Le poète, le râteau et la pierre ponce : de quelques intérêts marginaux d Alfred de Vigny - article ; n°59 ; vol.18, pg 91-105
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Le poète, le râteau et la pierre ponce : de quelques intérêts marginaux d'Alfred de Vigny - article ; n°59 ; vol.18, pg 91-105

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Description

Romantisme - Année 1988 - Volume 18 - Numéro 59 - Pages 91-105
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 34
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Jacques-Philippe Saint-
Gérand
Le poète, le râteau et la pierre ponce : de quelques intérêts
marginaux d'Alfred de Vigny
In: Romantisme, 1988, n°59. pp. 91-105.
Citer ce document / Cite this document :
Saint-Gérand Jacques-Philippe. Le poète, le râteau et la pierre ponce : de quelques intérêts marginaux d'Alfred de Vigny. In:
Romantisme, 1988, n°59. pp. 91-105.
doi : 10.3406/roman.1988.5479
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1988_num_18_59_5479Jacques-Philippe SAINT-GÉRAND
Le poète, le râteau et la pierre ponce :
de quelques intérêts marginaux d'Alfred de Vigny
En novembre 1976, lors d'un colloque qui se déroulait au grand amphit
héâtre de l'ancienne faculté des lettres à Bordeaux, le professeur Flottes,
en une remarquable improvisation, démontrait la modernité et l'actualité tou
jours effective de la pensée d'Alfred de Vigny. L'altruisme dont le poète
a constamment fait preuve, son intérêt constant pour les parias de la société,
son souci d'entretenir des relations d'estime et d'encouragement avec des
personnalités qui — aujourd'hui — nous apparaissent bien secondaires, sa
sollicitude à l'égard des plus démunis devant l'existence, tout ceci fait que
Vigny, dans sa vie et dans son œuvre littéraire, n'a guère cessé de réfléchir
aux conditions et aux conséquences de ce que l'on ne nomme pas encore
— faute de signe lexical — marginalité, mais qui se laisse assez bien appré
hender, comme l'a montré J.-P. Leduc-Adine 1, sous le vocable ^excentric
ité. Les études de Léon Séché et d'Ernest Dupuy 2, notamment, ont permis
de situer anecdotiquement les bénéficiaires de cette préoccupation ; quelques
articles ultérieurs ont précisé certains de leurs traits. François Germain, pour
sa part, a montré l'articulation centrale de cette réflexion avec l'imaginaire
d'un univers également sphérique8. Il est probable que la publication, en
préparation, de la correspondance générale de l'écrivain donnera l'occasion
d'alimenter substantiellement cette rubrique de la marginalité vignyenne,
indépendamment des analyses internes de cette notion dont l'œuvre entier
peut faire l'objet 4. Mais il est un aspect de la modernité, telle que l'appr
éhende notre siècle, et de la marginalité, telle que la concevait le XIXe siècle,
sur lequel peu de remarques ont été faites : il s'agit de la position adoptée
par Vigny dans la progressive émergence, au travers de la philologie et de
la linguistique comparée, d'une étude rigoureuse des dialectes de France,
profondément ancrée dans les particularités socio-culturelles de chaque
région. Or, des documents existent, épars mais incontestables, qui prouvent
mieux que la curiosité de Vigny en ce domaine, et qui permettent de mettre
à jour un véritable investissement de ses compétences dans cette question
des parlers, patois et dialectes. C'est ce que je voudrais montrer ici.
Pour mieux comprendre le contexte du débat dans lequel Vigny prend
nommément position, il importe de rappeler, dans ses grandes lignes, l'évo
lution de la question des patois en France au cours du XIXe siècle, jusqu'à
l'estampillage officiel d'une discipline scientifique, la dialectologie, par le
décret de 1881 du ministère de l'Instruction publique5. L'enjeu, comme on
le verra, est d'importance puisqu'il est politique, et les variations de son 92 Jacques-Philippe Saint-Gérand
traitement par l'Etat et par la communauté scientifique ne cessent de tra
verser toute l'histoire des mentalités françaises au xixe siècle, depuis les
grands soubresauts de la Révolution de 1789 que Vigny a fantasmatique-
ment vécus dans la saga familiale, et qu'il a dépeints dans son œuvre. C'est
le même Robespierre que celui qui apparaît dans Stello qui signe, avec
