Le chef d orchestre. Pratiques de l autorité et métaphores politiques - article ; n°4 ; vol.57, pg 1001-1028
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Le chef d'orchestre. Pratiques de l'autorité et métaphores politiques - article ; n°4 ; vol.57, pg 1001-1028

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Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 2002 - Volume 57 - Numéro 4 - Pages 1001-1028
Le «chef-dictateur», dont Toscanini demeure le représentant par excellence, n'est que le cas limite d'une série de métaphores politiques qui ont accompagné toute l'histoire moderne de la direction d'orchestre. Cette pratique invitait déjà, par définition, à réfléchir à l'autorité d'un individu sur un groupe, à l'efficacité et à la légitimité de ses décisions ; l'attribution d'une valeur morale aux interprétations esthétiquement convaincantes des oeuvres du répertoire acheva par la suite de donner à la figure du chef un statut symbolique. Soit une surenchère dans le domaine des représentations, qui toutefois ne correspond pas nécessairement à une accumulation des pouvoirs réels du chef au sein des institutions musicales, la tendance historique dans ce domaine allant plutôt vers une réglementation accrue de ses compétences. Ce parcours historique de la direction d'orchestre en tant que forme de commandement se déploie du début du XIXe siècle, moment où la baguette s'impose comme outil et emblème du chef, jusqu'aux suites de la Seconde Guerre mondiale, où la mise en cause de l'autoritarisme conduit à une critique du modèle traditionnel.
Orchestral conducting and political metaphors of authority.
Toscanini has been repeatedly described as a dictator. His example is just the most glaring among countless instances of political metaphors, a convention which permeates the entire history of modern orchestral conducting. This practice invites, inherently, to contemplate the broader issue of the authority of an individual over a group, of the efficacy and the legitimacy of his or her decisions. As moral values came to be attributed to aesthetically appealing interpretations of major works of the repertoire, the figure of the conductor gained a particular symbolical status. This inflation in the field of representations, however, did not necessarily entail an increase of real power within the musical institutions; rather, an increasing number of regulations seems to characterize the position of the conductor. This historical survey of orchestral conducting as a form of command begins with the early nineteenth century, when the baton was adopted as a tool and emblem of the conductor, up to the post World War II period, when the rejection of authoritarianism led to a critique of the traditional model.
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Esteban Buch
Le chef d'orchestre. Pratiques de l'autorité et métaphores
politiques
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N. 4, 2002. pp. 1001-1028.
Citer ce document / Cite this document :
Buch Esteban. Le chef d'orchestre. Pratiques de l'autorité et métaphores politiques. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales.
57e année, N. 4, 2002. pp. 1001-1028.
doi : 10.3406/ahess.2002.280090
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2002_num_57_4_280090Résumé
Le «chef-dictateur», dont Toscanini demeure le représentant par excellence, n'est que le cas limite
d'une série de métaphores politiques qui ont accompagné toute l'histoire moderne de la direction
d'orchestre. Cette pratique invitait déjà, par définition, à réfléchir à l'autorité d'un individu sur un groupe,
à l'efficacité et à la légitimité de ses décisions ; l'attribution d'une valeur morale aux interprétations
esthétiquement convaincantes des oeuvres du répertoire acheva par la suite de donner à la figure du
chef un statut symbolique. Soit une surenchère dans le domaine des représentations, qui toutefois ne
correspond pas nécessairement à une accumulation des pouvoirs réels du chef au sein des institutions
musicales, la tendance historique dans ce domaine allant plutôt vers une réglementation accrue de ses
compétences. Ce parcours historique de la direction d'orchestre en tant que forme de commandement
se déploie du début du XIXe siècle, moment où la baguette s'impose comme outil et emblème du chef,
jusqu'aux suites de la Seconde Guerre mondiale, où la mise en cause de l'autoritarisme conduit à une
critique du modèle traditionnel.
Abstract
Orchestral conducting and political metaphors of authority.
Toscanini has been repeatedly described as a "dictator". His example is just the most glaring among
countless instances of political metaphors, a convention which permeates the entire history of modern
orchestral conducting. This practice invites, inherently, to contemplate the broader issue of the authority
of an individual over a group, of the efficacy and the legitimacy of his or her decisions. As moral values
came to be attributed to aesthetically appealing interpretations of major works of the repertoire, the
figure of the conductor gained a particular symbolical status. This inflation in the field of representations,
however, did not necessarily entail an increase of real power within the musical institutions; rather, an
increasing number of regulations seems to characterize the position of the conductor. This historical
survey of orchestral conducting as a form of command begins with the early nineteenth century, when
the baton was adopted as a tool and emblem of the conductor, up to the post World War II period, when
the rejection of authoritarianism led to a critique of the traditional model.Le chef d'orchestre :
pratiques de l'autorité
et métaphores politiques
Es te ban В uch
Or Josué avait donné cet ordre au peuple : vous ne
jetterez aucun cri ; on n'entendra aucune voix, et il ne sor
tira aucune parole de votre bouche jusqu'à ce que le jour
soit venu où je vous dirai : criez et faites grand bruit.
