Le Paradis dans les jardins de thé Repli du mythe chez les Santal - article ; n°106 ; vol.28, pg 199-212
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Description

L'Homme - Année 1988 - Volume 28 - Numéro 106 - Pages 199-212
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marine Carrin-Bouez
Le Paradis dans les jardins de thé Repli du mythe chez les
Santal
In: L'Homme, 1988, tome 28 n°106-107. pp. 199-212.
Citer ce document / Cite this document :
Carrin-Bouez Marine. Le Paradis dans les jardins de thé Repli du mythe chez les Santal. In: L'Homme, 1988, tome 28 n°106-
107. pp. 199-212.
doi : 10.3406/hom.1988.368978
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1988_num_28_106_368978¡ ¿3! j 1
Marine Carrin-Bouez
Le Paradis dans les jardins de thé
Repli du mythe chez les Santal
Marine Carrin-Bouez, Le Paradis dans les jardins de thé. Repli du mythe chez les
Santal. — Les bouleversements de la période coloniale ayant intensifié leurs contacts
avec les hindous et les chrétiens, les Santal se sont trouvés confrontés à deux
« grandes » religions. Certains d'entre eux furent ainsi amenés à remodeler leurs
structures symboliques, comme l'attestent quelques récits concernant les
représentations de la mort. Les missionnaires ont voulu faire de leur utopie — fonder
une communauté évangélique en Assam — un nouveau mythe pour les Santal. S'ils ont
échoué, c'est que l'Assam, où ils ont situé la « terre promise », était déjà aux yeux des
Santal symboliquement hindoue : la pensée symbolique santal préfère, lorsqu'il lui faut
se modifier, recourir aux hindous plutôt qu'aux chrétiens.
La plupart des sociétés traditionnelles ont été confrontées à des change
ments brutaux dus le plus souvent à l'impact d'un élément perturbateur
unique : le colonisateur. Pour les populations tribales de l'Inde, la situation est
plus complexe car les Britanniques favorisèrent — souvent à leur insu — le
développement des relations, jusqu'alors épisodiques, que ces groupes1 entrete
naient avec les hindous. On verra ici comment le prosélytisme des missionnaires
fut dévié de sa cible (la conformité aux principes moraux du christianisme) et
trouva une efficacité inattendue en suscitant une certaine forme d'hindouisme.
Face à l'alternative de devenir chrétiens ou hindous, les Santal tentèrent de
remodeler les éléments empruntés aux deux religions tout en privilégiant l'hi
ndouisme populaire qui leur était d'emblée plus proche. Toutefois ils refusèrent
toujours de s'hindouiser totalement en raison du bas statut qui leur était
réservé dans l'échelle des castes. Nous verrons, à travers deux types de textes
— d'une part des récits où les Santal s'interrogent sur les croyances des hin
dous2, d'autre part l'autobiographie d'un Santal chrétien — , comment les nar
rateurs ont pesé les enjeux idéologiques propres aux deux grandes religions.
Certes, il n'est pas facile ici de démêler le religieux du politique, puisque c'est
l'échec de la rébellion de 1855 qui amena les Santal à accuser leurs propres divi
nités de ne pas avoir su les protéger3.
L'Homme 106-107, avril-sept. 1988, XXVIII (2-3), pp. 199-212. 200 MARINE CARRIN-BOUEZ
Avant de perturber leurs croyances, le pouvoir colonial bouleversa l'équi
libre des structures économiques et sociales. Tout d'abord le système clanique
fut profondément altéré : alors qu'il servait à organiser les anciennes migra
tions les nouveaux déplacements entraînèrent l'éclatement des cellules ligna-
gères. Les Santal qui partaient à la recherche de terres ou de travail étaient
embauchés dans les chantiers coloniaux, monde en rupture totale avec leur
économie traditionnelle. En outre les Britanniques, qui n'avaient guère de
contacts avec eux, voyaient en eux une main-d'œuvre bon marché. La présence
de nombreux intermédiaires hindous (marchands, officiers de police, et surtout
contremaîtres), aux yeux desquels ils n'étaient que des « sauvages », aggrava la
situation. Du point de vue santal, la « coutume » des ancêtres se heurtait donc
aux contraintes imposées par ces deux types d'étrangers, appelés diku4. La
famine accentua la tension. Spoliés de leurs terres, que d'habiles prêteurs sur
gages parvenaient souvent à s'approprier, les Santal émigrèrent vers le nord
du Bihar et au Bengale. Les structures claniques se désagrégeant, certains se
marièrent hors de leur communauté d'origine, faute qui, traditionnellement,
entraînait le châtiment et l'exclusion : celui qui ne respectait pas la loi d'endo-
gamie encourait le bannissement, comme pour l'inceste ; lorsqu'une femme se
laissait séduire par un non-Santal, ses parents allaient jusqu'à célébrer pour elle
des rites funéraires, signifiant par là qu'ils considéraient leurs liens avec elle
comme définitivement rompus. Telles furent les premières réponses des Santal.
