La représentation du « je » dans l œuvre de Velimir Xlebnikov - article ; n°1 ; vol.70, pg 151-162
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Description

Revue des études slaves - Année 1998 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 151-162
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur le Professeur Jean-
Claude Lanne
La représentation du « je » dans l'œuvre de Velimir Xlebnikov
In: Revue des études slaves, Tome 70, fascicule 1, 1998. Communications de la délégation française au XIIe
Congrès international des slavistes (Cracovie, 27 août - 2 septembre 1998). pp. 151-162.
Citer ce document / Cite this document :
Lanne Jean-Claude. La représentation du « je » dans l'œuvre de Velimir Xlebnikov. In: Revue des études slaves, Tome 70,
fascicule 1, 1998. Communications de la délégation française au XIIe Congrès international des slavistes (Cracovie, 27 août - 2
septembre 1998). pp. 151-162.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1998_num_70_1_6487LA REPRESENTATION DU « JE »
DANS L'ŒUVRE DE VELIMIR XLEBNIKOV
PAR
JEAN-CLAUDE LANNE
И чувствую -
«Я»
Для меня мало.
Кто-то из меня вырывается упрямо.
VI. Majakovskij, Облако в штанах^ .
Dans l'œuvre de tout créateur verbal, qu'il soit prosateur ou poète, la repré
sentation du « je » détermine traditionnellement la distinction des genres. Or,
chez le plus original des futuristes russes, Velimir Xlebnikov, l'habituelle tripar-
tition (« genres » lyrique, dramatique et épique) est inopérante. Il y a un peu plus
de vingt ans de cela, dans un brillant article2 sur le problème du principe épique
dans l'esthétique et la poétique de Xlebnikov, R. Duganov avait clairement posé
la question des causes de cette indétermination fondamentale du « Je » dans
l'œuvre du grand budetljanin, et avait attribué ce phénomène surprenant de
« transgénéricité » au fait que le discours khlebnikovien était un discours syn-
crétique, absolu, et donc situé au-delà des clivages traditionnels. Or, on peut
aller plus loin dans l'analyse des causes de ce polymorphisme discursif et
risquer l'hypothèse que le « Je » d'où émane le discours poétique (entendu au
sens large de « discours artistique ») est lui-même un « Je » systémique, articulé
sur une certaine conception de la langue, de l'art et du monde. Cet exposé vise à
démontrer la « facticité » d'un « Je » construit d'abord dans un texte poétique,
puis situé dans un contexte artistique qui dépasse largement la création personn
elle de Xlebnikov. Ce « Je » poétique textuel et intertextuel, est ainsi pris dans
un réseau d'associations qui le relient à la langue (d'abord, et éminemment, à la
langue russe), puis à l'esthétique du budetljanstvo, à une philosophie enfin qui
1. VI. Majakovskij, « Облако в штанах », in : id., Полное собрание сочинений,
1. 1, M., 1955, p. 179.
2. R. Duganov, « Проблема эпического в эстетике и поэтике Хлебникова »,
Известия АН СССР, Серия литературы и языка, t. 35, 1976, п° 5, р. 426-439.
Rev. Étud. slaves, Paris, LXXVI, 1998, p. 151-162. 152 JEAN-CLAUDE LANNE
privilégie hautement l'imaginaire et le virtuel (au sens aristotélicien du terme)
par rapport au réel et à l'actuel. Empruntant au poète son propre néologisme, je
parlerais volontiers d'un samovitoe ja, d'un «je intrinsèque », aussi détaché des
contingences empiriques que la langue intrinsèque (samovitoe slovo) illustrée
par les expériences du poète. Étant par nature systémique, le « je » élaboré dans
et par la représentation poétique est nécessairement l'indice d'une certaine con
ception ou construction du monde dont on trouve les prémisses philosophiques
dès les premiers essais de l'écrivain et les principes esthétiques déjà clairement
établis et affirmés dans les manifestes et traités théoriques du groupe « hyléen »
ou « cubofuturiste » auquel appartint Xlebnikov pendant un certain temps.
