à Goriot, Stendhal peut-être
à Julien Sorel. Les idées des plus fous parmi les nouveaux messies — par
exemple, le messianisme de la femme, ou de la France, Christ des nations —
sont partagées par Bûchez, les saint-simoniens, et beaucoup d'autres. Toutes
les thèses excentriques, dans un langage différent peut-être, se retrouvent
chez des gens « sérieux » qui sont entrés dans l'histoire littéraire ou l'histoire
des idées. On pourrait conclure de là que la « folie » n'est jamais très ori
ginale, ce qui est sans doute vrai, et se démarque par sa manière de s'e
xprimer bien plus que par ce qu'elle a à dire. Je me console en relevant que
tion au Sacré-Cœur (pourquoi pas le Sacré Orteil ? demande-t-il), et Erdan
n'arrivent pas non plus à donner une définition satisfaisante de la marginali
té, car, avec une visée polémique délicieusement ironique, ils y rangent,
Grégoire les « Cordicoles >, c'est-à-dire les jésuites propagateurs de la dévo
tion au Sacré-Cœur (pourquoi pas le Sacré Orteil ? demande-t-il) et Erdan
« l'excentricité médiévale », Chateaubriand et Maistre. Plus grave
est la question de savoir si on définit francs-maçons, swedenborgiens, ceux
qui sont redevables à la tradition illuministe, comme marginaux. Ils inspirent
des plus fous, Fabre-Palaprat, Cheneau, qui a traduit Swedenborg, Tourreil,
mais ils ont inspiré aussi ce qu'il y avait de plus central dans le romantisme,
Balzac, Sand, Baudelaire.
Le protestantisme d'alors offre peut-être une clef à ce problème. Le
Réveil constitue à la fois un refus du libéralisme de l'Aufklàrung, un retour
aux sources de la foi, à la Bible qu'on essaie de lire de manière littéraire,
et un renouveau de l'enthousiasme. Or, en Angleterre, les mouvements
paralèlles au Réveil sont caractéristiques des couches populaires ou de la
petite bourgeoisie, souvent associés à une revendication sociale, et refusés
en gros, rejetés (le méthodisme) par les anglicans et les calvinistes d'Ecosse.
En France, pour simplifier, la « h. s. p. » épouse la cause du Réveil tout en Marginalité en religion 33
l'embourgeoisant, et si on y trouve un programme d'action politique, c'est
l'abolition de l'esclavage, qui a la vertu de se situer en dehors des frontières
de la France. Les efforts étrangers pour implanter en France des sectes
enthousiastes (méthodisme, darbysme) n'ont guère eu de succès, pour des
raisons que Séguy analyse d'une manière qui peut sembler paradoxale T.
D'un côté, c'étaient des mouvements qui situaient le bonheur-Royaume au
ciel, alors que les classes inférieures en France avaient les yeux fixés sur la
terre ; d'un autre le protestantisme français, s'embourgeoisant, n'avait rien
à faire avec ces formes de marginalisation. Paradoxe justifié : il fallait que
le discours religieux en France fût politiquement signifiant — c'est d'ailleurs
ce qui le distingue du discours allemand ou anglais — et qu'il fût un discours
des clercs, de la bourgeoisie.
Si on parle d'un effort pour reformuler la religion en marge du chris
tianisme existant, il faudrait y englober Lamennais, Quinet, Sand, pour ne
pas parler de Saint-Martin et de toute l'influence illuministe dans le romant
isme français. A ce sujet, relevons que la marginalité religieuse à résonances

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