d'autres membres du Comité de Salut public, la circulaire n° 27 du 28 prai
rial an II : « C'est un fédéralisme que la variété des dialectes ; il faut le
briser entièrement ; la malveillance s'en servirait avec avantage » ; et qui
légalise les termes du rapport de l'abbé Grégoire à la Convention. Dès lors,
les parlers locaux, considérés comme des obstacles à la diffusion de la vérité,
sont réduits à n'être plus qu'un aimable sujet d'intérêt pour amateurs de
curiosités historiques. La création de Г Académie Celtique, et ses travaux
depuis 1804, le programme lancé en 1813 par la Société des Antiquaires
de France, suscitent un regain d'intérêt archéologique pour cet objet dont
on dit qu'il est toujours sur le point de disparaître, bien que l'enquête de
Coquebert et Montbret en ait attesté, depuis 1807, la souterraine vivacité.
Les publications extérieures à la France insistent simultanément sur l'impor
tance testimoniale des dialectes en matière de reconstitution des connais
sances historiques e. Ainsi se dessine, en bref, un mouvement général de
sympathie pour les patois qui donne naissance à une multitude de monog
raphies diverses : lexicologiques, historiques, littéraires, et dont la culmi
nation se situe au moment où, la grammaire générale des successeurs de
l'Idéologie se mettant à faiblir, commence à poindre un intérêt véritablement
linguistique pour les faits de langue, autour de 1838.
Il faudrait alléguer ici, comme justification, une multitude de travaux
passant insensiblement de la cacologie à l'observation des particularités dia
lectales ; mais un seul nom suffit à rendre compte de l'ampleur générale du
mouvement, celui de Charles Nodier, dont les Notions élémentaires de li
nguistique exposent poétiquement les implications philosophiques d'une étude
raisonnée des patois :
« II n'est pas besoin d'avoir beaucoup exercé son esprit à la réflexion
pour comprendre que le patois, composé plus naïvement et selon l'ordre
progresssif des besoins de l'espèce, est bien plus riche que les langues
écrites en curieuses révélations sur la manière dont elles se sont for
mées. Presque inaltérable dans la prononciation, dans la prosodie, dans
l'orthographe même — quand on l'y écrit — , il rappelle partout l'éty-
mologie immédiate, et souvent on n'y arrive que par lui. Jamais la
pierre ponce de l'usage et le grattoir barbare du puriste n'en ont effacé
le signe élémentaire d'un radical. Il conserve le mot de la manière dont
le mot s'est fait, parce que la fantaisie d'un faquin de savant ou d'un
écervelé de typographe ne s'est jamais évertuée à détruire son identité
première dans une variante stupide. Il n'est pas transitoire comme une
mode. Il est immortel comme une tradition. Le patois, c'est la langue
native, la langue vivante et nue. Le beau langage, c'est le simulacre,
le mannequin ! » 7
Et, face à l'institution normative, il est intéressant de remarquer ici une phra
séologie qui rappelle, dans sa technicité dérisoire, l'attitude que Vigny adopt
ait déjà lorsqu'il évaluait les méfaits de l'épuration lexicale dont le siècle
classique fut le promoteur : « [...] le fond du langage charentais est la langue
de Rabelais et de Montaigne. Un bon écrivain peut y apprendre et y prendre,
car il serait bon de ressaisir des mots mal à propos écartés par le râteau du De quelques intérêts marginaux d'Alfred de Vigny 93
XVIIe siècle » 8. Or l'on sait que le retour au Maine-Giraud, en août 1848,
ainsi que les séjours que Vigny y fera jusqu'en 1853 éveillent en lui une
volonté d'acculturation des masses rurales qui s'appuie sur un sens aigu de
l'observation, et sur les connaissances philologiques que l'on pouvait avoir
alors : « [nos paysans] n'aiment et ne veulent connaître et accueillir que les
gens de leur province, parlant leur vieux français du temps de Montaigne
et de Rabelais » 9.
La décennie qui commence avec 1840 voit ainsi se modifier progres
sivement le paysage scientifique français, et apparaître les premiers signes
de l'historicisation du savoir en matière de langue. Champollion-Figeac et
Raynouard, depuis une vingtaine d'années alors, ont donné l'impulsion de ce

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