Ainsi, le « Je » représenté dans l'œuvre d'art (la nouvelle, la pièce de théât
re, le poème, voire le traité scientifique) entre-t-il dans une singulière configura
tion avec le « Je » empirique de l'auteur, puis avec le monde des hommes, des
événements et des choses, avec le Destin enfin qui est comme la parole imper
sonnelle de l'Univers, sa loi objective et inexorable. Nous verrons quels voca
bles étonnants et quelles figures réelles (historiques) ou mythiques invente le
« futurien » pour signifier l'entreprise poético-scientifique grandiose dans
laquelle il se sent engagé. Au terme d'une inéluctable évolution, le « je futur »
explose et acquiert une universalité qui définit adéquatement l'énormité de
l'utopie futurienne. Extrapolant et amplifiant l'intuition rimbaldienne (« Je est
un autre3 »), Xlebnikov élabore dans son œuvre un « Je » holistique, coextensif à
l'univers, instance de discours dont ce n'est pas le moindre mérite de mettre à nu
le caractère paradoxal d'une « fonction je » assumée par une entité aussi abs
traite et impersonnelle que le Monde. Mais ce paradoxe apparent n'est-il pas la
marque même de ce que Xlebnikov appelait mon « Je esthétique4 », c'est-à-dire
un « Je » mis à distance par le geste de la représentation artistique, un « Je »
objectivé et détaché de la personne de son auteur ? Tout le travail spécifique de
renonciation artistique khlebniko vienne réside précisément dans cet écart entre
le « Je » empirique et l'autre « Je », situé, à l'instar de la langue d'outre-enten
dement, « au-delà de l'expérience quotidienne et des nécessités de la vie5 ».
MODALITÉS ET FONCTIONS DU « JE » REPRÉSENTÉ
Si le « Je », en linguistique, est le signe de l'inscription du sujet dans le
langage, si le pronom personnel de première personne convertit le langage
comme système en acte énonciatif, en discours6, le « Je » représenté dans une
3. A. Rimbaud, « Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 », in : id., Œuvres comp
lètes, Paris, Gallimard, 1972, p. 250.
4. Cette expression (« moë èsteticeskoe ja » se trouve dans un des premiers récits de
Xlebnikov, « Еня Воейков », in Исследование памятников письменной культуры в
собраниях и архивах отдела рукописей и редких книг, établi et publié par N. A. Zubkova,
L., 1988, p. 159.
5. L'expression est empruntée à V. Xlebnikov qui l'utilise, dans la préface à l'édition
de ses œuvres projetée par R. Jakobson, pour caractériser le samovitoe slovo, le « verbe intri
nsèque » (« Свояси », in Собрание произведений Велимира Хлебникова [СП], t. II, L.,
p. 9).
6. Cf. sur cette question du « je » linguistique les articles désormais classiques de
É. Benveniste, « La nature des pronoms » et « De la subjectivité dans le langage », in : id.,
Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, p. 251-257 et p. 258-266 res
pectivement. LE «JE» DANS L'ŒUVRE DE XLEBNIKOV 153
œuvre littéraire, en particulier dans un poème lyrique, pose le difficile problème
du sens et de l'efficience du pronom en tant que fonction dérivée du texte poé
tique. Médiatisé par l'acte de la « mimésis » artistique, le « Je » du texte est une
créature, le produit artificiel de la « machine littéraire » qu'est le texte. Comme
tel, il est fictif, il constitue un « masque » ou, mieux encore et plus précisément,
une « idée » au sens platonicien du texte, dont le « Je » empirique de l'auteur et
le « Je » individuel du lecteur ne constituent que des occurrences locales, for
tuites, des figures métaphoriques pour ainsi dire7. Or, si chez la plupart des
artistes antérieurs à Xlebnikov, ou contemporains, l'opération d'aliénation du
« Je » demeure camouflée, il n'en va plus de même chez le représentant de
l'avant-garde poétique (ainsi que chez ses compagnons d'armes du mouvement
futuriste) : dans son œuvre, le « Je » se donne à l'évidence pour un objet
construit par et intégré à un système linguistique poétique cohérent.
Ce système est en grande partie déterminé par l'option initiale de Xlebni
kov. Le « discours intrinsèque », dont il est le plus remarquable héraut, postule,

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