Le Cadavre divin Célébration de la mort chez les Lingayat-Virasaiva (Inde du Sud) - article ; n°103 ; vol.27, pg 93-112
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Le Cadavre divin Célébration de la mort chez les Lingayat-Virasaiva (Inde du Sud) - article ; n°103 ; vol.27, pg 93-112

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Description

L'Homme - Année 1987 - Volume 27 - Numéro 103 - Pages 93-112
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jackie Assayag
Le Cadavre divin Célébration de la mort chez les Lingayat-
Virasaiva (Inde du Sud)
In: L'Homme, 1987, tome 27 n°103. pp. 93-112.
Citer ce document / Cite this document :
Assayag Jackie. Le Cadavre divin Célébration de la mort chez les Lingayat-Virasaiva (Inde du Sud). In: L'Homme, 1987, tome
27 n°103. pp. 93-112.
doi : 10.3406/hom.1987.368858
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1987_num_27_103_368858Jackie Assayag
Le Cadavre divin
Célébration de la mort
chez les Lirïgâyat-Vïrasaiva (Inde du Sud)
Jackie Assayag, Le Cadavre divin. Célébration de la mort chez les Liñgayat-
Vfras'aiva (Inde du Sud). — La description de la célébration de la mort chez les
Lingâyat-Vïrasaiva du Karnätäka montre comment une organisation dite sectaire,
en réalité composée de nombreuses castes hiérarchisées, emprunte au modèle renonçant
de la caste brahmane qu'elle combat sa pratique de l'inhumation. Non seulement le
dispositif du rituel funéraire engage la totalité des conceptions idéologiques de la secte,
mais il témoigne surtout d'un traitement du mort qui vise à l'identifier à une divinité :
transposition symbolique par et dans laquelle s'exprime l'idéal dévotionnel lingäyat.
« Ces vivants se séparent à présent des morts.
L'appel aux dieux nous est aujourd'hui favorable.
Nous sommes allés au-devant de la danse et des rires,
Portant plus loin notre durée de vie plus longue. »
Rg. Veda, x, 18, 3 (trad. L. Renou)
D'un point de vue anthropologique la mort renvoie à la double dichotomie
des vivants et des morts, des hommes et des divinités. Sa célébration théâtralise
donc le passage, à travers des limites sociales, d'un individu et d'un groupe qui
en s'acheminant d'un statut à l'autre se définissent réciproquement. Dans un
premier temps il s'agit de séparer progressivement le mourant des vivants afin
de démarquer leurs statuts respectifs ; étape toujours suivie d'une période
intermédiaire, liminale ou de marge, qui fait accéder le mourant au statut de
mort dans un pivotement où se prépare une renaissance possible. La troisième
phase, enfin, consiste à réincorporer le défunt dans son statut nouveau et défi
nitif (Van Gennep 1969 : 271-272).
S'il est donc vrai que les cérémonies funéraires, ultime rite de passage,
constituent la dernière élaboration symbolique que se donne un groupe social
face à l'anomie provoquée par la disparition de l'un de ses membres, elles
contribuent aussi à rendre transparent le système idéologique de croyances rel
igieuses dont il est porteur. La dramatisation plus ou moins ostentatoire des
L'Homme 103, juil.-sept 1987, XXVII (3), pp. 93-112. 94 JACKIE ASSAYAG
rituels mortuaires permet de comprendre rétroactivement comment les vivants
célèbrent leur vie, et met en relief les valeurs culturelles les plus importantes à
travers lesquelles ils expriment l'essentiel de leur existence et évaluent leur expé
rience. Car la mort d'un membre d'une communauté, à plus forte raison si
celle-ci est traditionnelle, provoque toujours une crise sociale durant laquelle la
société doit être reconstituée en dépit de cette perte ; l'institution de cérémonies
funéraires est en ce sens indispensable à la survie du corps social.
Les rituels funéraires éclairent la vie des acteurs sociaux et révèlent les
orientations sociales, car ils n'expriment pas seulement des idées sur la mort ou
sur la survie, mais proposent une certaine image de la société des vivants.
Comme si la mise en œuvre cérémonielle de la mort, à travers les comporte
ments et les rites, induisait la façon dont une société a conscience d'elle-même.
Ce qui est en jeu n'est rien moins que le problème de la reproduction sociale.
