Le visage et la personne dans l œuvre de Boris Pasternak - article ; n°2 ; vol.66, pg 315-331
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Description

Revue des études slaves - Année 1994 - Volume 66 - Numéro 2 - Pages 315-331
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Jacqueline de Proyart
Le visage et la personne dans l'œuvre de Boris Pasternak
In: Revue des études slaves, Tome 66, fascicule 2, 1994. pp. 315-331.
Citer ce document / Cite this document :
Proyart Jacqueline de. Le visage et la personne dans l'œuvre de Boris Pasternak. In: Revue des études slaves, Tome 66,
fascicule 2, 1994. pp. 315-331.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1994_num_66_2_6185LE VISAGE ET LA PERSONNE
DANS L'ŒUVRE DE BORIS PASTERNAK*
PAR
JACQUELINE DE PROYART
La récurrence du mot lico dans l'œuvre de Boris Pasternak, ne saute pas
aux yeux. Sans doute en raison d'une polysémie (face, surface, aspect des
choses, présence, visage humain, personne) qui va faire l'objet de notre étude,
sans doute aussi en raison de la volonté de Pasternak de détruire le mythe de la
« causalité de fer ». Cest de propos délibéré qu'il « estompe » plutôt qu'il ne
lèche le portrait de ses personnages1. Il refuse de les figer dans une image qui
risquerait d'être définitive à nos yeux alors qu'il les voit lui-même évoluer dans
un univers en « perpétuel renouvellement »2.
Pourtant, même si l'écrivain fait évoluer devant nos yeux la grande major
ité de ses personnages sans jamais rien nous dire sur leur visage, la notion de
visage est loin d'être étrangère à son œuvre : la fréquence des occurrences du
mot lico, tant dans la prose que dans la poésie, plus d'une centaine au total,
invite le chercheur à s'interroger sur le sens à donner à cette récurrence.
L'invitation est d'autant plus forte que, très vite, le rapprochement des
contextes, restreints ou larges, parfois très dissemblables, parfois aussi curieu-
* Communication présentée au Colloque international Boris Pasternak, réuni en
l'honneur du centenaire de sa naisance (1890-1990), Oxford, 15-19 juillet 1990.
1. Lettre à l'auteur du 20 mai 1959 : « J'ai décrit les caractères, les situations, les
détails, les particularités dans le seul but suprême d'ébranler l'idée de la causalité de fer, la
nécessité absolue de représenter la réalité comme un spectacle d'une inspiration incorporée et
roulante comme une apparition mue par une sorte de choix et de liberté, comme une variante
parmi d'autres, comme une chose voulue.
« De là tous les "défauts" (toutes les singularités non comprises) de ma nouvelle man
ière : la négligence du "définitif, l'effacement des contours tout à l'heure tracés... » [J. de
Proyart, Boris Pasternak, Paris, Gallimard (Bibliothèque idéale), 1964, p. 237]. Voir aussi
lettre à Stephen Spender du 22 août 1959 (Encounter, 1960, 3, et Русская речь, 1970, 1,
« Стивену Спендеру », p. 10-13).
2. Boris Pasternak, Собрание сочинений в пяти томах (1989-1992), t. 3 :
Доктор Живаго : роман, M., Xudlit, 1990, III, 3, р. 69, cité par la suite sous la forme abré
gée ДЖ. Les citations tirées de l'œuvre de Boris Pasternak renverront à cette édition (abr. :
CC, suivie du numéro du tome).
Rev. Étud. slaves. Paris, LXVI/2, 1994, p. 315-331. J. DE PROYART 316
sèment analogues, permet de distinguer une véritable ligne conceptuelle qui
court à travers toute l'œuvre et relie entre eux de manière plus ou moins évi
dente les cinq interlocuteurs de Pasternak, ces amis auxquels il voulait réduire le
nombre de sa « société secrète » : « Dieu, la femme, la nature, la vocation et la
mort3 ».
La mise en rapport de ces différents contextes montre que l'on peut déceler
dans l'univers de Pasternak toute une problématique de la face ou du visage et
de la personne. Comme nous voudrions le montrer, l'étude de son développe
ment permet de mettre en évidence l'un des axes structurant la noosphère de
l'écrivain, celui de son personnalisme. Le présent article, étant donné ses
limites, ne peut offrir qu'un aperçu de nos premières découvertes.
Avant d'analyser les textes les plus représentatifs du développement de
cette problématique, et pour cadrer notre démarche, il nous faut procéder au
préalable à deux séries de remarques la première portera sur la formation reçue,
la seconde concernera l'œuvre écrite et sera d'ordre lexical.
