Le sujet lyrique et la prose du monde dans la littérature russe (1910-1930) - article ; n°1 ; vol.70, pg 175-186
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Le sujet lyrique et la prose du monde dans la littérature russe (1910-1930) - article ; n°1 ; vol.70, pg 175-186

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Description

Revue des études slaves - Année 1998 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 175-186
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Gérard Conio
Le sujet lyrique et la prose du monde dans la littérature russe
(1910-1930)
In: Revue des études slaves, Tome 70, fascicule 1, 1998. Communications de la délégation française au XIIe
Congrès international des slavistes (Cracovie, 27 août - 2 septembre 1998). pp. 175-186.
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Conio Gérard. Le sujet lyrique et la prose du monde dans la littérature russe (1910-1930). In: Revue des études slaves, Tome
70, fascicule 1, 1998. Communications de la délégation française au XIIe Congrès international des slavistes (Cracovie, 27 août
- 2 septembre 1998). pp. 175-186.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1998_num_70_1_6489LE SUJET LYRIQUE ET LA PROSE DU MONDE
DANS LA LITTÉRATURE RUSSE (1910-1930)
PAR
GÉRARD CONIO
C'est, je crois, désormais un lieu commun d'admettre que l'apparition de
la modernité coïncide avec la crise du sujet lyrique et avec la perte de « l'aura »,
telle que l'a définie Walter Benjamin. Mais qu'est-ce que la modernité ? Ce mot
tant rabâché recouvre une ambiguïté qui est au centre de nos préoccupations les
plus actuelles, non seulement littéraires, artistiques, culturelles, mais aussi éco
nomiques, politiques et sociales.
En effet, on désigne, d'ordinaire, par « modernité » deux phénomènes
contigus mais contradictoires. La modernité embrasse d'une part, les mutations
imposées, depuis le milieu du XIXe siècle, au mode de vie des pays économi
quement les plus avancés sous la poussée de l'industrialisation, de l'urbanisation
et du développement technologique, mais ce même terme sert aussi à exprimer
la rupture que ces mutations ont provoquée avec le passé dans le domaine des
idées et des formes esthétiques.
Je ne m'attarderai pas à juger des intentions, secrètes, inconscientes ou
avouées, qui ont pu inspirer l'usage du même mot pour définir des séries de
changements parallèles et concomitantes ayant une même origine, mais s 'inscri
vant dans une logique de confrontation, celle-là même qui met aux prises le sujet
lyrique et la prose du monde. Je me contenterai donc de poser une question
naïve que ne peut, me semble-t-il, s'empêcher de se poser tout usager de la
langue française : comment concilier les significations du mot « modernité »,
quand il est employé pour stigmatiser les ouvriers en grève, coupables
d'archaïsme, comme cela a été le cas en décembre 1995, ou quand il est
appliqué à la poétique de Baudelaire, de Mallarmé, d'Apollinaire, de Joyce, de
Majakovskij ? Est-ce bien de la même « modernité » qu'il s'agit et sinon qu'est-
ce que ces « modernités » peuvent-elles bien avoir en commun ?
Peut-être, pour sortir de l'impasse, faudrait-il envisager alors que la
« modernité », dans son sens le plus large, constitue un chronotope à l'intersec
tion de la morphologie, de la sociologie et de l'ontologie ?
Si on refuse de sortir des rituelles agaceries littéraires sur les jeux de la
poésie et de la prose, on s'expose soit à valider les arguments des contempteurs
Rev. Étud. slaves, Paris, LXX/1, 1998, p. 175-186. 176 GÉRARD CONIO
systématiques de l'esprit moderne, soit à cautionner une entreprise de récupéra
tion et de manipulation qui excelle à convertir le négatif en positif au nom du
progrès et du « sens de l'histoire ». Ces notions ont, en effet, changé de signes et
répondent désormais à des critères qui mélangent allègrement les valeurs cultu
relles et l'efficacité économique et technologique. Il ne me semble pourtant pas
interdit d'espérer qu'entre le tout et le rien, entre les détracteurs systématiques
de la nouveauté et les maîtres penseurs de la modernisation mondiale, il existe
