La Part idéelle du réel. Essai sur l idéologique - article ; n°3 ; vol.18, pg 155-188
35 pages
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Description

L'Homme - Année 1978 - Volume 18 - Numéro 3 - Pages 155-188
34 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 36
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Maurice Godelier
La Part idéelle du réel. Essai sur l'idéologique
In: L'Homme, 1978, tome 18 n°3-4. pp. 155-188.
Citer ce document / Cite this document :
Godelier Maurice. La Part idéelle du réel. Essai sur l'idéologique. In: L'Homme, 1978, tome 18 n°3-4. pp. 155-188.
doi : 10.3406/hom.1978.367885
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1978_num_18_3_367885LA PART IDÉELLE DU RÉEL
Essai sur l'idéologique
par
MAURICE GODELIER
Le voyage de mille lieues commence par un pas.
Lao Tsbu, Too To King, poème lxiv
Pourquoi mettre en épigraphe cette belle parole de Lao Tseu, le Vieux comme
l'appelle Étiemble ? Ce n'est pas pour « faire bien » mais pour dire mieux ce que
nous aimerions faire en entreprenant, après tant d'autres, d'écrire sur les idéologies
ou plutôt sur l'idéologique. Nous aimerions avancer d'un pas hors de l'ornière
où semblent s'enliser rapidement toutes les analyses et continuer la route.
Quelque chose ne va pas dans les sciences humaines quand il est question
des idéologies. En caricaturant outrancièrement, nous dirons qu'en gros deux
thèses s'affrontent dans le vieux débat sur les rapports entre les idées et les réalités
sociales, l'histoire :
Thèse i. Les idées mènent le monde parce qu'elles façonnent à l'origine les réalités
sociales et poussent les sociétés et leur histoire dans un certain sens pour des
millénaires. A l'appui on invoque l'islam, l'hindouisme, le christianisme, le
maoïsme, soit de grandes idéologies religieuses ou politiques qui semblent avoir
façonné les hommes à leur image, avoir été la source vive d'où jaillit la réalité
et non le point d'arrivée, l'expression dans la pensée de réalités nées hors d'elle
et sans elle.
Thèse 2. Une société ne se réduit pas aux idées que ses membres peuvent s'en faire.
Il existe hors de la pensée des réalités qui s'en distinguent et ont plus de poids
qu'elle dans l'histoire, au premier rang desquelles les réalités sociales les rap
ports sociaux qui les organisent. Bref, dans l'ordre des matérielles et les
réalités infrastructurelles ont le « primat » sur les superstructures et les idées. De
toute façon, celles-ci ne viennent pas de nulle part et il faut bien qu'elles « corre
spondent » à une société et à une époque déterminées sur lesquelles elles « agissent
en retour ».
Le débat se noue là. Au primat de l'économique avancé par les marxistes pour
L'Homme, juil.-déc. 1978, XVIII (3-4), pp. 155-188. 156 MAURICE GODELIER
toute société, les non-marxistes objectent soit le primat de la parenté chez les
aborigènes australiens ou les Nuer (Radcliffe-Brown, Evans-Pritchard), soit le
primat de la religion (L. Dumont) dans le système des castes en Inde, soit
le du politique dans l'Athènes du Ve siècle av. J.-C. (K. Polanyi, E. Will).
Notons qu'opposer le primat de la parenté, de la religion ou du politique ce n'est
pas seulement souligner le primat de systèmes d'idées, c'est souligner celui d'idées
incarnées dans des institutions, devenues rapports sociaux, structures sociales,
devenues ce que les marxistes appelleraient des « superstructures ».
A y regarder de plus près, ce débat a toutes les chances de durer encore long
temps et aucune de progresser, c'est-à-dire de « faire faire » des progrès. Car les
deux camps partant de présupposés théoriques inconciliables, irréductibles, leur
confrontation ne se fait jamais sur le même plan.