Rappelons tout d'abord que Boris Pasternak, fils d'un peintre particulièr
ement attentif aux visages, a grandi au sein d'une famille « libérale », mais restée
fidèle à la morale juive fondée sur le respect du visage d'autrui, image en ce
monde du Visage inconnaissable du Dieu vivant.
Deuxièmement, nous ferons remarquer qu'au moins depuis ses années
d'études philosophiques, comme il l'affirme dans sa correspondance4 et y fait
allusion dans Sauf-conduit5, la lecture de la Bible (Ancien et Nouveau Testa
ments) a nourri le cœur et l'esprit de Pasternak et l'a aidé à arrêter « une fois
pour toutes le choix nécessaire6 ». Non seulement dans le Docteur Jivago, mais
aussi dans toute son œuvre, Pasternak fait preuve d'une connaissance appro
fondie de la Révélation biblique, depuis les versets de la Genèse I, 26 « Сотво
рим человека по образу нашему, по подобию нашему » et II, 2 « создал
Господь Бог человека из праха земного и вдунул в лице его дыхание и стал
человек душею живой », en passant par les Psaumes7 et l'Ecclésiaste jus
qu'aux Évangiles et à l'affirmation finale de l'Apocalypse, « и рабы Его будут
служить Ему и узрят лице Его » (XXII, 4)8 .
Un livre, celui des Psaumes, mérite pour notre propos une attention parti
culière car Pasternak le cite souvent et parfois justement dans le contexte du mot
lico9. Sans pouvoir entrer dans les détails, notons que l'une des lectures pos-
3. Lettre à l'auteur du 20 oct. 1959 (Proyart, op. cit., p. 37).
4.à du 2 mai 1959 : « Je vivais le plus de ma vie dans la pensée chré
tienne dans les années 1910-1912 où se formaient les racines, les bases principales de cette ori
ginalité, la vision des choses du monde, de la vie. » {ibicL, p. 41).
5. Boris Pasternak, Охранная грамота, II, 18, CC 4, p. 208.
6. Même lettre à l'auteur du 2 mai 1959 (Proyart, op. cit., p. 42). On notera que les
années indiquées incluent l'époque du séjour à Marburg, époque où le professeur E. Cohen
espérait faire du jeune Boris Pasternak un disciple et sans doute lui faire partager ses idées sur
la judaïté. L'affirmation de Boris Pasternak selon laquelle son « choix » philosophico-spiri-
tuel est « définitivement arrêté » en ces années-là n'en prend que plus de poids.
7. Que Pasternak se proposait de traduire en russe et dont il savait un grand nombre
par cœur.
8. Livre que « le grand art, l'art véritable doit compléter », estime Jivago (ДЖ III,
17, p. 92).
9. Voir par exemple « Поэма о ближнем », in Наброски к фантазии (CC 1 ,
p. 515) ou encore « На Страстной » (ДЖ, p. 512-513). LE VISAGE ET LA PERSONNE 317
sibles du livre des Psaumes est celle de l'ardent désir du psalmistę de vivre en
présence de la face de Dieu : lice ou lico Bož'e10 qui « éclaire » l'homme et le
« sauve ». Un désir qui se manifeste dans un psaume sur quatre, tandis que bon
nombre de psaumes sont consacrés à chanter l'image ou le reflet du visage de
Dieu dans la beauté de sa création et la bonté de ceux qui lui sont fidèles.
À lire l'œuvre de Pasternak à la lumière des Psaumes, nous avons décou
vert une multitude de références implicites11 ou explicites12. Il nous est apparu
que la recherche de la face de Dieu qui inspire bon nombre d'entre eux, se
retrouvait à la racine de l'ardent désir de Pasternak de vivre en présence de
Dieu13, d'entrevoir la face de Dieu à travers le vrai visage des choses et des
gens, et de chanter sa gloire en attendant de pouvoir voir lui-même Dieu face à
face. Quand il sera entre la vie et la mort, après son infarctus, les visages ter
restres ne feront plus que passer — « Милиция, улицы, лица I Мелькали в
свету фонаря. » — devant ses yeux déjà tournés vers l'éternel. Le regard voilé
par les larmes, il aura l'espace d'un instant un avant-goût de la vision béati-
fîque:
О Боже, волнения слезы
Мешают мне видеть Тебя.
(« В больнице », СС 2, р. 103.)
Il nous a semblé, tro

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