Le conte de fées aux temps de l'incroyance. Conflits épistémologiques dans les contes fantastiques de Charles Nodier - article ; n°123 ; vol.34, pg 83-94

Andreas Gipper

Description

Romantisme - Année 2004 - Volume 34 - Numéro 123 - Pages 83-94
Since the sixties the importance of modern sciences for the constitution of fantastic literature has frequently been emphasized. It seems that at the basis of fantastic literature there is what one could call an epistemic conflict in a broad sense. Fantastic literature presents (oder highlights) a conflict of different conceptions of the world and of reality. This conflict is the product of an historical process extending from the end of the enlightenment to the beginning of romanticism. During this process hitherto dominant epistemic structures are subjected to a process of transformation and become dominated by others. At this point in time, namely at the beginning of the nineteenth century, the so called para-sciences massively invade fantastic literature. Their poetological function mainly consist in the creation of a modern form of the miraculous. The present paper tries to study some examples of this mechanism in the works of Charles Nodier. It also takes into consideration his poetological reflexions, which attest his outstanding acumen.
Depuis les années soixante on a souligné à plusieurs reprises l'importance des sciences modernes pour la constitution de la littérature fantastique. Il semble qu'à la base de la littérature fantastique il y a ce qu'on pourrait appeler un conflit épistémique au sens large. C'est-à-dire que la littérature fantastique met en scène un conflit entre différentes conceptions du monde et du réel. Ce conflit est le produit d'un processus historique s'étendant de la fin des Lumières aux abords du Romantisme et au cours duquel des formations épistémiques jusqu'alors dominantes se transforment en formations dominées. C'est dans ce cadre que les para-sciences font leur entrée massive dans la littérature fantastique dès le début du XIXe siècle et qu'elles y déploient une existence littéraire dont la fonction poétologique consiste surtout à créer une sorte de merveilleux moderne. Le présent article essaye d'en étudier quelques exemples dans l'œuvre de Charles Nodier tout en tenant compte des réflexions poétologiques de l'auteur faisant preuve d'une lucidité toute particulière.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ROMANTISME
• Publié le: 01 janvier 2004
• Nombre de lectures: 45
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