JOSUÉ 6, 10
Le chef d'orchestre est un chef, et la question de l'autorité est au cœur de sa
pratique. Justifiée pour des raisons techniques, légitimée par un ensemble de règles
et de traditions, portée par le charisme de ses protagonistes, cette autorité s'exerce
en premier lieu sur les musiciens de l'orchestre1. En même temps, le spectacle de
sa pratique au concert suggérant un effet réel sur la musique, elle est également
décisive pour l'influence du chef sur le public. La direction d'orchestre est à la
fois affaire de compétences spécifiques au sein d'une sphère artistique revendi
quant une autonomie relative, et leur projection dramatisée dans un espace social
où certaines activités artistiques peuvent symboliser des aspects fondamentaux de
la vie collective. C'est pourquoi un tel exercice direct du commandement a souvent
été décrit à l'aide de métaphores politiques : le « chef-dictateur », dont Toscanini
demeure le représentant par excellence, n'est que le cas limite d'une vaste gamme
de descriptions qui ont visé à cerner à la fois le caractère exceptionnel de telle ou
telle personnalité, et l'essence d'une fonction centrale dans l'architecture de la vie
musicale classique.
Je tiens à remercier MM. Rémy Strieker, Yves Gérard, Pascal Ory, Georges Liébert et
Yves Cohen pour leurs remarques à une version antérieure de ce texte.
1-Je reprends ici une suggestion de Georges Liébert, qui décrit le chef comme un
« leader tout à la fois traditionnel, rationnel et charismatique comme aurait pu dire Max
Weber», dans sa préface au recueil L'art du chef d'orchestre, Paris, Pluriel-Hachette,
1988, p. CXIV. 1001
Annales HSS, juillet-août 2002, n°4,pp. 1001-1028. ESTEBAN BUCH
Or, ce vocabulaire politique n'est pas venu se greffer sur une figure déjà
constituée, comme une espèce de parasite. Cette pratique imposait déjà, par
définition, de réfléchir à la question de l'autorité d'un individu sur un groupe, aux
modalités de la prise de décisions, à la légitimité de celles-ci. À cela est venue
s'ajouter l'attribution d'une valeur morale ou politique aux interprétations esthét
iquement convaincantes des oeuvres du répertoire, y compris lorsqu'elles étaient
décrites uniquement en fonction de leurs attributs techniques. Non que la figure
du chef ait inspiré systématiquement une réflexion sur le pouvoir : dans la critique
musicale, par exemple, les « théories politiques du chef d'orchestre » restent relat
ivement rares. Il n'empêche qu'elles ont accompagné toute l'histoire de la direction,
comme un élément décisif autant pour sa définition normative que pour la descrip
tion de sa pratique. Ce faisant, les commentateurs ont touché à la définition même
de la notion d'autorité, et à celle d'autorité légitime. En d'autres termes, ils ont
contribué à la réflexion générale sur le commandement qui, ainsi que le remarque
Yves Cohen, traverse « un grand nombre de domaines d'action, le militaire, l'indust
rie, la politique, la science » et, en mobilisant des sciences humaines et sociales
« à qui elle donne prétexte à se définir au moins partiellement, comme la psychol
ogie, la sociologie et l'anthropologie », déplace « en grande partie les réflexions
séculaires de l'art de gouverner»2.
Cela dit, il faut distinguer soigneusement les deux termes en jeu, pratiques
de l'autorité et métaphores politiques. Ce n'est pas parce qu'un chef d'orchestre
donne des indications sur un ton impérieux qu'il devient un dictateur, pas plus
que le fait de diriger des œuvres du répertoire sans prendre en compte les opinions
ou les habitudes de ses musiciens, ou encore les traditions interprétatives existantes,
ne permet de caractériser sa pratique comme dictatoriale. La description d'un chef
face à son orchestre a été marquée par le fait que, dans le cours de l'histoire
contemporaine, les dictateurs sont devenus une sorte de modèle pour tout exercice
autoritaire de l'autorité, voire pour tout exercice du pouvoir abusif ou illégitime.
Certes, il n'est pas exclu que la pratique du chef d'orchestre rappelle effectivement,
dans certains cas, et sous des aspects très spécifiques, l'absence de contre-pouvoirs
qui caractérise les agissements du dictateur, que ce soit à cause de traits personnels
de certains chefs, ou en raison d'éventuelles homologies entre le fonctionnement
d'une institution musicale et celui d'un Etat. Mais toute comparaison dans ce sens
reste soumise à l'explicitation du statut de la métaphore employée dans chaque
cas particulier. C'est précisément de l'écart entre la question de l'autorité et celle
du politique que les métaphores tirent leur raison d'être.
Il faut souligner cependant que le pouvoir du chef ne s'exerce pas dans le
vide, pas plus que celui des chefs politiques, l'essence de la domination étant,
d'après la définition classique de Max Weber, la capacité à se faire obéir de manière
volontaire. La question de l'autorité du chef est aussi celle de la capacité qu'ont
ceux qui y sont s

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