Lamartine et le poète mourant - article ; n°67 ; vol.20, pg 47-58
13 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Lamartine et le poète mourant - article ; n°67 ; vol.20, pg 47-58

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
13 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 1990 - Volume 20 - Numéro 67 - Pages 47-58
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 102
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. José-Luis Diaz
Lamartine et le poète mourant
In: Romantisme, 1990, n°67. pp. 47-58.
Citer ce document / Cite this document :
Diaz José-Luis. Lamartine et le poète mourant. In: Romantisme, 1990, n°67. pp. 47-58.
doi : 10.3406/roman.1990.5650
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1990_num_20_67_5650DIAZ José-Luis
Lamartine et le poète mourant
Trois ans après la parution du « Lac », du « Vallon » et de Г« Isolement »,
dans les strophes un peu moins ailées de ce « poète mourant » inclus dans les
Nouvelles méditations (1823), Lamartine nous dévoile l'idéologie poétique sous-
jacente qui avait conduit son premier coup d'archet. Et c'est sans doute l'intérêt
majeur de ce texte un peu systématique, nettement moins « senti » que les
grandes méditations de 1820, que de donner à lire à livre ouvert les secrets de la
fantasmatique hypercodée dont un romantique français du début de la Restauration
se doit d'entourer l'acte d'écrire. Avec des lenteurs de mise en scène qui
constrastent avec la légèreté requise du poète idéal, Lamartine parachève un mythe
fondateur, dont on peut suivre l'émergence chez Millevoye, Chênedollé, Nodier,
Charles Loyson et quelques autres élégiaques l. Mais ce qui frappe d'abord un
esprit sensible à l'histoire des « écritures », c'est que l'élaboration d'un mythe si
typiquement romantique reste si largement tributaire d'une phraséologie néoc
lassique.
Point ici de « bonnet rouge » mis au dictionnaire. Point non plus de
sensualité ou de féerie du verbe. Ces audaces sont pour plus tard, et destinées à
rester largement étrangères à l'esthétique lamartinienne. Le poète mourant meurt
dans la noble langue de l'ode, si proche encore de celle de Jean-Baptiste Rousseau.
Il « pleure sa fin prochaine avec un grand luxe d'images fleuries et de
comparaisons », dit perfidement un sectateur de Millevoye 2. Et la lecture un tant
soit peu attentive du texte ne peut que lui donner raison.
On ne meurt pas ici. On voit se briser encore pleine la coupe de ses jours. La
mort, euphémisme oblige, n'est plus qu'un incident cristallin auquel le mourant
assiste comme à un spectacle qui lui échappe. C'est une mort drapée dans ses
stéréotypes. Et tout, autour de cette cérémonie conventionnelle, respecte les pâles
convenances rhétoriques. Au mot vrai, Lamartine préfère presque toujours le mot
pompeux ou vague. Au mot bref, la périphrase molle. A l'expression neuve ou
risquée, la formule éculée, mais certifiée conforme. Car ce mourant de convention
se doit de mourir dans une langue de convention, aux cryptogrammes figés. La
coupe est encore pleine ? Traduisez qu'il lui restait encore longtemps à vivre. Ici
le vin est « jus du pampre » et l'éclair « feu du ciel », tandis que la cloche qui
sonne l'heure mortuaire est un « airain retentissant » dans « sa haute demeure »
(le clocher !) sous les coups du « marteau sacré » (le battant !). A force de
prouesses de ce type, la poésie devient un logogryphe sage, pour bons apprentis
de rhétorique, qui savent depuis toujours que l'herbe est légère et que la vierge est
modeste, et qui ont appris à compenser les légers risques sémantiques du trope ou
de la périphrase-énigme par le confort de réception de l'épithète de nature ou de la
comparaison oratoire.