La mise en place de tribunaux où ils étaient souvent jugés de façon expéditive
dans une langue qu'ils ne comprenaient pas et les exactions qu'ils subissaient
quotidiennement de la part des policiers hindous provoquèrent de violents
conflits et une rébellion contre le gouvernement colonial. Rébellion inséparable
du mouvement religieux qui l'animait, les leaders santal ne cessant d'affirmer
qu'ils avaient été incités au combat par les divinités elles-mêmes : entendons
par là les divinités tribales et Thakur, dieu d'origine hindoue, symbole du pou
voir étranger qu'il fallait se concilier.
Dans ce contexte caractérisé par une relation à trois termes — Santal,
Hindous, Occidentaux — , la pensée mythique s'interroge sur les fondements
de la société et son possible devenir. Apparaît alors un nouveau type de récit
tendant à nier le processus de domination et à s'approprier des contenus d'ori
gine hindoue ou européenne. Si le christianisme est relativement tôt associé à
l'école, à l'hôpital ou au travail, l'hindouisme, souvent présent sous sa forme
populaire, tient lieu de réfèrent inconscient : après la rébellion de 1855, les
Santal nouent des relations avec les basses castes qui habitent certains quartiers
de leurs villages ; ils assistent de loin aux fêtes des déesses hindoues et de plus
près au culte du dieu Shiva5. En revanche, ils soupçonnent les Hindous de
haute caste de vivre selon des normes morales et sociales plus proches de celles
des Britanniques, situant les uns et les autres du côté du dare, le « pouvoir
aveugle » qui produit la hiérarchie dont les principes leur échappent6.
Ces récits semblent marqués par deux préoccupations majeures : le retour
sur soi conduit les narrateurs à l'évocation nostalgique du temps des ancêtres ; Le Paradis dans les jardins de thé 201
le regard qu'ils portent sur autrui en parcourant les villages afin de dresser
l'inventaire des traditions tribales les oblige à en tracer les limites : en quoi la
religion tribale diffère-t-elle de celle de leurs voisins hindous ou chrétiens ?
S'efforçant de penser les confins d'une tradition, ils restent néanmoins fascinés
par le passé. Dans ces textes, le changement apparaît sous une forme violente,
mais le plus souvent l'agression « étrangère » est transposée. Ainsi la présence
des marchands hindous se reflète-t-elle dans le panthéon : ce sont les dieux hin
dous qui, les premiers, ont envahi le territoire tribal ; c'est pourquoi il faut se
soucier d'eux, être capable de les nommer et leur rendre un culte. Mais si les
Santal s'interrogent sur les croyances hindoues, les gens des castes, eux, les
considèrent comme des êtres impurs puisqu'ils sacrifient des vaches et en
consomment la viande au cours de leurs banquets funéraires7. Pas plus que les
Hindous les Occidentaux ne reconnaissent aux cultes tribaux le statut de rel
igion, et ils veulent en outre leur faire adopter leur dieu. Pourtant, rares sont les
textes qui parlent des missionnaires et de ce dieu, même lorsqu'ils semblent
répondre à la propagande chrétienne : la plupart s'emploient plutôt à légitimer
les cultes tribaux et déplorent l'altération des valeurs tribales. Le passé
l'emporte sur le présent comme si aucun narrateur ne pouvait être contempor
ain de son récit et penser le changement. Toutefois ces textes ne font
qu'esquisser les contours d'une mythologie qui s'estompe et cède la place au
témoignage, voire à l'autobiographie.
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