M. Andreas Gipper
Le conte de fées aux temps de l'incroyance. Conflits
épistémologiques dans les contes fantastiques de Charles
Nodier
In: Romantisme, 2004, n°123. pp. 83-94.
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Gipper Andreas. Le conte de fées aux temps de l'incroyance. Conflits épistémologiques dans les contes fantastiques de
Charles Nodier. In: Romantisme, 2004, n°123. pp. 83-94.
doi : 10.3406/roman.2004.1245
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2004_num_34_123_1245Abstract
Since the sixties the importance of modern sciences for the constitution of fantastic literature has
frequently been emphasized. It seems that at the basis of fantastic literature there is what one could call
an epistemic conflict in a broad sense. Fantastic literature presents (oder highlights) a conflict of
different conceptions of the world and of reality. This conflict is the product of an historical process
extending from the end of the enlightenment to the beginning of romanticism. During this
hitherto dominant epistemic structures are subjected to a process of transformation and become
dominated by others. At this point in time, namely at the beginning of the nineteenth century, the so
called para-sciences massively invade fantastic literature. Their poetological function mainly consist in
the creation of a modern form of the miraculous. The present paper tries to study some examples of this
mechanism in the works of Charles Nodier. It also takes into consideration his poetological reflexions,
which attest his outstanding acumen.
Résumé
Depuis les années soixante on a souligné à plusieurs reprises l'importance des sciences modernes
pour la constitution de la littérature fantastique. Il semble qu'à la base de la littérature fantastique il y a
ce qu'on pourrait appeler un conflit épistémique au sens large. C'est-à-dire que la littérature fantastique
met en scène un conflit entre différentes conceptions du monde et du réel. Ce conflit est le produit d'un
processus historique s'étendant de la fin des Lumières aux abords du Romantisme et au cours duquel
des formations épistémiques jusqu'alors dominantes se transforment en formations dominées. C'est
dans ce cadre que les para-sciences font leur entrée massive dans la littérature fantastique dès le
début du XIXe siècle et qu'elles y déploient une existence littéraire dont la fonction poétologique
consiste surtout à créer une sorte de merveilleux moderne. Le présent article essaye d'en étudier
quelques exemples dans l'œuvre de Charles Nodier tout en tenant compte des réflexions poétologiques
de l'auteur faisant preuve d'une lucidité toute particulière.Andreas GIPPER
Le conte de fées aux temps de l'incroyance.
Conflits épistémologiques dans les contes fantastiques de Charles Nodier
Depuis que la littérature fantastique est devenue durant les années 1960 un des
centres d'intérêt des études littéraires, on a observé de nombreuses tentatives pour
dépasser les analyses thématiques du fantastique afin d'arriver à une définition du
fantastique fondée sur la poétique, la narratologie ou la théorie des genres littéraires l.
Ce genre de tentatives a trouvé son modèle dans l'ouvrage fondamental de Tzvetan
Todorov Introduction à la littérature fantastique de 1970 2. Bien que Todorov limite
ses prétentions à une révision des approches déjà existantes et à une tentative pour leur
assigner une place à l'intérieur d'un système théorique à la fois plus précis et plus
vaste, son livre est resté jusqu'aujourd'hui - et malgré les nombreuses polémiques
qu'il a pu susciter — un point de repère incontournable de tous les débats autour du
fantastique.
Les réflexions suivantes ne feront pas exception à cette règle. Cependant, elles
vont dans une autre direction. Elles se concentreront non sur un problème de forme ou
de structure, mais sur un des grands thèmes de la littérature fantastique, à savoir les
sciences. Il apparaîtra d'ailleurs bientôt que ce thème comporte une dimension structurelle
non négligeable. Il est vrai que l'importance des sciences pour la constitution du fan
tastique a presque toujours été vu et mis en relief3. Néanmoins, on peut dire que les
analyses concrètes du phénomène ont souvent été négligées. Là où ce genre de tentatives
a été entrepris, on a souvent privilégié une description structurelle du phénomène aux
dépens d'une véritable analyse des motifs et des mécanismes textuels 4. C'est ce jeu
textuel déployé autour de la thématique des sciences que nous tenterons d'analyser.
Notre point de départ consiste dans l'idée qu'à la base de la littérature fantastique il y
a ce qu'on pourrait appeler un conflit épistémique au sens large5. En d'autres termes:
1. Voir le chapitre sur «Les thèmes» dans la synthèse proposée par Jean-Luc Steinmetz, La littérature
fantastique, PUF, 1990, p. 23-34.
2. Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique , Seuil 1970.
3. Déjà Roger Caillois dans sa préface de L'Anthologie du fantastique affirme que «le couple Fantast
ique-Science apparaît indissoluble» (Club français du livre, 1958, p. II). Un point de vue analogue se trouve
exprimé chez Jean Fabre dans Le miroir de la sorcière, Corti 1992, p. 380 et suite.
4. Ceci vaut particulièrement pour la remarquable étude de Christian Wehr, Imaginierte Wirklichkeiten.
Untersuchungen zum « récit fantastique » von Nodier bis Maupassant, Tubingen, Narr, 1997. L'interprétation
du fantastique comme mise en scène «d'ambivalences épistémologiques» essaye d'établir une homologie
étroite entre la genèse de la littérature fantastique en Allemagne et le tournant idéaliste de la philosophie
allemande, homologie qui semble plausible surtout si l'on considère le psychologisme et le subjectivisme de
la théorie idéaliste de la connaissance. L'étude de Wehr fait apparaître sous un jour nouveau les construct
ions du premier fantastique en Allemagne, surtout chez Hoffmann, mais elle ne contribue que très peu à
éclaircir la problématique concrète des sciences. Si l'on regarde par exemple la lecture de La fée aux miettes
proposée par Wehr, on voit que les motifs concrets des conflits épistémologiques déployés dans ce conte ne
suscitent aucune attention.
5. Il va de soi que la situation de doute chère à Todorov repose sur ce même conflit. Jean Fabre parle
d'ailleurs plus généralement de «conflits idéologiques» («Pour une sociocritique du genre fantastique en
littérature», dans La littérature fantastique, colloque de Cerisy du 2 au 12 août 1989, Albin Michel 1991, p. 44-55).
Dans la même direction vont les définitions de William Irwin dans son étude, The Game of the Impossible :
ROMANTISME n° 123 (2004- L) 84 Andreas Gipper
la littérature fantastique met en scène un conflit entre différentes conceptions du
monde et du réel. L'originalité du propos, si originalité il y en a, résidera moins dans
ce point de départ, qui s'appuiera sur les acquis des trente dernières années, que
l'analyse concrète de cette mise en scène qui peut servir à une véritable mise à nu de
strates épistémologiques différentes.
La mise en scène de conflits épistémologiques dans la littérature fantastique
Une des définitions les plus célèbres du fantastique en littérature, qui constitue
aussi la base du modèle proposé par Todorov, pose que le fantastique consiste dans
«l'intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle» 6. Cette formule repose
sur l'idée que la littérature fantastique tourne essentiellement autour de la représenta
tion d'événements surnaturels dans leurs diverses variantes et formes d'expressions.
Pourtant, les premiers théoriciens du fantastique avaient déjà vu que cette du surnaturel devait être considérée comme la marque spécifique d'une époque.
On parlera généralement du «tournant des Lumières» pour désigner cette période qui
s'étend de la fin des Lumières au début du romantisme. La genèse de ce qu'on appelle
aujourd'hui le fantastique, doit donc être localisée à la fin du XVIIIe siècle7. L'exemple
représentatif de cette première