une place pour une approche plus subtile et plus distanciée d'une aventure dans
laquelle nous sommes plus que jamais impliqués.
Il importe, tout d'abord, de tenir compte des différences entre les situations
nationales dans l'évolution de ce processus.
À cet égard, la Russie a une place tout à fait à part, due au retard qu'elle
avait pris par rapport à l'Europe occidentale. La Révolution a ensuite créé des
conditions spécifiques pour la réalisation des changements structurels dont l'An
cien Régime s'était montré incapable.
Par l'un de ces raccourcis métaphoriques dont il est familier, Hegel a écrit :
« la prose du monde, c'est l'Empire romain ». Dans le cas de la Russie, l'image
est aisément transposable. La tradition impériale y a imprégné la culture,
engendrant une dualité des comportements, l'identification de chaque individu
avec le rang donné par l'État entrant en conflit avec l'anarchisme latent d'une
mentalité restée très marquée par ses racines paysannes. Or, ces deux compos
antes essentielles de « l'âme russe » se trouvaient incompatibles avec les exi
gences de la modernité. Cela explique les distorsions que l'on a pu relever entre
la théorie et la pratique des avant-gardes.
Déjà Čukovskij, dans ses conférences sur les futuristes, en 1913, avait
relevé l'archaïsme et le primitivisme de ces poètes qui se réclamaient de
l'Avenir.
Et il est vrai que, en poésie comme en peinture, les courants les plus novat
eurs de cette première avant-garde proclament le retour à des origines occultées
par « les siècles de culture », qu'il s'agisse de la création d'une langue zaum,
chez les budetljane (les « futuraslaves ») ou de la référence à la création popul
aire des peintres d'enseigne, chez les adeptes de « La Queue d'âne », regroupés
autour de Larionov et de Gončarova.
Ici, le sujet lyrique rompt avec l'individualisme romantique, il plonge dans
les tréfonds de l'inconscient collectif. Mais il exprime la défense de l'art face à
la technique. On trouve un témoignage de cette fidélité à « l'aura » dans les
livres illustrés, écrits à la main et lithographies, car, selon Nicolas Burljuk,
« l'humeur doit guider le tracé de l'écriture ».
On ne saurait limiter cette tendance aux seuls futuristes : elle est un signe
d'époque. On trouve une évolution analogue chez Alexandre Blok, qui déjà,
dans la Baraque de foire de 1906, avait parodié son propre symbolisme. Des
Vers à la Belle Dame aux Douze, Blok rompt avec le sujet lyrique pour inventer,
au rythme des častuški, une poésie épique où retentit non plus le chant intime
d'un individu unique, mais « la musique de la révolution ».
Toutefois, les termes en présence changent eux-mêmes de signe et de
statut. On assiste à un sdvig, un « déplacement » général des rapports entre les
concepts et les formes, entre les formes et leurs référents réels. Au moment où LE SUJET LYRIQUE ET LA PROSE DU MONDE 177
l'histoire bascule, au moment où le monde vacille sur ses bases, le langage doit
se reconstituer pour rester en phase avec une réalité qui part à la dérive.
Le sujet lyrique se déplace, comme se déplace la prose du monde. La perte
des repères, l'une des marques de la modernité, se traduit par des tensions
internes qui opposent chaque idée à la forme qu'on veut lui assigner, et chaque
forme à son chronotope, celui-ci pouvant, d'ailleurs, se projeter dans un lieu et
un temps utopiques, un ailleurs pré- ou post-historique. La corrélation qui va
s'établir entre la vie courante, le byt, la réalité pratique du temps présent, du
temps de vie, du temps à vivre, et les représentations, souvent complémentaires,
voire fusionnelles, d'un passé idéalisé et d'un avenir radieux, ne sera pas la
moindre tension qui travaillera la pensée russe de la modernité.
La dernière manifestation du sujet lyrique sera son aspiration sacrificielle à
brûler sur le bûcher de l'Histoire. Toute l'époque révolutionnaire est placée sous
le signe du « moi haïssable ». Là encore le passé et l'avenir se rejoignent, soit
que l'on y voit l'expression du vieux sentiment de culpabilité de l'intelligentsia
russe envers le peuple, comme il apparaît chez Blok, se réjouissant de la perte

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