La militarisation de l État en Amérique latine - article ; n°68 ; vol.17, pg 857-890
35 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La militarisation de l'État en Amérique latine - article ; n°68 ; vol.17, pg 857-890

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
35 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Tiers-Monde - Année 1976 - Volume 17 - Numéro 68 - Pages 857-890
34 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1976
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Michael Löwy
Eder Sader
La militarisation de l'État en Amérique latine
In: Tiers-Monde. 1976, tome 17 n°68. L'Amérique latine après cinquante ans d'industrialisation (sous la direction de
Pedro Calil Padis). pp. 857-890.
Citer ce document / Cite this document :
Löwy Michael, Sader Eder. La militarisation de l'État en Amérique latine. In: Tiers-Monde. 1976, tome 17 n°68. L'Amérique
latine après cinquante ans d'industrialisation (sous la direction de Pedro Calil Padis). pp. 857-890.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1976_num_17_68_2673LA MILITARISATION DE L'ÉTAT
EN AMÉRIQUE LATINE
par Michael Lôwy* et Eder Sader
L'Amérique latine est le continent classique des pronuncîamientos et
des juntes militaires.
Les dictatures militaires sont, en effet, un trait caractéristique de son
histoire politique, depuis les caudillos militaires qui ont dirigé les processus
d'émancipation nationale au début du xixe siècle (Bolivar, San Martin,
O'Higgins, etc.). Depuis cette époque, les dictatures militaires ont
toujours été une des ressources utilisées par les classes dominantes pour
imposer leur ordre aux époques de crise.
Après l'indépendance, les régimes militaires ont été le moyen d'en
finir avec les résistances colonialistes. Ces régimes furent, ensuite, le
moyen d'étouffer les tendances « plébéiennes » qui, au sein des mouve
ments d'émancipation, menaçaient la société oligarchique. Finalement,
ils ont été le moyen d'imposer la formation des Etats nationaux contre
les tendances séparatistes des fractions oligarchiques les plus arriérées.
Une fois le nouvel ordre établi, les caudillos auront joué leur rôle et
céderont le pas à des systèmes politiques plus stables et plus représent
atifs de l'ensemble des oligarchies (i).
A partir du début de ce siècle, lorsque l'économie primaire export
atrice commence à présenter les symptômes d'une crise plus profonde
et quand les luttes sociales qui la mettent en danger deviennent plus
âpres, les régimes militaires seront l'instrument de sauvegarde des
intérêts établis. Il ne s'agit plus d'imposer un nouvel ordre mais de le
* Professeur à Piedes.
(i) Voir Halperin Donghi, Histoire contemporaine d'Amérique latine, Paris, Payot, 1972.
Berne Tiers-Monde, t. XVII, n° 68, octobre-décembre 76 857 MICHAEL LÓWY ET EDER SADER
défendre, de le maintenir. Pour cette raison, les tyrannies militaires
deviennent donc la norme dans ces régions plus arriérées.
Quand le processus d'urbanisation provoque un élargissement des
bases du pouvoir politique, c'est souvent des cadres militaires que
seront issus les leaders d'un mouvement anti-oligarchique, comme
l'étaient les tenentes (lieutenants) brésiliens des années 20, Marmaduke
Grove au Chili en 1932, Arbenz au Guatemala en 1944.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, une fois consolidés les
changements qui sont intervenus, en général, pendant les années 30
et à cause de l'impact de l'idéologie démocratique qui a présidé à la
victoire antinazie, une importante réduction du nombre des dictatures
militaires se fait sentir. Le sociologue américain E. Lieuwin compte
pour l'année 1947 pas plus de sept gouvernement dirigés par des officiers
de l'armée pour un total de 20 (1).
Néanmoins, au cours des quinze dernières années, on assiste à une
multiplication sans précédent des régimes militaires et à une élimination
progressive des gouvernements « démocratiques représentatifs » et à
une irruption massive du corps d'officiers sur la scène politique. A côté
des pays fréquemment gouvernés par des militaires (Bolivie, Amérique
centrale, etc.), on trouve d'autres qui avaient, au contraire, de longues
traditions « civiques ». Le Brésil, qui n'avait jamais dans son histoire
connu un régime militaire stricto sensu (l'Etat nouveau de Getulio Vargas,
193 7-1 945, n'était pas à proprement dire une dictature militaire), est
depuis onze ans gouverné par les forces armées; le Chili et l'Uruguay,
qui avaient une semblable tradition démocratique parlementaire de type
européen (ou à velléité européenne), sont eux aussi soumis à un pouvoir
militarisé.