Car que font les non-marxistes ? Bien que chacun oppose aux marxistes un
primat différent selon la société à laquelle il se réfère, tous procèdent de la même
façon à partir du même présupposé : ils invoquent le fait, l'existence d'un ordre
social visible, la domination visible, apparente, dans la pratique et dans la cons
cience sociales des membres de telle ou telle société, d'activités « superstructurelles »,
pour réfuter une hypothèse sur l'existence d'un ordre de causalités qui n'est pas, ne
peut être immédiatement visible, apparent, connu des individus et des groupes qui
composent ces sociétés. Dans cette perspective, ils peuvent reconnaître à la thèse
marxiste une certaine vérité, celle de correspondre à la logique de la société
capitaliste, la seule où l'économie domine apparemment l'organisation et la
marche de la société. Hormis ce cas particulier, l'hypothèse marxiste n'aurait
aucune valeur explicative, aucune portée scientifique. Ce serait pour d'autres
raisons, des raisons partisanes, que les marxistes s'entêteraient à prendre une
exception pour une règle, une loi, et s'acharneraient à y soumettre toutes les
sociétés, l'histoire, passée ou présente.
Or cette argumentation, qui semble n'invoquer que des faits et en tirer toute
sa force et tout son droit, repose sur une thèse supposée démontrée alors qu'elle
ne l'est pas. Cette thèse est bien connue, c'est celle de l'empirisme, qui suppose
que l'ordre visible des faits en montre par lui-même les raisons d'être, que l'ordre
même des faits les rend intelligibles. Cette thèse implique donc qu'il n'y a pas à
chercher derrière l'ordre visible des faits un ordre caché qui le réfuterait ou l'inclu
rait dans une explication différente produite par la science. C'est donc à partir
de cette thèse non démontrée que les empiristes invoquent le fait de la domination
de telle ou telle activité sociale dans telle société, comme si cette invocation suffi
sait à réfuter la thèse marxiste.
Les marxistes eux partent de la thèse opposée : l'apparence des faits ne révèle
pas leur essence. Ils ne sont pas seuls à le dire, et c'est pour cette raison qu'ils
sont rejoints par C. Lévi-Strauss et les structuralistes qui sont également par
principe anti-empiristes. Dès lors les marxistes sont contraints non seulement LA PART IDEELLE DU REEL 157
de démontrer que le fait de la « domination » de telle « superstructure » ne réfute
en rien l'hypothèse du primat des infrastructures, mais aussi de montrer comment
le primat des infrastructures « explique » la domination de telle ou telle super
structure. Quadrature du cercle, couronne d'épines ? On voit quelle croix doit
porter un marxiste s'il veut fonder la validité de son approche dans les sciences
humaines. Mais il ne s'en sortira pas en attaquant pour se défendre, même s'il
peut rétorquer aux empiristes qu'ils doivent eux aussi expliquer la domination
de telle ou telle superstructure et qu'il ne suffit pas d'invoquer la force d'une idée
— cette idée, d'où viendrait-elle, d'où tirerait-elle la force de s'imposer, de façon
ner les hommes et la société ? Ces questions s'adressent à lui autant qu'à l'autre.
Il lui est fait la même obligation d'y répondre. Et elles ne font que formuler à
nouveau le problème de la nature, du rôle, des fonctions, des idées, des idéologies
dans le fonctionnement et l'évolution des sociétés.
Pourquoi donc, si nous sommes à la fois conscient et de l'enjeu du débat, et
du dialogue de sourds auquel se réduit l'affrontement de thèses inconciliables,
nous embarquer sur cette galère en citant Lao Tseu et la perspective d'un voyage
de mille lieues ? Le premier pas consiste à transformer les termes mêmes du débat
à partir de deux résultats théoriques que nous résumerons ainsi :
1) Pour nous, la distinction entre infrastructure et superstructures n'est pas
une distinction de niveaux ou d'instances, ce n'est pas non plus une distinction
entre des institutions, bien que cela puisse l'être dans certains cas. C'est dans son
principe une distinction de fonctions. La notion de causalité en dernière instance,
de primat des infrastructures, renvoie à l'existence d'une hiérarchie de fonctions
et non à une hiérarchie d'institutions. Une société n'a pas de haut ni de bas et
n'est pas un système de « niveaux » superposés. C'est un système de rapports
entre les hommes, rapports hiérarchis

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