En réglant le destin du défunt, la totalité du groupe réaffirme parallèlement le
sort de ceux qui restent, et enseigne par ces mises en scène les choix qu'ils
auront à faire ou à subir, les rites funéraires fournissant aux vivants une didac
tique de l'existence. La mort idéale, les obsèques équivalent toujours pour les
vivants à une pédagogie du perfectionnement.
L'Inde en témoigne tout particulièrement pour deux raisons principales. On
l'a souvent rappelé, le rituel funéraire est le samkâra (« sacrement »,
« perfectionnement ») par excellence (Malamoud 1982 : 445), parangon peut-
être des sacrifices notamment dans sa forme traditionnelle de crémation (Das
1976 : 123) telle qu'elle s'est élaborée jusqu'à se confondre avec l'acte religieux
dans la totalité du sous-continent indien. Et même si, comme l'affirme Dumont
(1966 : 144, n. 51), le mariage en Inde l'emporte en importance sociale sur les
funérailles, celles-ci, selon nous, font ressortir de manière beaucoup plus nette
et autrement significative l'ensemble normatif des valeurs sur quoi se fonde et
s'évalue l'expérience des vivants. De plus — ce n'est pas ici truisme de le
dire — , la mort constitue le point focal. Elle vient sanctionner les différentes
étapes par lesquelles, selon l'enseignement traditionnel hindou1, exprimant ce
qu'on a pu justement appeler une terreur générale du temps (Eliade 1979 : 93),
passe toute destinée singulière. Parvenue à son terme, l'existence s'ouvre sur la
double possibilité d'un temps de l'éternel retour, avec son accablante retombée
répétitive dans le cycle indéfini des renaissances (samsara), ou de son aboli
tion, par un saut paradoxal mais salvateur hors de lui (moksa). Dans un cas la
mort enchaîne aux renaissances parce que les « reliquats » du karman — à l'ori
gine védique « l'acte » rituel, c'est-à-dire le sacrifice — restent à épuiser. Dans
l'autre, la mort délivre puisqu'elle liquide définitivement des actes, du karman.
LA MORT LINGÄYAT
Ces données indianistes rappelées, nous nous intéresserons maintenant aux
pratiques funéraires des Lingâyat (« porteur du liñgü »), dits aussi Vïra-
saiva (« shivaïtes héroïques »), dont l'origine remonte au xne siècle. Ils Cadavre divin 95 Le
constituent aujourd'hui au nord de l'État du Karnâtaka un groupe social
démographiquement majoritaire2 et politiquement dominant. Ce mouvement
de dévotion (bhakti) protestataire a élaboré des croyances et des rites (virashaï-
visme) qui les distinguent des autres hindous, tout en constituant une hiérarchie
de castes (jâti), certaines se proclamant Lingâyat-Vïrasaiva comme celle des
« prêtres » (Jañgama) ou des Commerçants (Banâjiga), d'autres simple
ment Vïrasasaiva, en particulier les Intouchables (Châluvadï, Hadapad).
Cette situation sociologique équivoque entre la secte, aux idéaux universalistes
et égalitaires, à laquelle l'adhésion est individuelle et volontaire, et la caste, aux
intérêts particularistes fondés sur le principe hiérarchique, et dont l'apparte
nance est prescrite, a donné lieu à une littérature abondante et stéréotypée
depuis Max Weber3.
Outre l'intérêt intrinsèque que présente la description analytique des céré
monies funéraires lingâyat à partir d'informations et d'observations de
« terrain »4, celle-ci devrait fournir de surcroît des éléments pertinents pour
saisir comment un groupe social manipule les traditions préexistantes dans les
quelles il s'inscrit ; à la fois parce qu'il s'y adapte en réarticulant des orienta
tions apparemment contradictoires, du moins aux yeux des sociologues.
Conformément à leur inspiration déviante, les Lingâyat ne respectent pas
les usages mortuaires répandus dans toute l'Inde. Leur pratique funéraire exige
en effet, apparemment sans exception, qu'on n'incinère pas le mort, mais
qu'on l'enterre en position assise à la manière de l'ascète-renonçant (sam-
nyâsin) au cours d'une célébration qui peut, selon le statut social du défunt,
être ostentatoire ou extrêmement sobre. Mais si les rites funéraires sont
conduits en conformité avec la tradition renonçante de l'inhumation des
ascètes, normalement des personnag

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