ROMANTISME n° 67 (1990 - 1) José-Luis Diaz 48
Qu'on ne s'empresse pas pourtant d'ironiser sur ces désuétudes stylistiques :
elles demeurent le lot commun, tant que le second Cénacle hugolien, après la
Préface de Cromwell (1827), n'aura pas rompu le moule rhétorique hérité, et
proposé des gymnastiques moins conventionnelles. La précaution s'impose
d'autant plus que, si on prend soin de le lire d'un peu près, notre texte de 1823 fait
preuve d'une modernité relative, dès qu'on le compare à sa première version de
septembre 1817: une «ode», ainsi qu'il est précisé, qui porte - à cette
précision près - le même titre, et que le fameux Carnet de maroquin rouge nous a
fidèlement conservée. Cette ode, formée de huit strophes de six vers, exactement
contemporaine du « Lac », n'offre, ainsi qu'on l'a fait remarquer 3, « rien de
commun (à une image près) avec celle de 1823 ». Tout en certifiant la continuité
d'un thème, au demeurant peu personnel, sa lecture ne peut manquer d'intéresser
l'historien des idées autant que le généticien. Elle permet de prendre conscience
qu'en l'espace de six années l'inspiration lamartinienne s'est profondément
renouvelée.
Et d'abord en ce qu'elle s'est quasiment libérée du carcan mythologique, qui
formait encore le cadre obligé de la poésie impériale. Plus de « cygne sacré que
baigne le Méandre ». Plus de vierges qu'on encense « dans les bois de Tempe ».
« Du Styx les déités cruelles » manquent également à l'appel. Seule, en 1823, la
« douce voix » de Philomèle, ce rossignol mythologique, ainsi que l'allusion
plus tempérée au symbolisme antique de l'abeille butineuse, témoigne du passé,
tandis que les Séraphins romantiques flottent déjà dans un éther chrétien, d'où le
clocher gothique n'a pourtant pas encore chassé les faux « Dieux ».
De 1817 à 1823, la progression est plus nette encore, si l'on prend garde à
l'orchestration thématique des deux textes. Sous l'apparente continuité, se cache en
effet une inversion de taille, qui n'est pas sans bouleverser profondément l'horizon
idéologique. L'ode de 1817 propose une conception du poète somme toute
conforme au mythe antique de l'enthousiasme, tel qu'il a été relu et codifié par
toute la grande tradition de l'ode, de Louis Racine à Lebrun-Pindare en passant par
Jean-Baptiste Rousseau \ Le poète est certes un divin nourrisson, qui, de ses
« lèvres enfantines », a tété le lait des Muses ; il a appris la poésie en
« folâtrant » avec les « lyres immortelles » : relents attardés et conventionnels
de tradition épicurienne. Mais il est aussi et surtout la victime d'un « dieu
persécuteur » dont Г « ascendant terrible » le tient à merci. Il veut combattre son
« pouvoir invincible » :
Mais le dieu triomphant a subjugué mon âme,
Je suis vaincu ! Je cède, il domine, il enflamme,
II dévore mon sein !
(« L'Enthousiasme »)
L'enthousiasme, ce « transport divin », est une irruption thermique, dont la
force dévastatrice détruit à la longue celui qui s'habitue à vivre dans les flammes.
- Enfin, ce sacrifié prométhéen, cette victime du feu sacré, est aussi un audacieux
conquérant de gloire. Pour lui, en son honneur, on file la métaphore olympique du
« char fuyant dans la brûlante arène », ainsi que la métaphore martiale du « jeune
aiglon » ravi par un trait homicile à son « vol victorieux ». Le poète mourant
est un guerrier frappé en pleine course, en vue de la « cime éclatante «, où la Lamartine et le poète mourant 49
« gloire [agite] sa palme rayonnante ». Ce n'est pas, comme en 1823, un débile
poitrinaire promis à un destin de feuille morte.
Certes, la version définitive du texte maintient, en l'atténuant il est vrai, la
tradition antique du poète folâtre et enfantin. De manière quelque peu inattendue
dans un contexte doloriste, la poésie demeure un jeu (v. 38) 5. Certes, l'imaginaire
calorique persiste, bien que modifié : le « souffle brûlant » de Dieu n'embrase
que pour purifier. Le feu est devenu chaste. Il a perdu de ses virtualités erotiques
ou infernales. Mais ce que notre texte apporte de radicalement nouveau, c'est
l'inversion des signes qui affectent la gloire : hier recherchée, aujourd'hui
méprisée. Ce qu'il ne faut pas interpréter comme une variation hasardeuse, mais
comme l'indice d'un bouleversement structural de la conception lamartinienne du
poète, telle qu'elle s'était exprimée jusqu'alors dans des méditations telles que
«La Gloire» (1817) et

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents