Langage et colonisation dans le discours de la troisième République - article ; n°1 ; vol.40, pg 59-69
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Description

Langage et société - Année 1987 - Volume 40 - Numéro 1 - Pages 59-69
Maingueneau Dominique, Language and colonization in the Troisième République school discourse.
School handbooks enable one to grasp how history was treated during the colonization period. Dominant is the idea that progress organizes human beings according to their level of civilization, France representing the highest level. With such stereotypes, the role of language is central, and the language ideal at work in the mother-country is directly transposed in the colonies. Teaching the natives French is quite simply teaching them language. The metaphoric transposition from the Gallo-Roman world to the colonial empire is direct. The racialism of the texts analyzed relies explicitly on the one and only notion of cultural backwardness.
Les manuels scolaires donnent accès au traitement de l'histoire à l'époque de la colonisation. Celui-ci est dominé par une idée de progrès ordonnant les être humains en fonction de leur degré de civilisation, le plus haut degré étant réservé à la France. Dans ces séréotypes, le role dévolu au langage est central, et l'idéal de langue en oeuvre en métropole se transpose directement aux colonies. Apprendre le français aux indigènes c'est tout simplement leur apprendre à parler. La transposition métaphorique du monde gallo-romain à l'empire colonial est directe. Le racisme des textes examinés s'appuie explicitement sur la seule notion de retard historique.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 12
Langue Français

Extrait

Dominique Maingueneau
Langage et colonisation dans le discours de la troisième
République
In: Langage et société, n°40, 1987. pp. 59-69.
Abstract
Maingueneau Dominique, "Language and colonization in the Troisième République school discourse".
School handbooks enable one to grasp how history was treated during the colonization period. Dominant is the idea that progress
organizes human beings according to their level of civilization, France representing the highest level. With such stereotypes, the
role of language is central, and the language ideal at work in the mother-country is directly transposed in the colonies. Teaching
the natives French is quite simply teaching them language. The metaphoric transposition from the Gallo-Roman world to the
colonial empire is direct. The racialism of the texts analyzed relies explicitly on the one and only notion of cultural backwardness.
Résumé
Les manuels scolaires donnent accès au traitement de l'histoire à l'époque de la colonisation. Celui-ci est dominé par une idée de
progrès ordonnant les être humains en fonction de leur degré de civilisation, le plus haut degré étant réservé à la France. Dans
ces séréotypes, le role dévolu au langage est central, et l'idéal de langue en oeuvre en métropole se transpose directement aux
colonies. Apprendre le français aux indigènes c'est tout simplement leur apprendre à parler. La transposition métaphorique du
monde gallo-romain à l'empire colonial est directe. Le racisme des textes examinés s'appuie explicitement sur la seule notion de
retard historique.
Citer ce document / Cite this document :
Maingueneau Dominique. Langage et colonisation dans le discours de la troisième République. In: Langage et société, n°40,
1987. pp. 59-69.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1987_num_40_1_2353ET COLONISATION DANS LE DISCOURS SCOLAIRE LANGAGE
DE LA TROISIEME REPUBLIQUE
Dominique MAINGUENEAU
Université de Picardie
Toi y en a pas parler "francé" dis? Toi y en a
encore gorille hein?... Toi y en a parler quoi
hein? Kous kous? Mabillia? Toi y en a couillon!
Bushman! Plein couillon!
L.F. Celine, Voyage au bout de la nuit, (Livre de
poche, p. 140)
Comment reconnaît-on un "barbare"? Le livre d'histoire d'A.
Aymard destiné au cours moyen nous répond:
Les barbares sont ignorants et toujours en querelle car
chez eux il n'y a pas d'écoles ni de bons juges (1).
Si l'absence d'écoles est un indice privilégié de barbarie, on
comprend que le colonisateur aime à se camper dans le rôle du
(1) Histoire de France, Cours élémentaire et moyen, Hachette,
1932, p. 13
Langage & société n° *tO - juin 198? - - 60
bâtisseur d'écoles où on enseignerait sa propre langue, celle de
la civilisation. Un tel mode d'intervention ne va pas sans une
idéologie qui le rende pensable et le légitime. Le meilleur moyen
d'appréhender cette idéologie, c'est, nous semble-t-il, de consi
dérer le discours tenu dans l'école publique contemporaine de
l'expansion coloniale. Parce que, d'une manière générale, le
discours scolaire constitue à cette époque le maillon essentiel
de 1 ' inculcation idéologique de la masse des citoyens, dans la
mesure où il est destiné à légitimer l'ensemble de la politique
de la Ille République; mais aussi parce que l'institution sco
laire elle-même joue un rôle crucial dans ce discours.
Quand on étudie le discours tenu dans les manuels de l'école
républicaine une chose apparaît immédiatement: l'absence d'un
discours spécifique sur la colonisation. En réalité, ce sont les
mêmes réseaux sémantiques qui reviennent constamment et la colo
nisation n'en est qu'un des domaines de validation. A l'intérieur
de cet ensemble on ne peut envisager la politique linguistique en
elle-même; elle est inséparable d'une certaine façon de penser
l'histoire et le rôle qu'est censé y jouer la France. Cette
historiographie est organisée autour de la dynamique simple du
"Progrès" :
Aujourd'hui est donc mieux qu'autrefois.
Demain sera mieux qu'aujourd'hui. C'est le Progrès (2).
C'est ainsi que se conclut un manuel de cours préparatoire;
(2) l'Histoire de France à l'école par D. Blanchet et J. Toutain,
Belin 1911, 23e leçon - - 61
à l'autre bout de l'échelle un manuel de morale pour instituteurs
parle de
...l'Energie inconnaissable en voie d'évolution vers une
conscience, vers une vie spirituelle de plus en plus inten
se, de plus en plus haute, de plus en plus universelle (3).
Cette vision de l'histoire permet de fonder une hiérarchie
objective des peuples en fonction de leur degré d ' "avancement "
par rapport à ce Progrès: les "sauvages" actuels se trouvent à
peu près dans la situation qui était celle des premiers hommes,
tandis que les plus civilisés, les Européens, se trouvent à
l'avant de la colonne de l'humanité en marche. C'est la France
qui est placée tout à fait en tête, car c'est à elle que revient
le rôle de porte-flambeau:
L'esprit philosophique français marche en avant-garde,
il est comme la lumière éclairant le monde, le phare
indiquant la route à suivre (4).
La France est le pays qui a le mieux confondu son intérêt
avec celui de l'humanité (5).
Cette métaphore de "la lumière éclairant le monde" joue un
rôle crucial dans ce discours, qui associe constamment ce qu'il
(3) Cours de morale par J. Payot , A. Colin, p. 233
(4) Lectures choisies... par Martin et Lemoine , Paris, 1905, p.
278
(5) citation de Michelet par F. Buisson in Leçons de morale,
Hachette p. 192 - - 62
rejette à l'obscurité et ce qu'il valorise à la lumière. Ainsi la
sauvagerie, l'ignorance, la superstition, etc. sont elles forces
nocturnes qui s'opposent aux clairs principes de la moralité et
de la rationalité républicaines. Ce conflit entre obscurité et
lumière dont le Progrès est le théâtre passe en réalité en chaque
individu en même temps qu'il se lit dans l'histoire de l'humanité
et celle de la France:
A nous de réfléchir et de choisir dans l'héritage
national: que continuerons-nous? La crédulité et la violen
ce? Prolongerons-nous dans le présent et dans l'avenir la
barbarie qui s'est manifestée par les guerres de religion,
l'Inquisition, les dragonnades, les terreurs rouge et
blanche? (...) Travaillons à faire notre patrie plus juste,
plus généreuse, plus humaine, en un mot plus raisonnable.
Refusons le legs de brutalité de nos ancêtres gaulois et
travaillons à répandre notre idéal de justice; que la France
rayonne dans le monde d'un éclat très pur; que par son
exemple, par ses penseurs, elle soit l'éducatrice de nations
dont l'idéal est trouble (6).
Ainsi les criminels
. . . reproduisent les traits de caractère des ancêtres de
l'âge de la pierre, et l'horreur qu'ils nous inspirent
prouve quel progrès la majorité de la race a accompli (7).
(6) J. Payot , op. cit., p. 177
(7) J. Payot, p. 21 - - 63
conditions, l'instituteur républicain est celui qui Dans ces
est chargé de répéter par le cycle scolaire le passage de la
sauvagerie à la civilisation, de l'enfance à l'âge adulte:
C'est l'instituteur qui prend l'enfant dans l'état de
misère intellectuelle de l'homme primitif, qui le met en
possession du trésor des connaissances accumulées par la
coopération des générations successives. Il l'affranchit du
monde matériel (8).
Sur le plan national cette accession à la raison se traduit dans
le domaine linguistique par l'extinction des patois.
Ce faisant, l'école républicaine reprend l'idéal énoncé par
la Révolution française dans son célèbre "Rapport" de 1794 (16
pairial) "sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et
d'universaliser l'usage de la langue française" (9). Le discours
que l'Etat tient sur les patois est le même que celui qui est
tenu sur les langues des colonisés: la langue française, loin
d'être un simple instrument de communication parmi d'autres, se
trouve en f

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