La municipalisation complexe de la « sphère sociale » des entreprises russes : un aspect important et méconnu de la transition économique et sociale - article ; n°1 ; vol.1, pg 193-222

Cécile Lefèvre

Description

Revue d’études comparatives Est-Ouest - Année 2007 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 193-222
La « sphère sociale » des entreprises, soit l'ensemble des services et des prestations délivrés par et sur le lieu de travail, était traditionnellement très importante en Russie. La privatisation des entreprises a soulevé la question de la propriété, de la responsabilité, de la gestion... et de l'avenir de cette sphère. Son transfert vers les pouvoirs locaux a commencé en 1993 et s'est précisé en un mouvement de municipalisation (transfert vers les villes) à la fin de 1994. Loin d'être un processus simple et linéaire, cette municipalisation est demeurée partielle et hétérogène. Elle a servi de révélateur des relations entre villes et entreprises et a parfois suscité une redéfinition de leurs rôles respectifs dans la protection sociale de la population locale.
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: REVUE_D-ETUDES_COMPARATIVES_EST-OUEST
• Publié le: 01 janvier 2007
• Nombre de lectures: 19
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Madame Cécile Lefèvre
Dominique de Lapparent
La municipalisation complexe de la « sphère sociale » des
entreprises russes : un aspect important et méconnu de la
transition économique et sociale
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 1, 2007, N°1. La Russie : géographie des territoires. pp. 193-
222.
Résumé
La « sphère sociale » des entreprises, soit l'ensemble des services et des prestations délivrés par et sur le lieu de travail, était
traditionnellement très importante en Russie. La privatisation des entreprises a soulevé la question de la propriété, de la
responsabilité, de la gestion... et de l'avenir de cette sphère. Son transfert vers les pouvoirs locaux a commencé en 1993 et s'est
précisé en un mouvement de municipalisation (transfert vers les villes) à la fin de 1994. Loin d'être un processus simple et
linéaire, cette municipalisation est demeurée partielle et hétérogène. Elle a servi de révélateur des relations entre villes et
entreprises et a parfois suscité une redéfinition de leurs rôles respectifs dans la protection sociale de la population locale.
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Lefèvre Cécile, de Lapparent Dominique. La municipalisation complexe de la « sphère sociale » des entreprises russes : un
aspect important et méconnu de la transition économique et sociale. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 1,
2007, N°1. La Russie : géographie des territoires. pp. 193-222.
doi : 10.3406/receo.2007.1809
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_2007_hos_1_1_1809LA MUNICIPALISATION COMPLEXE
DE LA « SPHÈRE SOCIALE »
DES ENTREPRISES RUSSES
CÉCILE LEFÈVRE
Administratrice de l'INSEE, chercheur à l'INED et à l'EHESS ([e-mail]).
Résumé : La « sphère sociale » des entreprises, soit l'ensemble des services et des
prestations délivrés par et sur le lieu de travail, était traditionnellement très
importante en Russie. La privatisation des entreprises a soulevé la question de la
propriété, de la responsabilité, de la gestion... et de l'avenir de cette sphère. Son
transfert vers les pouvoirs locaux a commencé en 1993 et s'est précisé en un mou
vement de municipalisation (transfert vers les villes) à la fin de 1994. Loin d'être
un processus simple et linéaire, cette municipalisation est demeurée partielle et
hétérogène. Elle a servi de révélateur des relations entre villes et entreprises et a
parfois suscité une redéfinition de leurs rôles respectifs dans la protection sociale
de la population locale.
Cet article a initialement été publié sous le titre :
« La municipalisation complexe de la "sphère sociale" des entreprises russes.
Un aspect important et méconnu de la transition économique et sociale »
Revue d'études comparatives Est-Ouest, volume 32, n° 4, pp. 125-151.
IEST-OUEST 194 CÉCILE LEFÈVRE
Les villes russes ont, depuis quelques années, connu une évolution
majeure de leurs compétences et de leurs obligations dans le domaine de
la gestion des services sociaux. Suite à la libéralisation économique du
début des années quatre-vingt-dix, elles ont en effet été chargées de
reprendre les nombreux services et infrastructures sociales des entreprises
et d'assumer leur fonctionnement, leur entretien et une partie des
dépenses y afférentes. Comme l'ont montré plusieurs études, l'ampleur de
la sphère sociale des entreprises était considérable. On ne dispose pour
tant que de peu de statistiques et d'informations permettant de l'analyser.
Comme le disent avec humour R. Rybkina, L. Kosals et Ju. Simagin
(1999), ce processus de transfert devait, selon les projets de réforme ini
tiaux, être achevé en 1997... donc plus besoin de statistiques officielles sur
le sujet depuis cette date !
Il faut, par conséquent, s'appuyer sur quelques rapports de ministères
ou sur des bilans de la privatisation dans un secteur économique particul
ier, sur des monographies régionales et sur quelques enquêtes spécifiques.
Mais ces différentes sources envisagent le plus souvent le transfert du point
de vue des entreprises. À l'exception notable du livre de V. Leksin et
A. Slvecov (1998), peu de travaux ont été effectués sur ce processus comme
objet d'étude à part entière et surtout sur ce qu'il représente pour les villes.
Le vocabulaire utilisé pour le désigner varie d'ailleurs selon le point de
vue et la période : au début de la transition et du point de vue des entre
prises, on parle surtout de transfert (peredaca), tandis que, depuis
quelques années et du point de vue des villes, le terme de municipalisation
(municipalizacija) l'emporte. Il peut cependant être un peu trompeur : il
ne signifie pas un transfert de propriété mais de gestion, de prise en charge
par les municipalités, la question de la propriété de ces infrastructures
sociales « d'entreprise » restant plus complexe.
Débutant en 1993, le transfert de la sphère sociale des entreprises est
demeuré partiel, inachevé et parfois seulement formel. Mais il est égale
ment bien réel et son ampleur et sa rapidité sont grandes. Dans les faits,
des milliers de logements, de crèches, de polycliniques, d'établissements de
sport ou de repos ont été en quelques années recensés, évalués, transmis à
un nouveau gestionnaire. Leurs fonctions ont parfois été transformées, le
personnel y a souvent changé de statut, l'administration municipale a dû y
consacrer temps et moyens... Cette transformation institutionnelle
majeure est pourtant restée en grande partie inaperçue. Par ailleurs, le
processus s'est avéré paradoxal dans la mesure où il a pu contribuer à re
légitimer le rôle social des entreprises. Si l'on ne se cantonne pas aux dis
cours officiels du début de période, qui prônaient la cession au plus vite
par les entreprises de leurs actifs sociaux, et que l'on étudie de près les
comportements réels des entreprises et des municipalités (attentisme,
Les territoires de la Russie LA MUNICIPALISATION DE LA « SPHÈRE PRIVÉE » DES ENTREPRISES RUSSES 195
refus, coopération...), on constate que l'ensemble des dispositions
juridiques et fiscales ainsi que les contraintes rencontrées ont finalement
incité à conserver et à développer un système mixte de gestion de cette
sphère et que les entreprises disposent encore de nombreuses infrastruc
tures sociales. L'analyse devient alors plus ardue et n'est plus celle d'un
processus linéraire et univoque.
1. Les multiples enjeux de la municipalisation
de la sphère sociale des entreprises russes
Un des premiers travaux issus de la perestroïka sur la transformation
de la gestion des actifs sociaux d'entreprise est la thèse d'O. Leksina
(1991). Selon cet auteur, la protection sociale d'entreprise était à elle seule
un concentré de l'idéologie et du mode de production soviétiques et son
étude cristallise ainsi plusieurs dimensions - politique, économique, cul
turelle, sociale, idéologique... Une approche interdisciplinaire est donc
nécessaire pour embrasser l'ensemble des enjeux de la municipalisation
de ces actifs sociaux. Cela explique d'ailleurs en partie le faible nombre
d'études sur le sujet. Ce processus de transfert est souvent mentionné mais
de manière marginale et sous un angle particulier. Rares sont les études
qui montrent comment il peut être considéré comme le point de rencont
re de différents aspects de la transition.
La municipalisation soulève tout d'abord des questions de réforme et
de nature du système économique. En effet, à l'occasion du transfert, les
infrastructures et services sociaux doivent être valorisés, c'est-à-dire qu'on
doit leur attribuer une valeur, de manière quantifiée sinon monétaire. Cela
n'a parfois jamais été fait : dans le cas des cantines, des foyers d'héberge
ment, des magasins d'entreprises ou de certains jardins d'enfants, leur
existence et leur fonctionnement étaient tellement imbriqués dans l'activi
té générale de l'entreprise qu'ils n'avaient pas de statut ni de comptabilité
propres. Ce phénomène conjoint de « désencastrement » des fonctions
éc