Nous pourrons définir comme « pouvoir militaire » une forme d'Etat
où la hiérarchie militaire (le corps d'officiers supérieurs et moyens)
occupe le devant de la scène politique, i.e., assure le contrôle des postes
clés du gouvernement et les sommets de l'appareil de l'Etat (ministères,
grandes entreprises d'Etat, administration, etc.).
A partir de cette définition, on peut constater que l'écrasante majorité
de la population du continent vit actuellement sous un régime militaire.
En quoi consiste précisément la militarisation de l'Etat ou la poli-
(1) Voir E. Lieuwin, Mititarismo e politica na America latina, Rio de Janeiro, Zahar,
1964, p. 8.
858 LA MILITARISATION DE L'ÉTAT
tisation de l'armée ? Selon le sociologue déjà mentionné, il faut se
débarrasser du mythe selon lequel les forces armées en Amérique latine
sont une institution essentiellement militaire : « Le fait que ceci est
erroné devient très clair quand nous examinons leurs fonctions réelles.
Il y a deux — et seulement deux — fonctions militaires légales pour
une organisation des forces armées, à savoir, défendre la nation contre
l'agression externe et défendre le gouvernement en préservant l'ordre
intérieur. » Or, selon Iieuwin, les forces armées latino-américaines
n'affrontent aucun ennemi extérieur et, plutôt que défendre les gou
vernements constitutionnels, elles tendent très fréquemment à les
renverser... (i). A notre avis, cette distinction n'est pas assez signifi
cative : l'action de défendre le gouvernement et celle de le renverser
sont toutes les deux politiques. On ne peut pas définir comme « purement
militaire » et « apolitique » une intervention de l'armée pour défendre
un gouvernement « constitutionnel», que ce soit par une action répressive
(le massacre de Tlatellolco au Mexique en 1968) ou par un soulèvement
démocratique (l'insurrection « constitutionnaliste » de la République
Dominicaine en 1965).
La militarisation de l'Etat ne consiste donc pas dans le passage du
« purement militaire » au « politique », mais dans le débordement des
forces armées sur l'ensemble de l'appareil d'Etat, la « colonisation »
de la plupart des structures étatiques et para-étatiques (au sommet
de la pyramide) par les militaires, la fusion totale ou partielle entre les
appareils répressifs et les autres appareils du système de domination
politique.
Cette militarisation peut prendre la forme ouverte et explicite du
régime militaire proprement dit mais aussi des formes plus médiatisées,
plus « souterraines » dans lesquelles les forces armées n'occupent pas le
devant de la scène politique, ne « gouvernent » pas directement, mais
exercent dans les coulisses un contrôle plus ou moins étroit sur les
tenants formels du pouvoir, ou occupent progressivement quelques-unes
des structures étatiques : administration de certaines régions « vitales »,
extension « illimitée » de la justice militaire, etc. C'est le cas notamment
de la Colombie à l'heure actuelle.
Les régimes militaires et les dictatures civiles sont habituellement
(1) E. LiEuwiN, Generals vs. Presidents : mo-militarism in Latin America, New York, Praeger,
1964, p. 95.
859 MICHAEL LÔWY ET EDER SADER
désignés par le concept d'Etats ď exception. Cette terminologie nous
semble hautement contestable dans la mesure où elle semble considérer
implicitement l'Etat « constitutionnel », démocratique (formel) ou par
lementaire comme la norme et l'Etat militaire comme Г exception. Or,
l'histoire de l'Amérique latine depuis l'indépendance jusqu'au xxe siècle
et surtout au cours des quinze dernières années (et cela est valable pour
l'Asie, l'Afrique et l'Europe du Sud) tend à suggérer précisément
rhypothhe contraire : la « norme » c'est la dictature militaire ou civ

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents